Colorado Blues • Kent Haruf

par Electra
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Après avoir volé mon coeur l’an dernier avec le Chant des Plaines (suivi des Gens de Holt County), il me tardait de retrouver l’oeuvre de Kent Haruf. C’est chose faite ! Me voilà donc de retour à Holt, petite ville du Colorado, dans les plaines, loin des montagnes rocheuses. J’étais ravie de découvrir que le livre était paru en France (à un tout petit prix) même s’il a fallu le commander en ligne (la parution datant de 2006) et choisir comme point de relais, un bar-tabac assez éloigné de mon domicile. Mais Kent Haruf mérite vraiment tout ce détour !

Where you once belonged, titre original de ce roman, raconte l’histoire d’un beau parleur, Jack Burdette, enfant du pays, héros au lycée, directeur de la coopérative agricole et qui s’est volatilisé le dernier jour de décembre, avec plus de 150 000$ volés à la coopérative. L’homme a abandonné sa femme Jessie, enceinte et ses deux enfants.  Mais huit ans plus tard,  l’enfant terrible est de retour au pays.

C’est le narrateur, Pat Arbuckle, rédacteur en chef du journal local, qui nous raconte toute la vie de Jack Burdette, de son ascension et de sa chute. A travers lui, le romancier raconte en filigrane la vie dans ces petites bourgades où tout le monde se connaît, se salue et où le temps semble passer toujours plus lentement. Kent Haruf est un génie, je n’ai plus de doute sur le fait qu’il s’agit là d’un auteur majeur de la scène littéraire américaine. Le chant des Plaines qui l’a rendu célèbre, n’était pas donc un moment de génie dans sa carrière, comme pour certains auteurs ou musiciens qui ne retrouvent plus jamais cet instant de grâce, il le prouve ici avec une facilité déconcertante.

Wanda Jo est bel et bien morte ce jeudi matin d’avril. Je ne veux pas dire qu’elle se soit tranché les veines avec un rasoir pour filles qu’elle trimballait par hasard dans son sac, ni qu’elle ait fait quoi que ce soit d’aussi suicidaire que de se poignarder avec une lime à ongles. Je veux seulement dire qu’elle cessa de s’intéresser à ce qui pouvait lui arriver. (p.115)

Kent Haruf m’a donc ramenée à Holt, cette ville imaginaire où se passent toutes ces histoires. Et quel bonheur d’y retrouver la boulangerie, le fameux bar du coin, la coopérative agricole et ces habitants. Attention, il ne fait jamais référence aux frères McPheron, ni à aucun autre personnage de ses précédents romans, mais la ville est bien là. Et ce talent de conteur, il me fait penser à Guthrie, il écrit sur les petites gens, des vies simples, loin du brouhaha de la ville. Mais la grâce est ici remplacée par les écueils de cette vie en communauté où tout le monde se connaît. La trahison de Burdette est vécue comme un drame par l’ensemble de la communauté, qui finit par s’en prendre à son épouse, la discrète Jessie. Cette dernière pas une enfant du coin. Elle vient d’Oklahoma, n’a aucun ami et se retrouve bientôt au centre de toute l’attention et de la malveillance des habitants, qui à travers elle, ne voient que Burdette. Mais le temps passe, les mois, puis les années. La vie reprend son cours. Celle de Jessie, mais aussi celle de Pat, le narrateur. Holt connait ainsi des moments de grâce.

Alors ravi de tout ça, peut-être même un rien satisfait de sa propre place dans le grand schéma universel, il avait dû se mettre à chanter. C’était en effet un chanteur formidable quand il était saoul. Résultat, lorsqu’il était arrivé aux voies de chemin de fer au centre de la ville, il n’avait absolument pas entendu le train et il ne l’avait pas davantage vu approcher. (p.41)

Les personnages de Kent Haruf sont en majorité des gens simples, pudiques et toujours en retrait. Les émotions sont contenues, les passions humaines sont racontées avec pudeur et sobriété. Haruf est un magnifique conteur et un compteur de mots, un roman court mais ici les silences valent souvent plus que les mots. Haruf c’est du baume au coeur. 

Cependant, contrairement à ses précédents romans, j’ai trouvé ce roman nettement plus sombre, le retour de Burdette signe la fin d’une époque, d’une parenthèse. L’angoisse monte et la fragilité du bonheur est particulièrement exacerbée. Résultat je n’ai pas lâché le livre et je l’ai lu d’une traite ! J’ai failli me tromper de personnage principal. Je vous laisse comprendre cette phrase en lisant le livre.  Je me suis sentie, comme à chaque lecture de ses romans, comme abandonnée à la fin. Holt s’éloigne et pourtant je n’ai pas envie de quitter le Colorado !

Il me reste encore trois romans à lire (qui n’ont pas été traduits encore en français, heureusement je peux les lire en anglais mais que font les éditeurs??), je vais essayer de prendre mon temps pour profiter des ces instants de grâce lorsque mon coeur en fera la demande. Kent Haruf nous a malheureusement quitté trop tôt, en novembre 2014 à l’âge de 71 ans.

J’ai lu ce roman dans le cadre du challenge 50 États 50 romans, État du Colorado.

♥♥♥♥♥

Editions Pavillons Poche, Laffont, trad.Anouk Neuhoff, 271 pages

Et pourquoi pas

12 commentaires

keisha 27 janvier 2016 - 11 h 36 min

Je n’en ai qu’un sous la main, que j’ai lu, alors finalement je me demande si le plus simple n’est pas de les lire en VO carrément, tant qu’à les acheter! En passant par un site en ligne, eh bien tant pis!

Electra 27 janvier 2016 - 11 h 41 min

Seuls celui-ci, le Chant des Plaines et les Gens de Holt County ont été traduits. Souhaitant tout lire de cet auteur, que j’adore, j’ai donc commandé les autres en anglais sur un site en ligne.
Je ne l’ai pas encore lu en anglais, mais si tu peux aussi lire en vo, pourquoi pas ? Son style est simple mais flamboyant ! Je l’aime tellement, je ne suis pas du tout objective 😉

keisha 27 janvier 2016 - 18 h 53 min

Voyons, mais oui je peux lire en anglais, ma dernière tentative c’est Ulysses (je suis vite repassée au français, déjà coton tout seul). J’ai plein de Pym en vO sur mes étagères (commandées en librairie)

Electra 28 janvier 2016 - 9 h 48 min

le style de Kent Haruf est très agréable, fluide – ça devrait passer comme une lettre à la poste ! ah cette fameuse Mme Pym 😉

Jackie Brown 27 janvier 2016 - 16 h 28 min

Encore un billet enthousiaste de ta part. Il me tarde de découvrir cet écrivain « de chez moi ».

Electra 27 janvier 2016 - 16 h 41 min

Oh oui ! Lis bien les livres dans l’ordre et embarque toi vers le comté imaginaire de Holt County
attention on devient accro 😉

Jackie Brown 27 janvier 2016 - 23 h 43 min

A cause de mon accident de Kindle en novembre, je dois attendre pour récupérer le premier à la bibliothèque. Mais je les lirai dans l’ordre.

Electra 28 janvier 2016 - 9 h 47 min

Un accident de Kindle ? Oui, Marie-Claude les a lus à dans l’ordre inverse – je parle surtout du Chant des Plaines (Plainsong) et des Gens de Holt County. Car là on retrouve les mêmes personnages, après on reste toujours dans le fameux comté de Holt au Colorado

Jerome 28 janvier 2016 - 12 h 09 min

Pourquoi est-ce que je n’ai jamais entendu parler de cet auteur qui a pourtant tout pour me plaire ??????????

Electra 28 janvier 2016 - 20 h 30 min

C’est effectivement un vrai mystère ! Il est grand temps de réparer cette erreur mon cher !!!!! 😉

Marie-Claude 29 janvier 2016 - 2 h 55 min

Je le garde précieusement dans ma PÀL. Tu te doutes bien que j’ai été incapable de lire ton billet en diagonale. Je l’ai dévoré! J’ai trop hâte de retourner à Holt. Mais je patiente, le gardant en réserve pour un trou noir lecture, lorsque les déceptions s’accumulent. Le fait que ce roman soit plus sombre ne me gêne aucunement. Je lirai même une romance bien sucrée si elle était écrite par Kent Haruf!
La bonne nouvelle: j’apprends qu’il reste trois romans non encore traduits? Comme je ne lis pas en anglais, je vais devoir faire pression! Traducteurs, de grâce, proposez ces titres.

Electra 29 janvier 2016 - 9 h 24 min

Oh tu as craqué ? mais je comprends, comment résister à Kent ???? Sa mort prématurée, comme celle de Tapply est terrible (je lis Tapply en ce moment).
Oui, ça fait chaud au cœur de retourner à Holt ! et tu as raison de le garder de côté ! Avec lui, on se sent comme dans du coton
Oui, je me demande ce que font les traducteurs ! Moi je peux lire en anglais, mais de voir ses romans non traduits, je trouve ça incroyable !

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