Le chant de la Tamassee (Saints at the river) · Ron Rash

par Electra
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En regardant Ron Rash à la télévision et en l’écoutant parler de son dernier roman publié en France, Le chant de la Tamassee, j’ai su qu’il me fallait le lire. Entre l’histoire qui m’a de suite attirée et le talent d’écrivain de ce romancier américain, ma patience a été de courte durée et récompensée, puisque j’ai déniché en rayon la version originale du roman, Saints at the river. J’ai failli le reposer mais en lisant la quatrième de couverture, j’ai compris qu’il s’agissait de la même histoire et j’ai appris du coup qu’il s’agit en fait du second roman de l’auteur, publié en 2004.

Soyons clairs : j’ai commencé ma lecture ce matin, dans mon lit (vive les dimanches) et je l’ai lu presque d’une traite. Non, dévoré. Ron Rash m’avait déjà énormément plu avec un autre de ses romans, Un pied au paradis et ce livre confirme l’immense talent que cet écrivain du Sud possède. Encore un ! C’est terrible, mais comment arrivent-ils à produire autant de romanciers qui arrivent à faire de la Nature un personnage à part entière ? Car ici, le personnage central, c’est bien la Tamassee.

Située dans le comté d’Oconee, en Caroline du Sud, la rivière est célèbre pour ses eaux vives, les amateurs de canoë, kayak ou rafting viennent la défier continuellement. Les touristes viennent l’admirer, pique-niquer et pêcher dans ses eaux plus calmes. La rivière a obtenu le label « rivière sauvage » et la loi fédérale (The Wild and Scenic Rivers Act) interdit à quiconque de perturber son état naturel. Mais lorsque la petite Ruth Kowaslky, en vacances avec ses parents, se noie dans la Tamassee, les choses changent. La petite fille, originaire du Minnesota et fille d’un des hommes les plus puissants, s’aventure dans l’eau et est rapidement entrainée par les courants, elle se noie, entrainée par l’effet centrifuge des courants et la rivière refuse de rendre son corps. Celui-ci reste coincé sous un rocher à proximité d’une cascade. Malgré leurs nombreux efforts, les semaines passent et les plongeurs locaux n’arrivent pas à récupérer son corps.

Le père fait alors marcher ses relations et obtient des élus qu’un barrage amovible soit installé à proximité pour détourner le courant vers la rive droite. S’engage alors entre lui, les gens du cru (qu’ils traitent de cul-terreux) et les écologistes locaux une véritable guerre. Le fait divers prend alors une dimension nationale et un journal de Charleston décidé d’y envoyer deux reporters, dont Maggie, une jeune photographe, native du comté qui été la petite amie de Luke, le plus ardent défenseur de la rivière.

Entre la demande des parents d’offrir une sépulture à leur enfant, les enjeux se déchainent : les pouvoirs locaux, les lobbies des entrepreneurs qui espèrent ainsi faire une brèche dans cette loi jugée trop contraignante (les travailleurs du bois ont du arrêter de se servir de la rivière comme moyen de transport) et ceux des écolos, jugés parfois trop extrémistes.

Ron Rash possède un talent immense, celui de prendre la voix d’une jeune femme, de nous faire ressentir toutes ces émotions et surtout nous faire comprendre à travers le regard de Maggie, l’amour immense qu’elle ressent pour les siens et pour ce « Dark corner « , ce comté d’Oconee souvent décrié par les autres habitants de l’Etat. Ces « cul-terreux » qui vivent entre eux, se voient tous les dimanches pour le barbecue local, où l’on fait griller le porc et on le sauce avec du vinaigre, où l’on écoute les anciens chanter et on accepte bon gré mal gré ces hordes de touristes venus descendre en rafting ou en kayak les eaux vives de la Tamassee.

J’ai noté plein d’extraits, j’adore la fluidité des mots de Ron Rash, aussi fluide que la rivière elle-même. Cette rivière à la fois si attirante, magnifique, sensuelle et si dangereuse. Elle tue régulièrement. Les habitants du coin le savent, elle prend et ne rend pas. Les touristes ne le comprennent pas, ils viennent flirter avec elle parce qu’elle est sauvage mais les haïssent quand elle agit en tant que tel. A une énième conférence où le père de la victime tente d’obtenir qu’on dynamite ou qu’on installe un barrage (et qui au passage traite les habitants d’idiots et les plongeurs locaux d’incompétents), un habitant lui répond qu’eux, ils savent à quel point la rivière est dangereuse, et que si stupides ils sont, ils savent cependant que venir au printemps au moment de la fonte des neiges, est une idiotie et qu’ils ne laisseraient jamais leurs enfants y jouer. Le talent de Ron Rash est de mettre au service du lecteur, un couple de journalistes qui va vivre cette mission différemment : Allen a perdu sa femme et sa fille dans un accident et il prend part tout de suite pour le père, alors que Maggie, qui a elle-même participé à obtenir le classement de cette rivière, penche plus pour laisser le corps là où il est, dans l’endroit sans doute encore le plus pur du pays. Un paradis.

En tant que lectrice, je n’ai cessé de ressentir l’amour des parents pour leur enfant et leur douleur, mais également le besoin viscéral de protéger la nature à son maximum. Et la magie de cette rivière.

Je me dois aussi de vous parler de moi, enfin d’une partie de ma vie où j’ai vécu dans ces montagnes, les Appalaches. J’étudiais dans une petite faculté américaine, perchée dans la montagne. Ayant toujours grandi pas très loin de la mer, je me suis sentie proche de Maggie lorsqu’elle décrit cette sensation d’étouffement qu’elle ressent parfois, lorsqu’elle rentre au pays. Ces montagnes majestueuses mais qui peuvent soudainement vous donner l’impression de vous encercler, de vous emprisonner.

I looked at the mountains and felt at ten what I would find a word for only years later : claustrophobic. Because it felt as though the mountains had moved closer together since we’d been at the hospital, and would keep on moving closer until they finally suffocated me.

Ainsi lorsqu’elle décrit la souffrance de son frère Ben, dont il n’a jamais, au cours de toutes ces années, fait écho ou parlé, Maggie en conclut ceci :

Maybe that was what happened when people grew up in a place where mountains shut them in, kept everything turned inward,  buffered them from everything else.  How long did it take before that landscape became internalized, was passed down generation to generation like blood type or eye color?

Le personnage de Maggie est passionnant, tiraillée pour son amour pour sa famille, largement éprouvée par le malheur, la mort de sa mère, l’accident de son frère et sa relation compliquée avec ce père, mourant et ses retrouvailles avec son ancien amant, Luke, le militant écologiste. Ron Rash arrive à travers quelques personnages à parler de la mort, de la famille, de l’amour, des conflits, du sentiment de culpabilité. Mais également de la photographie en général, ainsi la photo du père endeuillé au bord de la rivière prise par Maggie, va faire soudainement basculer l’histoire. Celle de cet homme mais de Maggie également.

Une histoire donc émouvante, mais magnifique et qui ravit à nouveau mon petit coeur d’artichaut car elle donne la première place à la Nature mais en laissant entrevoir une profonde humanité chez les gens. J’ai hâte de lire ses autres romans !

Pour les curieux, la Tamassee n’existe pas. Pour ma part, j’ai fait du rafting sur une des rivières les plus célèbres, située au sud-est du Tennessee appelée Ocoee. Elle a d’ailleurs accueilli les JO d’Atlanta, (elle porte un autre nom en Georgie, Toccoa) mais ce n’est pas une rivière protégée par le label « sauvage », un barrage existe en effet en Georgie. Elle possède cependant toute cette magie si bien décrite dans le roman : puissante, majestueuse, elle offre des passages calmes mais d’une seconde à l’autre, les tourbillons vous emportent à jamais. Les photos illustrant ce billet sont de l’Ocoee. J’ai ma petite idée sur la rivière à laquelle Ron fait illusion.

Le premier chapitre du livre, publié en italique, est sans doute l’un des plus marquants, puisqu’il raconte l’accident de la petite Ruth, et ses derniers instants alors que la rivière l’avalait. J’ai trouvé par hasard cet extrait où Ron Rash lit ce passage (quel accent!) en cherchant les paroles de Saints at the river, un chant religieux local chanté par un des personnages très attachants du roman, la tante de Maggie. Les paroles me restent encore en tête :

Yes, we’ll gather at the river,
The beautiful, the beautiful river;
Gather with saints at the river
That flows by the throne of God

Vous l’aurez compris : vous n’avez aucune excuse pour ne pas le lire. J’attends de voir votre avis sur la version française.

♥♥♥♥♥

Saint Martin’s Press, 256 pages,2004

(Disponible en français aux Editions du Seuil)

Photo by Susanne Alexander on Unsplash

Et pourquoi pas

26 commentaires

Gabriel 8 février 2016 - 0 h 22 min

Il est vraiment très intéressant ton billet Electra! J’ai aimé ce que j’ai lu de Ron Rash et j’avais déjà ajouté ce livre à ma liste à lire. Je ne savais pas que tu avais étudié aux États-Unis. C’est toujours intéressant de découvrir une tranche de vie 🙂

Electra 8 février 2016 - 7 h 02 min

Merci ! Cela explique ma capacité à lire en anglais aussi aisément 😉 Disons que ce roman m’a particulièrement rappelé cette époque et cette région. Tu as lu quoi de Ron Rash ?

Marie-Claude 8 février 2016 - 0 h 56 min

J’ai lu ton billet en diagonale, car je compte le lire dès qu’il arrivera au Québec, sois dans deux-trois semaines.
Je retiens une nouvelle tranche de vie «electa-sante» (synonyme d’électrisante!), toujours si appréciée.
Et les 5 coeurs, qui ne m’étonnent pas! Je reviendrai…

Electra 8 février 2016 - 7 h 03 min

Merci ! Oui, je sais que tu veux le lire et tu as tout à fait raison, il vaut largement le coup ! Tu ne regretteras pas surtout si tu aimes Ron Rash 🙂
Pour la tranche de vie, je ne pouvais pas passer à coté, j’avais l’impression d’être de retour là-bas.

Hélène 8 février 2016 - 9 h 34 min

J’avoue que le thème me fait peur, le deuil, la perte d’un enfant, d’habitude je fuis ce type de récit qui font remonter de bonnes vieilles angoisses … A voir…

Electra 8 février 2016 - 11 h 18 min

Je comprends. Le roman ne tourne pas autour de ca mais c’est un élément surtout qu’un des personnages a aussi connu un deuil. À toi de voir

keisha 8 février 2016 - 9 h 56 min

Comme j’ai lu tous ses romans, celui ci devrait aussi y passer!

Electra 8 février 2016 - 11 h 19 min

Moi c’est mon deuxième donc je me réjouis de lire les autres ! Tu devrais bien aimer

Léa Touch Book 8 février 2016 - 10 h 33 min

Je suis une grande fan de Ron Rash !! 🙂
Ta chronique est très belle et je rêve d’étudier dans une faculté américaine <3

Electra 8 février 2016 - 11 h 21 min

Renseigne toi ! Sinon merci ! Bon je me relis et j’ai encore oublié des mots mais je l’ai écrite dans la foulée. Cette région est vraiment très belle

Eva 8 février 2016 - 10 h 52 min

J’adore Ron Rash et Le Chant de Tamassee est ma prochaine lecture, je viens d’ailleurs de relire « Le monde à l’endroit » que j’adore!
Très beau billet, et très intéressant d’en apprendre un peu plus sur toi 🙂

Electra 8 février 2016 - 11 h 23 min

Ah merci ! Je n’ai pas encore lu Le monde à l’endroit mais le fait que tu le relises est bon signe. Tu relis souvent dis-donc ? Moi rarement sauf trois romans.

chinouk 8 février 2016 - 10 h 58 min

bon ben encore un Ron Rash qui va arrivé dans ma PAL. Il faudrait juste que je me decide à les en sortir car je n’en ai encore lu aucun !!

Electra 8 février 2016 - 11 h 24 min

Oh tu n’as aucune excuse Tu devrais bien aimer !

Les causettes de Célestine 8 février 2016 - 12 h 08 min

Merci pour cette critique enthousiaste qui me donne envie de m’y remettre. J’ai abandonné ma lecture assez vite, un peu déçue par le style (peut-être la traduction?), la magie n’opérait pas (pourtant je suis une grande fan!).
Si je peux t’en conseiller un autre de lui, c’est définitivement « Une terre d’ombre », qui est pour moi son meilleur roman, admirable (avec le très fameux « Un pied au paradis, évidemment).

Electra 8 février 2016 - 21 h 01 min

J’ai lu un Pied au Paradis, mais maintenant j’ai très envie de lire « Une terre d’ombre ». Ah, bizarre ce début raté, peut-être n’étais-tu pas dans l’ambiance à ce moment-là ? Moi ce fut l’inverse, j’ai lu sans pouvoir m’arrêter !

luocine 8 février 2016 - 14 h 38 min

Quelle chance de pouvoir lire dans deux langues, et d’avoir fait une partie des études aux USA, j’attends donc la traduction pour me faire une idée

Electra 8 février 2016 - 21 h 02 min

Oui, j’ai eu de la chance et le fait de pouvoir lire en anglais est très plaisant, d’ailleurs je viens de racheter plusieurs livres en anglais, ça me manquait !

jerome 8 février 2016 - 18 h 09 min

Il vient d’arriver à la maison ce roman. Lecture très bientôt !

Electra 8 février 2016 - 21 h 03 min

Ah super ! On lui reproche peut-être un certain « sentimentalisme », je parlerais d’humanité mais reste la Nature et la générosité immense de Rash ! et son talent d’écrivain immense

quaidesproses 9 février 2016 - 11 h 10 min

J’aime tout dans cette chronique ; les photos, ton émotion, et le fait que tu t’ouvres (un peu). Je ne savais pas que tu avais étudié aux Etats-Unis!
Ensuite, c’est un livre que je n’aurais jamais regardé dans les rayons d’une librairie, et pourtant, là, j’ai très envie d’essayer.
Puis cette couverture, qu’est-ce qu’elle est belle.

Electra 9 février 2016 - 11 h 32 min

Ah merci ! Oui, je n’aime pas trop parler de moi mais certains livres me rappellent une de mes vies antérieures 😉
L’histoire est belle et très humaine et je pense que l’écriture très fluide de Ron Rash te plairait !

Pierrick 13 février 2016 - 14 h 13 min

Belle critique, qui m’a fait sauter le pas pour cet écrivain que je n’ai pas encore lu.
J’espère que la traduction sera à la hauteur! Je repasserai donner mon sentiment sur ce livre.

Electra 23 février 2016 - 8 h 50 min

Merci ! Zut, pas vu ton commentaire arriver ! J’espère que tu aimeras également. Parfois, on le trouve un peu trop « empathique », mais il aime les gens ordinaires et puis ça fait du bien de temps en temps de lire quelqu’un qui aime les humains et la Nature ! J’attends ton avis !

Océane 22 février 2016 - 21 h 53 min

Il est dans une petite pile au pied du lit ^^ j’ai pensé à toi en l’achetant, sérieux je t’identifie complètement à ce type d’auteur ^^

Electra 23 février 2016 - 8 h 51 min

Oh ton commentaire me fait rire ! Bon, me voilà étiquetée ! Mais j’aime bien cette idée, surtout si c’est avec Ron Rash 😉
Bon, moi, je serais curieuse de voir les autres livres de ta pile 😉

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