Letters to Camondo · Edmund De Waal

par Electra
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J’adore la librairie de l’aéroport de Schiphol à Amsterdam. Je m’y arrête à chaque fois et là j’ai trouvé deux perles.  Je viens vous parler de la première. J’ai été tout de suite happée par la couverture du livre, ce jeune homme qui regarde la caméra tout tenant fièrement dans son bras un chien.

En le feuilletant, je suis tombée sur des photos, souvent de pièces, de meubles, et à la toute fin, des photos et des documents. Sur la famille de Moïse de Camondo. Dont j’ignorais tout, et dont j’ai une furieuse envie à présent de visiter son musée. Edmund De Waal présente ici la biographie de cet homme, de sa famille, tout en s’inventant une correspondance avec cet homme né à la fin du 19è Siècle. Edmund va s’inventer une relation amicale et épistolaire entre leurs deux familles. Deux familles juives, l’une originaire d’Istanbul (les Camondo), et la sienne (d’Ukraine). Moïse de Camondo est issu d’une famille juive séraphade de Turquie, de nationalité italienne et anoblie par le roi d’Italie. Moïse arrive en France à l’âge de 9 ans, son père et son oncle ayant décidé de développer à Paris leurs affaires financières. Très vite, leurs investissements se révèlent fructueux. Avec d’autres investisseurs (parfois d’origine juive, comme les Rotschild), ils organisent le sauvetage de plusieurs banques. Moïse a une passion commune avec De Waal : l’art du 18è Siècle.  En plein Paris, rue de Monceau, il fait raser, après la mort de sa mère, la demeure paternelle pour faire construire un hôtel dont le style se rapproche du 18è Siècle et où il peut le remplir de mobilier et d’objets d’art de la même période. Les travaux s’étendent de 1911 à 1914.

Edmund De Waal raconte cette époque faste, où tous ces investisseurs achètent à Paris et investissent dans l’art. Tous sont passionnés. Mais en France, à cette époque, l’anti-sémitisme est toujours présent. Depuis l’affaire Dreyfus, les journalistes et certaines célébrités s’acharnent sur ces « Juifs » et la famille de Camondo n’y échappe pas. Pourtant, lorsque son fils adoré, Nissim, meurt à la guerre, et reçoit une médaille à titre posthume, la famille de Camondo continue de vénérer la France. Elle représente tout ce qu’il a toujours admiré : l’art et l’architecture, l’élégance et la finesse. Et De Camondo refuse de croire que sa religion peut lui être opposée. Le gouvernement lui avait bien confié les reines d’un institut prodigieux. Et l’homme ne cessera dans sa vie de faire des dons à l’Etat Français, comme de nombreux autres Juifs. Comme il fit don de cette majestueuse demeure, transformée en Musée.

Evidemment, je savais lorsque les années 30 arrivent, que leur destin allait profondément changer. J’ai eu beau me préparer au pire, j’ai été prise par l’émotion. J’ai eu envie physiquement envie de vomir en lisant les mots d’un auteur toujours célébré aujourd’hui (et récemment à la une d’un magazine littéraire), et que je me refuse de lire : Céline. On dit qu’il faut séparer l’homme de l’artiste, mais à la lecture de ce livre, il m’est impossible de le faire désormais. Les extraits de ses articles, ou essais sur les Juifs, sa propagande pour la délation, j’ai été dégoutée. Mal physiquement. Il a directement participé à la mort de la famille de Camondo. Je ne pouvais pas passer cela sous silence. Ce ne sont pas que des paroles, mais bien des appels au meurtre…

Une lecture qui m’a vraiment bouleversé, avec un choix narratif excellent, qui redonne vie, non seulement à une période faste (et sombre) de Paris, mais aussi vie à toutes ces familles juives, qui parce qu’elles avaient le malheur d’être douées en affaires. Elles allaient le payer de leur vie. Française, il m’a été difficile de voir ce que mon pays a fait, je le savais déjà, mais on prend un peu plus l’ampleur de la chose. C’était important, essentiel. Ils ont tout donné à la France et elle les a assassinés. Reste un texte magnifique, une déclaration d’amour à la France et à l’art. Sublime.

Ce livre est disponible en version française aux éditions Les Arts Décoratifs.

♥♥♥♥♥

Editions Vintage, 2022,182 pages

PS : en photo à la une, Moïse et son fils Nissim dans leur hôtel particulier de la rue Monceau. 

 

8 commentaires

Passage à l'Est! 17 octobre 2022 - 9 h 53 min

J’ai The hare with amber eyes sur ma wishlist depuis longtemps et tu me donnes bien envie d’y rajouter celui-ci. J’avais aussi lu Le dernier des Camondo, de Pierre Assouline (l’exemplaire que j’avais emprunté utilisait la même photo que celle que tu as mise en bandeau), qui retracait également l’histoire de cette famille et de la maison, ainsi que le contexte historique, économique, social… Mais je n’ai toujours pas visité le musée Camondo.
Ma trouvaille en librairie d’aéroport, c’était Meander, de Jeremy Seal: une histoire de l’ouest de la Turquie à travers une descente de/à côté de la rivière Méandre (aujourd’hui Büyük Menderes). Un peu méandreux mais intéressant et instructif, et je l’avais – évidemment – trouvé à Istanbul. J’espère que tu nous parleras de la deuxième perle.

Electra 21 octobre 2022 - 10 h 18 min

Merci ! ah super que tu connaisses cet auteur et Camondo. C’est une histoire passionnante. Il va y a voir la semaine prochaine un documentaire sur les Rotschild et je suis curieuse de le voir également. J’ai The hare with amber eyes sur mon étagère et j’ai hâte de le lire. Je suis allée à Istanbul mais je n’avais rapporté aucun livre..
Oui, je dois rédiger le billet. J’ai du partir en urgence en Alsace et je suis rentrée hier.

Autist Reading 17 octobre 2022 - 14 h 15 min

Merci pour cet éclairage ; j’avais repéré ce bouquin à sa sortie mais je l’avais mis de côté à cause de l’aspect « fictionnel » de la correspondance. Mais ça n’a pas eu l’air de te déranger le moins du monde. Du coup, je suis moins sûr de ma décision…

Electra 21 octobre 2022 - 10 h 19 min

Oh oui ! tu l’oublies vite, car tu plonges dans la vie des Camondo, l’auteur se met en retrait. Ca lui permet d’illustrer sa correspondance de photos et d’expliquer les choix de vie de Camondo. Je pense que c’est un livre qui te plairait beaucoup. Très touchant !

Ingannmic 17 octobre 2022 - 16 h 10 min

Me voilà très tentée, notamment par ce choix narratif original..

Electra 21 octobre 2022 - 10 h 20 min

Oui ! je ne doute pas une seconde qu’il est fait pour toi !

Mingh 21 octobre 2022 - 11 h 12 min

Je connaissais mais assez superficiellement l’histoire des Camondo. Une occasion de s’y replonger. Merci pour ton partage.

Electra 21 octobre 2022 - 14 h 38 min

De rien ! Je pense qu’il te plaira beaucoup.

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