Martin Eden · Jack London

par Electra
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En sortir en 2020, un challenge qui m’a permis de sortir plusieurs grands classiques de mes étagères. Le suivant était donc Martin Eden, Inganmic m’avait alors proposé de le lire ensemble. J’avais noté notre LC pour le 25 juillet, à une semaine près j’étais bonne ! Ma lecture est terminée et que se passe-t-il ?

J’ai acheté cinq nouvelles de Jack London relatant les aventures de ces hommes partis chercher fortune dans le grand nord. Et j’ai adoré ce court recueil. J’étais donc de bonne humeur en m’attaquant à son roman phare. J’avais entendu dire que l’auteur s’était en parti inspiré de sa propre vie. Je pensais donc à un roman mêlant aventures et littérature. Bien mal m’en a pris. J’ignorais tout de l’histoire d’amour et de l’ascension de ce Martin Eden.

Autant être honnête : j’ai hâté la fin de ce roman tellement je ne le supportais plus. Il me rendait folle. Me voilà heureuse de pouvoir le refermer et ne plus jamais avoir à le relire. Pourquoi ? En premier lieu, Jack London m’a quelque peu rassuré à la fin lorsque son personnage a enfin compris qu’il avait totalement idéalisé Ruth, en fait il en avait fait un être irréel, qu’il avait modelé à sa convenance. Forcément, la véritable Ruth ne pouvait lui plaire. Et on assiste peu à peu, à cette réalisation. Il a idolâtré une jeune femme en lui enlevant toute consistance. Et lorsqu’il réalise qu’elle est effectivement modelée par le milieu bourgeois, il ne la supporte plus. Et pire, il l’excuse. Depuis quand doit-on culpabiliser d’être né riche ? ou bourgeois ? D’avoir eu une éducation ? Avoir conscience que cela n’est pas le cas pour tous, oui mais s’entendre dire à chaque fois qu’on ose émettre une opinion ou une idée et s’entendre immédiatement traiter de perroquet au service de la diabolique bourgeoisie, quelle horreur ! Il dit l’aimer mais ne cesse de lui reprocher ce qu’elle est. Et pourtant, c’est bien son milieu bourgeois qui a attiré Martin Eden comme un aimant. Il rêvait de ce monde-là. Il est aisé et normal de comprendre son envie de gagner mieux sa vie, mais le résultat…

Il avait commis l’erreur insigne de confondre éducation avec intelligence.

Martin Eden va, en réalisant son rêve, perdre tout. Soit, on a compris le message. La chute sera vertigineuse. Martin ne sent plus chez lui nulle part, chez ses anciens amis de beuverie, ses amis bourlingueurs, marins, ni dans ce monde bourgeois qu’il exècre au fond. Mais pourquoi passe-t-il son temps à leur mettre tout sur le dos ? Je n’aime pas Martin Eden. 

Mon gros problème fut l’idée incroyable qu’un garçon qui a quitté l’école très tôt, s’est engagé comme marin, a fait le tour du monde, a bourlingué sur les cinq continents, a fait mille métiers arrive à l’âge de 20 ans seulement en ayant déjà fait tout cela. Il a connu des femmes il y a des années, bref, il aurait 30 ans, soit mais 20 ? Et miracle, en lisant jour et nuit, sans l’aide d’un professeur, il arrive en un an à lire les plus grands philosophes, et pas seulement à les lire, mais les analyser et dire à voix haute qu’il est plus intelligent que tous ces hommes. Qu’il a tout compris la vie. A 20 ans. Il ne respecte aucun des hommes qu’il rencontre, sauf pour un auteur caricatural. Il ne reconnaît plus la valeur de l’expérience, de l’âge. Ruth a fait des études mais apparemment elle est pour lui encore plus bête que ses pieds…. Lui, en lisant seul dans sa petite chambre, a déjà l’équivalent de trois doctorats !  Bref, un véritable génie. Imbuvable. Obnoxious. Infatué.  Il est si égocentrique, si imbus de sa petite personne. Une tête à claque. Rassurez-moi, c’était voulu ?

Mais à présent, je suis trop vieux : il me faut de la vérité, ou rien du tout.  (..) En dépit de leurs raisonnements philosophiques et de leurs ruses, la nature les rejette pour choisir l’homme exceptionnel. (…)  Il pensait à son amour défunt. Il ne l’avait jamais vraiment aimée, il le savait à présent. il avait aimé une Ruth idéale, un être éthéré, sorti tout entier de son imagination.

Pour tout dire, j’étais ravie que Ruth le quitte. Evidemment, lorsqu’elle lui donne des cours, elle ne peut s’empêcher d’avoir une forme de pitié,  elle n’est pas exempte de défauts. Mais elle a une personnalité et quand elle avoue ne pas toujours apprécier ses écrits, elle fait encore preuve d’honnêteté.  Et son jugement sur son refus d’attendre plus longtemps qu’il trouve le succès, l’idée qu’elle devait aimer le vrai Martin, pas la célébrité est ridicule. Elle l’a connue et aimée ainsi. Elle ne le retrouve que plus tard, mais ses sentiments, à elle, étaient honnêtes. Elle n’a jamais caché ses inquiétudes. Et elle avait le droit. J’ai deux amies qui ont rencontré des hommes qui ont couru toute leur vie après des chimères, et bien, quelle vie de m* pour leurs compagnes. Elles payaient tout. Elles les ont quittées après des années de galère. L »amour ne fait pas tout. Martin Eden n’avait rien compris de la vie.  Les grands auteurs ont tous fait des petits boulots, et leurs oeuvres n’en sont pas moins immenses.

Ensuite lorsque Ruth lui eut expliqué son point de vue, il le comprit et le regarda comme une de ces faiblesses bien féminines dont toutes les femmes, même les meilleures, sont affligées.

 

Si Jack London voulait ici régler son cas à un homme qui se prétend génie et refuse le moindre compromis, alors il a réussi. Si, au contraire, il racontait ainsi une version édulcorée de sa vie, alors j’ai complètement loupé ma lecture. En lisant la préface, je pense être dans le deuxième. Ah oui, j’avais également oublié son refus du socialisme pour l’individualisme. En cela, il représente fort bien l’Amérique.  Bref, fort heureusement, j’ai eu de meilleures surprises avec ce challenge. Je me contenterai des récits d’aventure de Jack London. 

Inganmic a lu le roman tel que j’aurais aimé le lire. Elle a beaucoup aimé. Son billet est ici.

♥♥

Editions 10-18, 2012, 480 pages

Photo by davide ragusa on Unsplash

Et pourquoi pas

14 commentaires

Ingannmic 27 juillet 2020 - 9 h 54 min

Ah en effet, j’ai l’impression que nous n’avons pas lu le même livre, mais cette divergence est très intéressante… moi c’est Ruth que je ne supportais pas, et son incapacité à se mettre à la place des autres alors qu’elle justement censée être plus « cultivée » que Martin. Certains comportements de Martin, et certaines de ses réactions m’ont certes paru présomptueux, surtout dans la première partie, où effectivement il se montre très sûr de lui et fait même preuve d’un certain sentiment de supériorité, mais je l’ai mis sur le compte d’une naïveté qu’il perd peu à peu, en constatant qu’il est finalement inadapté au monde. Oui, il a rêvé d’atteindre ce milieu bourgeois qu’il a idéalisé, et réalise que c’est un monde souvent hypocrite et superficiel, qui s’attache davantage à la valeur mercantile des individus qu’à leurs qualités intrinsèques, ce qui m’a semblé plutôt réaliste… et j’ai compris sa rancune vis-à-vis de Ruth, qui ne s’intéresse finalement à lui que s’il accepte de se conformer à ce en quoi elle veut le transformer.

Mais je trouve assez rafraîchissant cet avis qui va à l’encontre de la plupart des lecteurs !

Bon il ne me reste plus qu’à découvrir ses récits d’aventure, et aussi ses romans « sociaux » qui m’intriguent assez… et à ajouter un lien vers ton billet !

(Et est-ce que tu penses être prête pour la LC de Danseur d’herbe ?)

Bon début de semaine,

Electra 27 juillet 2020 - 19 h 47 min

Oh la la ! moi c’est tout l’inverse ! Je n’ai pas supporté son sentiment de supériorité et son dédain envers celle qu’il déclare aimer. Il rejette tout ce qu’elle représente et ce qu’elle exprime. Elle est tombée amoureuse contre l’avis de ses parents d’un homme simple .. Bref, elle fait des efforts, il n’en fait aucun. Son éducation auprès d’elle, c’était son souhait à lui. Jamais le sien au départ. Il ne lui laisse jamais de répit. Et je ne vois pas en quoi elle devrait renier son milieu d’origine, qu’elle reconnaisses travers mais encore, personne, selon moi, ne doit se sentir coupable du milieu où il est né et a grandi.. Bref, on l’a lu .. à l’envers ! Je comprends mieux pourquoi tant de gens l’aiment alors que moi (comme une des dernières citations) j’ai vu un roman très machiste. Les femmes sont quand même supposées être moins intelligentes que les hommes…
Pour le danseur d’herbe, si c’est le 5 août oui, mais pas avant !!!

Ingannmic 28 juillet 2020 - 8 h 23 min

Oui oui j’ai bien noté le 5 août ! On verra si nos avis divergent encore…

Electra 28 juillet 2020 - 19 h 47 min

j’espère que non ! j’ai avalé 100 pages en une journée, plutôt bon signe 😉

Lili 27 juillet 2020 - 18 h 05 min

Mince alors ! Bon ben c’est clair, nous n’avons pas lu le même bouquin ! Le mien est similaire à celui d’Ingannmic 😉
Malgré cette déception, j’espère que tu trouveras ton bonheur une prochaine fois avec un autre récit de Jack London !

Electra 27 juillet 2020 - 19 h 48 min

Merci ! oui, si tu lis ma réponse à Inganmic, tu auras la confirmation. Je détesterai fréquenter un tel homme qui à 20 ans se croit capable de mieux connaître le monde .. LOL
Oui, je vais retourner aux aventuriers du grand nord avec les trappeurs et les indiens. Il me convient mieux. Là-bas, un type aussi vantard aurait été assassiné en deux jours …

flou 27 juillet 2020 - 23 h 06 min

Paradoxalement ça me donne envie de le lire pour me faire une idée!

Electra 27 juillet 2020 - 23 h 15 min

Excellent ! Oui, je comprends. Il semble que j’ai lu un tout autre roman. Comme si j’avais l’île reflet du livre dans un miroir. Je serai ravie d’avoir ton avis !

Fanny 28 juillet 2020 - 7 h 43 min

Je l ai lu et j’avais été frappée par sa complexité.
Mais je m’étais accrochée et j’avais adoré cette fille ascension puis cette descente…

Electra 28 juillet 2020 - 19 h 49 min

Complexité ? Je ne sais pas, je fais vraiment partie d’une minorité. La fin est pourtant très moderne, il se dit individualiste et en cela il représente parfaitement l’Amérique d’aujourd’hui et le résultat est là …

keisha 28 juillet 2020 - 7 h 44 min

Oh c’est formidable ces avis complètement différents! Et cela n’enlève pas du tout l’envie de lire le roman, histoire de voir de quel côté on va pencher! ^_^

Electra 28 juillet 2020 - 19 h 49 min

Merci ! Oui, je trouve ça amusant car chacune de nous est partie dans une lecture totalement opposée !!!

claudialucia ma librairie 6 septembre 2020 - 18 h 39 min

C’est le premier avis négatif que je lis sur Martin Eden considéré comme le chef d’oeuvre de London. Personnellement, je l’ai apprécié. Mais j’aime ta véhémence et ta colère bouillonnantes envers ce personnage. Et je reconnais avec toi qu’il est plein de paradoxes, de contradictions et qu’il est loin d’être sympathique… Comme devait l’être d’ailleurs Jack London. Plus je le lis, plus je sens qu’il se considère, en effet, comme un homme supérieur et même si je veux bien croire que cet autodidacte était un homme de génie, il n’en est pas moins irritant et désagréable. D’après sa biographie, oui, il était capable d’étudier des nuits entières et sa force de travail et d’assimilation était impressionnante. Par contre ce que tu dis sur Ruth occulte un aspect du personnage qui me la rend définitivement antipathique. Quand il réussit et devient célèbre, elle cherche à le récupérer et lui ment. C’est une femme fausse et superficielle pour moi. Bien sûr, personne n’est responsable du milieu dans lequel il est né. Mais naître dans la bourgeoisie, avoir la chance de bénéficier d’ouvertures culturelles que les autres ne peuvent avoir, pouvoir accéder à l’université, ne doit pas impliquer le mépris pour les moins favorisés. Or si Ruth et sa famille ne méprisent pas vraiment Martin, ils manifestent envers lui pas mal de condescendance et de paternalisme, se sentent supérieurs à lui et le lui font savoir. C’est vrai qu’ils ne peuvent l’admettre parmi eux que s’il devient conforme à leurs normes, ce qui est extrêmement humiliant. C’est pourquoi, malgré tout, je reste du côté de Martin Eden et non de Ruth. En tout cas, merci pour ton avis si différent du mien ! Il m’a beaucoup intéressée ! J’ajoute un lien dans la récapitulation du challenge Jack London.

Electra 7 septembre 2020 - 21 h 12 min

Oui, je sais que je suis plutôt isolée .. mais je ne mens pas, j’ai vraiment souffert et je te rejoins sur l’autoportrait. Mais pour moi, il est tout juste imbuvable… Quant à la femme, moi je n’ai pas du tout ressenti cela, mais Inganmic qui a fait la lecture commune a eu exactement le même sentiment que toi. Moi, je pense qu’il ne faut pas juger les gens sur leurs milieux, et que personne ne doit avoir à s’excuser d’être né riche ou pauvre. Après, j’avoue que je ne comprends pas son admiration car moi je le trouve horripilant, si imbus de sa propre personne LOL Et puis surtout la manière dont il l’idolâtre, la sacralise au départ – comme elle envers lui, il ne voit pas la « vraie » personne. L’amour est aveugle. Merci !
Je trouve cela aussi très intéressant d’avoir des avis si divergents sur un même roman !

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