The Brothers (the road to an American tragedy) · Masha Gessen

par Electra
4,5K vues

L’avantage de suivre des challenges : faire diminuer sa PAL ! J’avais ce livre depuis plusieurs mois sur une étagère et je l’ai sorti pour le lire dans le cadre du mois dédié à la Non Fiction. Et quelle bonne idée, j’ignorais que j’avais un trésor sous mes yeux !

J’ai presque saisi mon iPhone pour faire une vidéo et vous en parler de vive voix, tellement j’ai aimé ma lecture. Pourtant le sujet n’a rien de bien folichon : Masha Gessen, une journaliste américaine d’origine russe s’est lancée dans une grande enquête sur les frères Tsarnaev. Leur nom ne vous dit rien ? Rappelez-vous : Boston – 15 avril 2013. La ville est en pleine effervescence, les derniers coureurs du marathon passent la ligne d’arrivée. Le public est nombreux à les applaudir lorsque deux bombes explosent, tuant trois personnes et en blessant plus de 264 autres.

Après avoir identifié les deux poseurs de bombe, une gigantesque chasse à l’homme est organisée dans la ville.Tous les habitants sont priés de s’enfermer. Les rues sont désertées. Un ami contacté par Facebook me racontera ses heures d’angoisse. Tamerlan, l’aîné des frères Tsarnaev est tué après un échange de tirs, son plus jeune frère, Dzhokhar, est capturé deux jours plus tard. Deux ans plus tard, le jury se réunit et le condamne à mort. Mais la question essentielle n’est jamais ressortie : pourquoi ? La journaliste décide de mener sa propre enquête. Et c’est captivant du début à la fin.

Les médias se sont très vite emparés de l’affaire et ont réduit les deux jeunes hommes à des terroristes tchétchènes. Mais ils ont tort. Si Tamerlan n’a jamais eu la nationalité américaine, Dzhokhar, arrivé très jeune en Amérique, à l’âge de neuf ans, l’a obtenue. Excellent élève, il était étudiant à l’université du Massachusetts lorsque l’attentat a eu lieu. Et si leur famille est d’origine tchétchène, ils n’ont jamais vécu en Tchétchénie. D’une mère née au Dagestan, et d’un père d’origine tchétchène né au Kirghizistan, les deux enfants sont le pur produit du Caucase en perpétuelle guerre. Leurs ancêtres ont été expulsés de leur région vers le Caucase par Staline lors de terribles purges. Le Caucase s’enflammera à nouveau dans les années 90 lors de la Pérestroïka, lorsque la Tchétchénie, une région autonome (et non une République) tentera d’obtenir son indépendance. Les Tsarnaev ne se sentaient en sécurité nulle part, et voyant leurs amis s’exiler les uns après les autres en Amérique, ils décidèrent de faire de même. Les parents s’envolèrent d’abord avec leur plus jeune fils, Dzhokhar, et confièrent leur ainé, Tamerlan et leurs deux filles à de la famille située dans une région du Caucase. Tamerlan changera plus de sept fois de lieux de vie (et de pays) avant de rejoindre sa famille cinq ans plus tard. A cette époque, les attentats commis par des Tchétchènes explosent en Russie (souvenez-vous de l’école ou de l’opéra…). La journaliste raconte les années qui suivent et témoigne des difficultés croissantes de la famille et le désir des parents de retourner vivre dans leur pays d’origine.

L’enquête est passionnante du début à la fin. Le début est un peu ardu avec le retour sur les guerres qui ont secoué le Caucase et les nombreux déménagements des Tsarnaev. La journaliste  va mener une longue investigation là-bas, rencontrer leur famille et leurs proches. La deuxième partie, celle juste après les attentats est toujours aussi captivante même si l’on croit connaître la fin. Car la journaliste revient sur les autres et là j’ai découvert tout un pan de l’histoire que j’ignorais. Dzhokhar avait toute une bande d’amis, des étudiants américains et d’origine étrangère. En découvrant leur ami sur les images vidéos qui circulent sur tous les médias, ils refusent d’imaginer une seule seconde qu’il s’agit de leur ami qui aime fumer de l’herbe. Ils tentent de le contacter et se rendent à sa chambre universitaire. Son coloc accepte de leur ouvrir. Dzhokhar finit par leur répondre, en restant vague mais en leur disant qu’ils peuvent se servir car il ne reviendra pas. Les amis fouillent ses affaires et emportent plusieurs choses. Sans le savoir, ils sont devenus complices d’un terroriste.. ..

Le FBI, les services secrets américains vont venir détruire le peu de ce qu’il restait de la famille Tsarnaev. Je n’en dirais pas plus, mais j’ai été totalement captivée par l’enquête et la réflexion très directe de la journaliste. Car si elle cite ses sources, et n’invente rien, elle prend néanmoins une sorte de parti pris : en allant à l’encontre des bien-pensants et en choisissant de donner une voix à leurs proches. De nombreuses questions demeurent sans réponse et la journaliste compare ici le système judiciaire américain pour qui un coupable suffit à la justice française qui mène aussi une recherche de vérité. La justice américaine n’enquêtera jamais sur la manière dont les frères ont préparé l’attentat, où ils se sont procurés le matériel et quelles étaient leurs motivations.

Décidément, les livres d’investigation, lorsqu’ils sont aussi bien écrits, correspondent en tout point à mes attentes. Un excellent moment de lecture. Trois autres de ses livres ont été traduits en français, malheureusement celui-ci attend toujours son tour.

♥♥♥♥♥

Editions Riverhead Books, 2016, 320 pages

Et pourquoi pas

14 commentaires

keisha 27 novembre 2019 - 13 h 33 min

C’est vrai en France on enquête en général à fond (et t’as pas intérêt à âtre le cousin du beau frère…)

Electra 27 novembre 2019 - 18 h 37 min

ici c’est étonnant, les images vidéo et le sac à dos ont suffi. Qu’importe leur motivation..

Jérôme 27 novembre 2019 - 13 h 58 min

Tu deviens une vraie amatrice du genre ! Perso j’ai beaucoup plus de mal avec ce genre d’enquête.

Electra 27 novembre 2019 - 18 h 38 min

Oui, disons qu’ici on replonge dans le Caucase et ça me rappelle mes études de russe – mais oui, j’adore ce genre – ça te permet d’appréhender un événement d’un autre oeil, pas uniquement via les articles à la télévision. Passionnant !

Marie-Claude 28 novembre 2019 - 4 h 24 min

Tu me l’as bien vendu, tant ici que de vive-voix. Reste à attendre la traduction. La couverture anglaise est magnifique!

Electra 28 novembre 2019 - 21 h 22 min

Oui, je l’adore ! j’aime beaucoup ce format de livre. Il est passionnant et j’aime son point de vue.

Fabienne 28 novembre 2019 - 12 h 53 min

J’adore la non fiction et les enquêtes d’investigation! Je note donc (c’est un format poche? Je le lirai volontiers en anglais)

Electra 28 novembre 2019 - 21 h 23 min

Oui, tu peux le lire en anglais, un récit très prenant ! Je n’avais qu’une envie : y retourner tout le temps 🙂

Fabienne 28 novembre 2019 - 12 h 54 min

J’adore la non fiction et les enquêtes d’investigation! Je note donc (c’est un format poche? Je le lirai volontiers en anglais).

Electra 28 novembre 2019 - 21 h 23 min

tiens un doublon !

Autist Reading 29 novembre 2019 - 17 h 46 min

Y’a pas à dire : t’es fortiche pour vendre ce qui paraît à première vue invendable (et surtout inachetable). Tant et si bien que je vais aller y voir de plus près, feuilleter voir si j’accroche, avant de m’y plonger… plus tard.

Electra 29 novembre 2019 - 20 h 25 min

ah merci pour ton commentaire ! Tu m’as fait sourire ce soir. Tant mieux si ça marche, et même si le sujet peut rebuter, oui c’est passionnant (du coup je veux lire sa bio sur Poutine)

Eva 9 décembre 2019 - 16 h 41 min

comme toi j’adore les livres d’investigation ! et celui-ci me tente vraiment, je pense que je serais bien accrochée… j’espère qu’il sera traduit en français!

Electra 9 décembre 2019 - 18 h 28 min

Oui, je pense qu’il te plairait bien ! L’écriture est là, l’histoire aussi – vraiment une excellente surprise ! J’espère qu’ils vont s’y atteler, pourquoi ne pas le traduire alors que le sujet nous parle aussi (le terrorisme, l’immigration, etc.) ?

Les commentaires sont fermés