Passing · Nella Larsen

par Electra
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Cette lecture est réalisée en écho à ma lecture de The Vanishing Half de Brit Bennett que j’ai lu en octobre l’an dernier. Lot de la parution du roman de Brit Bennett, de nombreuses voies s’étaient élevées pour dire qu’un autre roman traitait déjà du sujet, mais qu’il avait été oublié. Le livre est de nouveau paru avec une introduction par Brit Bennett et je l’ai acheté.

Nella Larsen a publié son second roman, Passing, en 1929. Oui, vous lisez bien. Il y a presque cent ans. Et que Brit Bennett raconte l’histoire d’une femme qui fait le même choix est forcément troublant (en situant l’action en 1954).  Le roman de Nella Larsen ne fait que 176 pages, mais ce sont 176 pages de tension.

Nous sommes dans les années 1920 à Harlem, New York. Irene Redfield a une femme noire vivant une vite plutôt confortable avec son époux médecin et ses enfants. Un jour d’été, qu’il fait très chaud, Irene fait un malaise. Un chauffeur de taxi s’arrête et lui propose de l’emmener dans un hôtel très chic prendre une boisson fraiche. Irene accepte. Elle sait que le chauffeur l’a pris pour une femme blanche. Irene décide de tenter le coup et la voilà installée sur la terrasse de cet hôtel réservé aux blancs. C’est alors qu’elle reconnaît une de ses amies d’enfance, Clare Kendry. Très vite, elle réalise que Clare, ayant la peau très claire, et des traits fins comme Irene a choisi de se faire passer pour une femme blanche. Elle ainsi épousé un homme raciste et a eu un enfant. Personne ne sait qu’elle est noire.

Mais en retrouvant Irene, Clare retrouve une culture à laquelle elle a tourné le dos il y a dix ans. Une enfance malheureuse, elle est partie à 18 ans. Elle a épousé cet homme blanc riche et vit une toute autre vie, où toutes les portes lui sont ouvertes. Sauf celle de son passé. Elle s’accroche à Irene et dès que son mari quitte le pays ou la région pour affaire, elle court voir Irene. Mais cette dernière est à la fois fascinée par le choix de Clare mais aussi dégoutée par son refus d’endosser sa véritable identité. De rejeter sa propre couleur. Son mensonge. Très vite, Irene tente de l’éviter mais c’est chose impossible. Elle va même rencontrer une autre femme qui vit aussi comme « une blanche » (mais son mari a toujours su qu’elle était noire) et surtout elles vont rencontrer le mari raciste de Clare. La scène est effroyable.

Je ne vous en dis pas plus. Car l’histoire va continuer et les deux femmes vont sombrer. Un récit intense, qui traduit une réalité. On estime à plusieurs milliers le nombre de femmes et hommes noirs ayant décidé de mentir et de se faire passer pour une femme ou un homme blanc (« passing »).  Le roman de Brit Bennett raconte l’histoire d’une soeur jumelle ayant fait le même choix mais qui va être confrontée à son passé des années plus tard.

J’ai beaucoup aimé la tension qui ne cesse de monter dans ce roman, l’impact de ce choix de vie et les répercussions sur une communauté noire qui a réussi, dans les années 20, à développer sa propre bourgeoisie. Comment supporter qu’une personne choisisse de cacher son identité à la face entière ? Renier ses origines ?

Je n’ai pas trouvé de version française de ce court roman, mais il se lit facilement. Il a été traduit en italien si quelqu’un parle la langue de Roméo. Enfin, pour ceux qui s’empressaient de dire que ce roman était nettement meilleur que celui de Bennett, je pense que les deux se valent et qu’ils montrent tous les deux les extrêmes auxquels des êtres humains sont poussés pour sortir de leur condition.  Ce roman frappe fort et rappelle ici l’impact du racisme et de la ségrégation.

♥♥♥♥

Editions Signet, 2021, 176 pages

 

Photo by Kosta Bratsos on Unsplash

Et pourquoi pas

5 commentaires

Autist Reading 3 novembre 2021 - 13 h 05 min

Mille mercis pour ce qui est pour moi une vraie découverte. Je n’étais pas trop attiré par le roman de Brit Bennett, malgré toutes les belles choses que j’ai pu lire à son sujet, mais je n’arrive pas encore à cerner pourquoi, celui-ci m’attire énormément. Et la promesse d’un beau voyage en même pas 180 pages, ça ne se refuse pas.

Electra 3 novembre 2021 - 19 h 06 min

Je sais que le roman de Brit a eu des échos mitigés, très vite on l’a comparé à ce dernier mais même si le sujet est le même, le traitement est différent, l’époque aussi. Reste que c’est une vérité, le fait que des personnes noires choisissent de prétendre être blanches pendant la ségrégation et du coup passent leur vie à mentir .. Quelle tristesse. Ici la tension monte crescendo, attache ta ceinture !

LamartineOrzo 3 novembre 2021 - 15 h 08 min

Après recherche j’ai trouvé que le roman de Nella Larsen a été traduit en français sous le titre Clair-obscur, et il en reste un exemplaire d’occasion chez Momox. De Britt Bennet je n’ai lu que Le cœur battant de nos mères que j’avais trouvé pas mal mais sans plus.

Electra 3 novembre 2021 - 19 h 08 min

Oh merci ! Je ne l’avais pas vu en français, du coup c’est une bonne nouvelle. Pour Brit Bennett, j’ai lu son essai et pas Le coeur battant de nos mères, du coup je ne peux pas comparer. J’ai quand même trouvé The Vanishing Half plus maîtrisé, avec un bon niveau d’écriture.

Livr'escapades 3 novembre 2021 - 21 h 51 min

C’est lors d’un cours semestriel dédié à la littérature américaine (à la fin du siècle dernier) que j’ai entendu pour la première fois parler du « one-drop rule ». Cette obsession de la « race » et toutes les questions que cette notion soulève et les terribles conséquences qu’elle entraîne m’avaient fortement troublée et dérangée à l’époque. C’est d’ailleurs toujours le cas. Je ne me souviens malheureusement plus du titre du roman que nous avions lu à ce sujet, ma seule certitude étant que c’était l’oeuvre d’une femme. Après lecture de ton billet, je me demande si ce n’était pas Passing…

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