Un matin de Virginie, trois histoires de jeunesse ·William Styron

par Electra
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Un imprévu dans mon programme de lecture pour le challenge #maiennouvelles. J’ai retrouvé en arrivant à Québec le recueil de nouvelles de William Styron que j’avais laissé chez le Caribou l’an dernier. Du coup, j’ai craqué et je l’ai lu – et le Caribou a eu vite fait de l’acheter à son tour.

J’ai depuis longtemps chez moi le roman phare de William Styron, Le Choix de Sophie. Maintenant que j’ai découvert son style, il me tarde de le lire !

J’ai en effet adoré les trois nouvelles qui composent ce recueil inspiré de la jeunesse du jeune Paul Vanderhurst en Virginie. Dans la première nouvelle, Paul a tout juste vingt ans, dans la suivante, il en a dix et la dernière, au titre éponyme du recueil, il en a treize.  Le jeune Paul est fils unique. Il grandit dans les années 30, à l’époque de la Grande Dépression. Mais il est chanceux, son père, dessinateur, travaille pour la base navale. La montée du nazisme et la guerre sino-chinoise inquiètent le gouvernement qui se lance dans la construction de nombreux navires de guerre. Le petit Paul grandit auprès d’un père sérieux, Presbytérien et d’une mère originaire du Nord, née en à Vienne, pianiste et chanteuse d’opéra. Cette dernière est malheureusement malade. N’oublions pas Florence, leur domestique noire et une infirmière qui sera présente pour accompagner la mère de Paul dans ses derniers mois.

Le petit Paul est livreur de journaux, il fait la tournée de son village, en écoutant en cachette ses parents se disputer et en voyant sa mère s’amenuiser et son père déprimer, impuissant face à la maladie de son épouse.  Dans Z comme zéro, Le petit Paul grandira et s’engagera dans les Marines, direction le Pacifique. Le voici entrainé à tuer, à combattre lorsqu’il apprend que son navire fera une manoeuvre de diversion et n’ira pas vraiment au combat – il se remémore alors son enfance et en particulier son père, et son enfance en Virginie.

Dans la deuxième nouvelle, Shadrach – ma préférée des trois, Paul passe tout son temps chez les Dabney. Ces derniers l’attirent malgré leur légendaire puanteur (les sept enfants ne se lavent pas). Ancienne famille notable de la région, les Dabney ont tout perdu lorsque leur aïeul a choisi d’arrêter ses études et d’épouser une fille métis. Les années ont passé et à présent, leur propriété tombe en ruines. Mais tous les ans, la petite famille s’entasse dans la vieille auto, en ajoutant Paul, direction leur « maison de campagne ». Alors qu’il joue aux billes avec l’un des garçons, il remarque l’arrivée d’un homme noir très âgé.

Ce dernier est « le plus noir » qu’il n’ait jamais vu, avec un grand sourire. Mais l’homme, vacillant, n’a pas le temps de se présenter, qu’il s’écroule, écrasé par la chaleur. Tous les Dabney sortent et s’occupent de lui, le père l’arrosant puis en le montant dans une des chambres. Rappelez-vous : nous sommes en 1933, dans le Sud. Les Dabney sont une ancienne famille aristocratique du Sud et Shadrach, qui leur annonce avoir 99 ans, leur dit qu’il était un esclave sur leur plantation. Le vieil homme a marché pendant presque trois mois pour venir mourir sur la terre des Dabney, celle où il est né avant d’être vendu à un nouveau propriétaire en Alabama. Pourquoi vouloir revenir ? Un texte très touchant et empreint d’humanité.

Dans la dernière,  Un matin de Virginie, Paul a grandi et sa mère vit ses derniers instants. Les temps son très difficiles et Paul n’a plus l’esprit à travailler. Un matin alors qu’il part livrer les journaux, il abandonne son travail et se fait vilipender par son patron. Mais Paul a compris que sa mère va bientôt partir. Sa mère qui jouait du piano et qu’on venait écouter chanter et qui se meurt dans d’atroces douleurs. La colère et l’impuissance du père, et la fin de l’innocence pour Paul dans cette dernière nouvelle.

William Styron dresse un portrait tout en subtilité de son enfance et du Sud. L’omniprésence de l’auteur est palpable, le village de son enfance, la palette d’émotions qui traversent Paul : la tendresse, la colère et l’angoisse face à la mort. Il donne la voix à ceux qui n’en ont pas et offre à chacun, noir, blanc, domestique ou militaire, du respect et de la dignité humaine. L’homme est profondément humaniste, réfute la violence et le racisme.

Enfin, sa prose est impressionnante, car l’auteur sait parfaitement reproduire le langage familier (adulte et enfant) tout en offrant au lecteur un style soutenu. Un gros coup de coeur pour cet écrivain et son univers. Dorénavant, il me faut toutes ses autres oeuvres !  Caribou, va falloir te battre pour te saisir avant moi de ses livres !

♥♥♥♥

Editions Folio, A tidewater morning, trad. Maurice Rambaud, 1996, 224 pages

Et pourquoi pas

7 commentaires

Mai en nouvelles : 2E édition les chroniques - la nuit je mens 20 mai 2019 - 12 h 18 min

[…] Larry Brown, Gallimard Surtout rester éveillé, Dan Chaon, «Terres d’Amérique», Albin Michel Un matin de Virginie, trois histoires de jeunesse de William Styron, Editions Folio Elephant & other stories, Raymond Carver, Vintage About love […]

Jerome 22 mai 2019 - 7 h 01 min

J’aime ton enthousiasme ! Pour un auteur que je n’ai jamais lu en plus, c’est terriblement tentant.

Electra 22 mai 2019 - 21 h 25 min

merci ! je pense qu’il te plairait !

Ingannmic 24 mai 2019 - 8 h 56 min

Le choix de Sophie a été un des grands moments de lecture de mon adolescence, un roman dense, et très prégnant… je n’ai pourtant jamais relu cet auteur. Ce recueil pourrait être l’occasion idéale.

Electra 26 mai 2019 - 20 h 08 min

Oui ! du coup, j’ai acheté un autre de ses romans ! Tu vas aimer la qualité de son texte !

Titezef 15 juin 2019 - 22 h 25 min

Encore une tentation 😁

Electra 16 juin 2019 - 11 h 01 min

Oui et ça me fait penser qu’il faut que je lise ses autres romans !

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