Convenience store woman · MURATA Sakaya

par Electra
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Anecdote : lorsque ce roman a été traduit en anglais et envahi la blogosphère (en 2018, déjà …), j’ai eu une sorte de période d’obsession. Pas uniquement pour le roman en tant que tel, mais aussi pour une des éditions avec une couverture spécifique. Je rejetais systématiquement toutes les autres. J’ai fini par la pister chez un revendeur d’occasion mais le livre s’est perdu en chemin…

Un signe du destin ? Je l’ai mis de côté dans ma tête jusqu’à ce jour début juillet à Genève où je suis tombée dessus. Le roman a par le suite été traduit en français, sous le titre de Konbini, la fille de la supérette. Personnellement, je n’aime pas du tout ce titre. Konbini signifie supérette, ce n’est pas le prénom de l’héroïne – Je trouve que cela apporte de la confusion.

FURUKURA Keiko (en Japonais, comme en Coréen, le nom de famille vient toujours en premier) a 36 ans. Elle travaille à temps partiel dans la même supérette depuis 18 ans. Elle n’a jamais eu de petit ami. Ou d’autre job. Keiko adore son travail. Elle ne pense qu’à celui-ci, ne compte jamais ses heures supplémentaires, mange sur place et n’a aucun loisir.

Keiko cache aux autres un secret. Elle justifie ce job mal payé par une condition physique qui l’empêche d’assumer un vrai job. Ses parents sont deux cadres supérieurs, comme sa petite soeur. La véritable raison est la suivante : Keiko n’est pas ordinaire. Elle pense différemment. Enfant, elle s’est très vite fait remarquée à l’école, par son manque d’empathie ou ses accès de violence. Lorsque sa soeur se plaint de son nouveau-né qui pleure beaucoup, Keiko regarde étrangement le couteau de cuisine .. Vous me suivez ?

Elle est rassurée par cette routine immuable. Pourtant ses collègues changent sans cesse, elle travaille avec son huitième gérant. Mais qu’importe. Elle a réussi à se lier d’amitié et affronte les nombreuses questions lors de ces réunions : pourquoi n’est-elle pas mariée ? Pas d’enfant à son âge ? Pourquoi occupe-t-elle un job pour étudiant ?

The normal world has no room for exceptions and always quietly eliminates foreign objects. Anyone who is lacking is disposed of. So that’s why I need to be cured. Unless I’m cured, normal people will expurgate me. Finally I understood why my family had tried so hard to fix me.

Mais elle a toujours réponse, jusqu’au jour où elle croise la route d’un homme en colère contre la planète (et spécifiquement envers les femmes) – qui va venir tout bouleverser. J’avoue que j’ai été perturbée par la suite du roman, un peu comme si la course de Forrest Gump s’arrêtait brutalement lorsqu’il rencontrait quelqu’un. D’abord, parce que cette personne va abuser psychologiquement de cette jeune femme et ensuite parce qu’il va tout bouleverser.

Il lui rappelle son célibat, son âge avancé (un utérus trop vieux) car la société japonaise la juge déjà trop âgée pour avoir des enfants .. Souvenez-vous du contraste entre modernité des infrastructures et mentalité bloquée en 1950 de la société japonaise. Le roman s’amuse beaucoup à s’attaquer à ces énormes préjugés.

Tout s’écroule donc et j’ai eu peur pour Keiko. Peur qu’elle perde tout ce qui la rassure, et d’une certaine manière lui apporte le bonheur. Car pour elle, ce n’est ni un compagnon, ni un enfant mais un travail. La société peut-elle l’accepter ?

When something was strange, everyone thought they had the right to come stomping in all over your life to figure out why.

J’ai appris depuis que l’auteure elle-même travaille dans une supérette depuis 17 ans et qu’elle est aussi fille d’un juge. Elle a choisi ce job pour avoir le temps de se consacrer à sa passion : l’écriture. Mais le résultat est là : elle décrit avec une telle acuité le travail de ces employés souvent regardés de haut, leur dévotion et le rythme qu’il faut tenir au film des promotions, de la météo.. J’ai appris plein de choses. Et j’imagine les regards aussi qu’elle a du supporter et qui lui ont peut-être donné l’idée de ce roman.

J’ai aussi été rassurée par la fin. Keiko m’impressionne.

Je pense que bon nombre d’entre vous l’avez lu avant moi. Vos avis ?

Le roman a donc été traduit en français par les éditions Denoël en 2018, en Poche en 2022 aux éditions Folio.

♥♥♥

Editions Granta, コンビニ人間,trad.Ginny Tapley Takemori, 2016,176 pages

Photo de Ruby Khoesial sur Unsplash

Et pourquoi pas

10 commentaires

Livr'escapades 7 août 2023 - 9 h 53 min

Tu es venue à Genève? La prochaine fois, fais-moi signe 🙂
Je ne connaissais pas ce roman qui rejoint, par la thématique, l’un de ceux (coréen) dont tu nous as parlé récemment. Je ne suis pas attirée par la littérature asiatique, j’avoue, mais les deux titres en question m’intriguent. Pourquoi ne pas me laisser tenter après tout? Je regarderai à la BM.

Electra 7 août 2023 - 11 h 27 min

Ah super ! Moi, j’ai souvent eu du mal par le passé avec la littérature japonaise (j’en lis d’ailleurs très peu), par contre avec les romans coréens, je les trouve finalement très ancrés (contrairement aux Japonais qui pour moi « flottent ».. ou disons proposent des personnages souvent à deux dimensions). Les romans sud-coréens ressemblent donc plus, selon moi, à nos romans où leurs personnages sont très travaillés et les pièces centrales du roman. Pour la plupart, en tout cas. Oui, je suis passée à Genève mais juste dans la gare, j’étais à Neufchâtel. Désolée ! Mais il y a une grande chance que je sois par là l’an prochain à nouveau, je te ferai signe !

C’est en allant à Suisse que j’ai repris (enfin) à lire 😉

Kathel 7 août 2023 - 10 h 00 min

Je pense que ce roman me plairait… Je me contenterais de la version française, toutefois… 😉

Electra 7 août 2023 - 11 h 24 min

Oui, il est vraiment surprenant .Je ne pensais pas du tout qu’il allait prendre cette tournure. Du coup, j’ai vraiment apprécié ma lecture même sur le tard.

keisha 7 août 2023 - 15 h 00 min

J’ai déjà vu ce roman sur les blogs (comme Lectures sans frontières) et j’avais déjà bien envie!!!

Electra 7 août 2023 - 18 h 36 min

Ah j’étais persuadée que tu l’avais lu depuis belle lurette. Je pense qu’il te plaira par le ton et le caractère du personnage principal !

Sunalee 9 août 2023 - 15 h 00 min

Je l’ai lu quand il a été traduit, en 2018, et j’avais beaucoup aimé. Ce qui m’avait marquée c’est la personnalité de Keiko, à la limite de l’autisme.

Electra 10 août 2023 - 19 h 06 min

Oui ! et puis le sursaut à la fin – moi je l’aimais bien aussi mais j’ai eu peur pour elle 🙂

A_girl_from_earth 4 septembre 2023 - 22 h 27 min

J’ai tellement adoré ce livre ! Le personnage principal était tellement singulier, mais j’ai adoré son anticonformisme non revendiqué comme tel ! J’ai été moins convaincue par son dernier roman paru en France, mais j’attends quand même avec impatience son prochain livre.

Electra 5 septembre 2023 - 18 h 57 min

ah je voulais lire le dernier, mais tu as été du coup un peu refroidi, par l’histoire ? le style ? C’est vrai qu’avec ce personnage, elle a marqué le coup ! Mais j’ai eu peur pour elle en plus …

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