Un jour tu raconteras cette histoire ∴ Joyce Maynard

par Electra
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« Un jour, tu raconteras cette histoire », lui avait dit Jim avec tendresse. C’est chose faite. Joyce Maynard avait 57 ans et ne croyait plus trop en l’amour lorsqu’elle a croisé le chemin de Jim. Une conversation téléphonique qui va durer quatre heures et un déjeuner tout aussi intense. Ils ne sont plus quittés. Pour Joyce, la femme indépendante, divorcée depuis 25 ans, Jim est la rencontre inespérée. Il l’accepte comme telle, avec tous ses défauts, ses angoisses. Elle lui raconte ses échecs, en particulier celui de l’adoption, deux jeunes éthiopiennes qu’elle a gardées huit mois auprès d’elle. Elle ne lui cache rien, et de son côté Jim fait de même.

A leurs âges, ils ont la sagesse de reconnaître leurs erreurs et l’espoir de vivre ensemble leurs dernières années. Leur amour est très fort, il aime prendre la route et elle aime le suivre dans ses virées en Porsche ou à moto. Aller à des festivals de musique, l’entendre jouer de la guitare et jouer les avocats à succès. Elle lui fait découvrir sa cachette au Guatemala, ils se baignent nus dans le lac de la maison du New Hampshire et dénichent la maison de leur rêve en Californie. Lorsqu’il la demande en mariage, l’irréductible amazone accepte. Elle se souvient avec tendresse de cette journée, malgré la réticence des enfants de Jim, ils sont si beaux ensemble. Si bien. Ils ont la tête plein de projets et Jim accepte que sa femme parcourt le globe pour présenter son dernier livre ou animer des ateliers d’écriture. Ils adorent la France (Paris et la Provence). La vie est belle.

Ils sont mariés depuis à peine un an lorsque Jim montre des signes de fatigue, en lisant ce récit, on comprend que son humeur changeante est liée à ces douleurs abdominales qu’il cache. Mais un jour, elle est trop forte et ils doivent aller aux urgences. Le verdict est sans appel : Jim est atteint d’un cancer du pancréas, en phase 4 (terminale). Ce cancer est l’un des plus meurtriers car il ne peut être détecté qu’à un stade très avancé.  Mais Jim refuse d’entendre le verdict et lui et Joyce décident de se battre ensemble contre la maladie. La solution : une intervention chirurgicale très risquée, le Whipple. Joyce arrête d’écrire et se consacre entièrement à son époux. Elle utilise ses trois panneaux blancs, habituellement réservés aux plans de ses romans, pour y noter toutes les infos. Son récit est impressionnant : elle passe ses journées sur Internet, trouve des groupes de soutien et repère les meilleurs hôpitaux et médecins du pays. Les voici en route pour Boston, Los Angeles ou New York. Puis elle déniche un Dr Maracle (dont le nom sonne affreusement proche du mot « miracle ») qui propose à 6 000 $ la dose, un traitement censé stopper le cancer. Le couple accepte. Mais la maladie avance. Il faut arrêter la chimiothérapie pour suivre ce nouveau traitement, est-ce le bon choix ?

Joyce m’a vraiment impressionnée en me faisant comprendre à quel point les gens sont seuls face à la maladie, et surtout face aux choix des traitements qu’on leur propose. Quelle est la bonne solution à adopter ? Finalement, ils décident de repartir vers un traitement plus conventionnel, Joyce a déniché le meilleur chirurgien qui opère Jim. L’opération est un succès, ou presque. Deux nodules sont cancérigènes sur les 36 retirés. Deux. Le traitement continue mais cette intervention a beaucoup diminué Jim qui ne peut plus digérer aucun aliment sans prendre deux médicaments qui coûtent cher. La perte de poids continue, et peu à peu Jim change. La malade l’a atteint physiquement et moralement. Mais jamais, il n’en discute. Il ne refuse aucun traitement et écoute Joyce qui continue ses recherches et l’emmène aux quatre coins du pays. Ils continuent de parler du futur, et continuent de voyager, l’Europe, le Guatemala.

Jim a rejoint un groupe de soutien constitués d’autres hommes atteint du même cancer, chacun suit un traitement et lutte à sa manière. Joyce a trouvé en Facebook de nombreux soutiens anonymes, dont deux femmes dont les maris sont aussi atteints de la même maladie. Mais un jour, Jim tombe gravement malade. C’est une infection, cette dernière prend une forme différente chaque jour, staphylocoque un jour, elle devient une autre bactérie le lendemain. Les semaines d’hospitalisation s’enchainent et Jim ne veut qu’une chose : être présent au mariage de sa fille. L’infection cache un mal plus pernicieux : le retour du cancer. Et là, les médecins n’ont plus rien à offrir.

Ce qui m’a marqué, dans ce récit intense, que je n’ai pas pu lâcher (lu en deux fois), c’est la volonté folle qui animait de Joyce de se battre pour son mari. Le temps, les efforts, consacrés à ce combat. Et comme à chaque récit, j’admire son honnêteté. Elle n’avait pas saisi le sens du mariage jusqu’au diagnostic de la maladie. Elle n’aimait pas le terme d’époux jusqu’à ce que son mari tombe malade. Tout a pris un sens. Elle en parle très bien lors de la rencontre que j’ai eu la chance d’avoir avec elle, et dont je vous parle demain dans une autre chronique. Elle est devenue une épouse le jour où ce foutu cancer s’est montré.

L’autre point très fort du récit est le fait qu’elle ne cache rien de ce combat de 19 mois, alors oui, âmes sensibles, passez votre chemin, car le cancer du pancréas touche le foie, les intestins, la digestion. Les diarrhées, la perte de poids, les perfusions, tout y passe – chaque journée devient un combat sans fin contre un ennemi invisible. Et je l’admire lorsqu’elle évoque ouvertement les idées noires, qu’elle partage alors sur son groupe de soutien et qui lui vaudra, encore une fois des critiques acerbes. Ces idées noires? Réaliser tout simplement que tout ce qu’elle avait imaginé pour eux (il est tombé malade un an à peine après leurs voeux) n’arrivera pas. Et maudire la terre entière, et puis pester contre ses journées où elle est devenue une coach, une infirmière et où sa vie de femme, d’écrivain a disparu. Etre pendant quelques minutes égoïste. Non, l’épouse d’une homme cancéreux n’a pas la droit de se plaindre. La société américaine le refuse.

Jim était un homme formidable, il l’a exprimé à plusieurs reprises : il rageait de voir que sa femme avait perdu le goût d’écrire à l’annonce de sa maladie. Il en était frustré, plus que Joyce. Il l’a encouragée, au début de la maladie, à continuer ses ateliers, à aller en France faire la promotion de son dernier roman. Il aimait la femme mais aussi l’écrivain. Et ce sont ses mots que l’éditeur français a choisi pour le titre : un jour, tu raconteras cette histoire. Joyce en est très touchée.

Evidemment, le lecteur connaît déjà la fin du livre, mais leur combat est admirable – Jim a voulu y croire jusqu’au bout et Joyce a accepté son choix. Il a souhaité que le médecin s’adresse à elle, pas à lui. J’avoue que ma lecture a été affectée par ma rencontre avec Joyce, car j’ai lu le livre deux jours après. J’avais encore sa voix en tête, lorsqu’elle a lu le premier chapitre, ses mots sur Jim, et les images de leur mariage. Le Jim n’était pas un personnage de roman, mais un être bien en chair que l’on voit peu à peu s’effacer sur les images. Son regard se creuse, se fait plus lointain comme elle le dit si bien. Il voit une autre vérité.

Et puis j’admire toujours la farouche volonté de vivre de Joyce Maynard, Jim le savait. Joyce a perdu ses deux parents dont sa mère d’une tumeur au cerveau, au moment son époux la quittait pour une autre, puis son échec de l’adoption, et néanmoins elle continue sa route. Her journey, son chemin de vie. Si je dois retenir une chose de ce récit, c’est la joie de vivre qui les a accompagnés tout au long de leur combat, leur amour de la nature, du coucher de soleil au verre de vin, à la voix éreintée de Bob Dylan. Je l’imagine chevaucher sa moto et partir au lointain, au coucher de soleil.

Merci Joyce 😉

♥♥♥♥♥

Éditions Philippe Rey, The best of us, trad. Florence Levy-Paoloni, 2017, 432 pages

 

Et pourquoi pas

14 commentaires

Laurence 9 octobre 2017 - 7 h 50 min

Merci pour ce résume , je vais vite le réserver à la bibliothèque! j adOre l écrivain que j ai découvert avec son opus les règles d’usage -que j ai dévoré . J envoie le lien à ma maman qui aime également beaucoup cet auteur.
Laurence

Electra 9 octobre 2017 - 9 h 05 min

De rien ! Merci c’est une personne formidable également j’ai adoré Et devant moi, le monde également

Laeti 9 octobre 2017 - 9 h 48 min

Tout à fait d’accord avec les points positifs de ce roman que tu soulèves. Mais la deuxième partie de ce roman, a été pénible et longue pour moi, même si j’étais super accrochée au début. Il y a vraiment beaucoup de détails sur les opérations, les traitements, tous les rendez-vous médicaux, les effets secondaires, … Bien entendu, j’ai aimé le message général de ce roman, l’amour, le soutien, l’accompagnement, le courage…
Ce que j’ai particulièrement apprécié, c’est de découvrir la personnalité hors-norme de Joyce Maynard, la femme, l’épouse. Pour les fans, c’est un récit à lire.

Electra 9 octobre 2017 - 10 h 22 min

Je te comprends, j’étais étonnée de voir à quel point elle est rentrée dans les détails dans la deuxième partie mais je pense qu’elle souhaitait « mettre à nu », être honnête face à au combat : montrer tout ce que cela implique et moi aussi, certains passages étaient plus difficiles (elle n’épargne rien au lecteur) mais c’est sa marque de fabrique, l’honnêteté. Ma mère m’a dit que le cancer du pancréas est vraiment violent et compliqué. Mais je te rejoins sur la personnalité hors norme de Joyce Maynard, une survivante et un exemple à suivre !
Tu devrais aimer mon billet qui va paraître demain (récit de notre rencontre) 🙂

Fanny 9 octobre 2017 - 10 h 58 min

On sent à te lire que ce roman t’a happée!
Je ne le lirai pas mais j’ai aimé lire le résumé que tu en as fait, ça me suffit.

Electra 9 octobre 2017 - 11 h 10 min

Merci ! oui un récit très fort qui m’a beaucoup touché, car il touche un sujet qui me parle (pas le cancer, mais le deuil et surtout la vie d’après) mais oui et puis j’aime sa manière d’écrire.

Valérie 9 octobre 2017 - 17 h 55 min

Je ne suis pas très tentée par ce livre mais j’aime bien cette femme que j’ai rencontrée dans une librairie rouennaise et qui respire la joie de vivre.

Electra 9 octobre 2017 - 18 h 45 min

Il ne faut jamais se forcer et plein de bons livres nous attendent ! Oui malgré ses soucis elle respire la joie de vivre et sa compagnie est très plaisante

Marie-Claude 9 octobre 2017 - 23 h 46 min

Je vais bien finir par le lire, même si le sujet risque de m’éprouver. J’attendrai toutefois sa parution en poche. Hâte à demain pour lire cette fameuse rencontre, avec, je l’espère, une photo des bottes!

Electra 10 octobre 2017 - 7 h 12 min

C’est amusant car elle adore ses bottes 😉 Oui, c’est une lecture éprouvante mais toujours lumineuse avec le recul nécessaire et bienvenu.

Jerome 10 octobre 2017 - 12 h 26 min

Ce doit vraiment être une témoignage magnifique d’où se dégage beaucoup d’amour. Et quelle abnégation !

Electra 10 octobre 2017 - 14 h 13 min

Oui la plus belle déclaration d’amour

chinouk 11 décembre 2017 - 14 h 44 min

Un livre qui m’a profondément marquée. je ne pleure rarement avec un livre, mais celui-là m’a tiré quelques larmes. Un beau témoignage et une très belle preuve d’amour. J’adore cette auteure.

Electra 11 décembre 2017 - 16 h 06 min

Moi aussi ! Et elle parle si bien français

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