J’ai craqué en voyant la couverture de ce livre en octobre dernier, et en lisant la 4C. Je l’ai acheté sans savoir que la version originale est en français. Le livre a été publié en 1995 sous le titre Moi qui n’ai pas connu les hommes. Jacqueline Harpman était Belge.
We were going to die one by one without having understood anything of what had happened to us, and as the years went by, our questions petered out.
Une jeune femme prend la parole. Elle et trente-neuf autres femmes sont enfermées sous terre, depuis, elles le pensent, au moins douze ans. Elles ont des souvenirs de leur vie d’avant, mais peu du jour où tout a basculé. Trois gardiens les surveillent en permanence, équipés de fouets qu’ils n’hésitent pas à utiliser. Les femmes n’ont pas le droit de se toucher, de chanter, de courir. Elles doivent rester calmes et s’occuper comme elles le peuvent. Elles sont nourries deux fois par jour, parfois une seule. Les pommes de terre sont rares et bienvenues. Elles doivent coudre leurs propres vêtements, n’ont pas de produits hygiéniques. Les jours, les mois et les années passent …
La narratrice est arrivée seule, enfant. Les femmes ignorent pourquoi elle a été choisie. De fait, elle pense avoir 17 ans ou un peu moins. Elle n’a pas eu ses règles, et ses seins ont a peine poussé. Les autres ont jugé qu’elle était donc stérile. Elles lui ont appris à compter, quelques tables de multiplication, mais jamais à écrire – de toute manière, il n’y a ni cahier, ni livres, ni crayons. Elle grandit ainsi, seule, de son côté. Elle a quand même quelques amies comme les deux femmes les plus intelligentes. Mais elle a l’impression de ne pas faire partie du groupe, à cause de son âge et son infirmité.
Elle résiste en se créant des rêves érotiques où l’homme n’est autre qu’un jeune gardien. Mais elle ignore tout des hommes, des relations hommes-femmes, du sexe. Elle sait qu’il existe un monde à l’extérieur, mais n’en a aucun souvenir. Puis un jour, elle commence à compter et fait une découverte qui va réveiller le groupe, résigné à attendre la mort. Et c’est alors qu’un évènement majeur se produit….
Voilà les premières cinquante pages, et j’avoue, je trouvais le temps un peu long, j’avais peur d’avoir fait une erreur mais tout est chamboulé et une nouvelle histoire commence. Aussi étrange que la première, avec le même ton et la même atmosphère, mais là je n’ai plus lâché le livre et j’ai été aspirée dans un autre monde.
There’s not one of us who hasn’t thought of killing herself, but they’re too quick. You mustn’t try and hang yourself : twist a piece of fabric into a rope and the minute you start tying it to the bars, they’ll be there.
J’ai adoré l’atmosphère si particulière de ce roman, la voix de la narratrice. Je l’ai accompagnée dans ce long voyage. L’autrice livre ici une étude de la résilience humaine, de l’espoir qui habite chacun d’entre nous, même lorsque plus aucun signe n’existe. L’être humain n’abandonne jamais, il continue d’avancer. Ce que j’ai trouvé fort dans ce roman, c’est le parti pris de ne jamais transformer le récit en un roman avec une fin heureuse. L’autrice explore plus la conscience humaine, le chemin que le résultat final. Il est inéluctable. A-t-elle pensé à ses lecteurs et lectrices en écrivant ce roman ? Car nous sommes aussi des êtres humains qui voulons croire à une autre fin. Pourtant le roman n’est jamais triste, son étrangeté rend cette lecture si particulière. Les jours se ressemblent les uns après les autres, à l’intérieur comme à l’extérieur.
Eager to embrace another world which perhaps didn’t exist, but they preferred nothingness to the futile succession of empty days.
J’aurais tant de choses à dire, mais je ne veux pas divulgâcher votre lecture. Mais sachez-le, c’est un de mes coups de coeur de 2024. Comme Piranesi, j’ai adoré être tenue dans l’ombre, ne pas connaître la suite, attendre et espérer chaque jour avec ces femmes.. Quelle lecture !
Le NY Times a écrit à son sujet « A small miracle ». So right. Le roman est évidemment disponible en français.
♥♥♥♥♥
Editions Vintage, 2019 , Moi qui n’ai jamais connu les hommes (1995), trad. Ros Schwartz , 208 pages
Photo de Juli Kosolapova sur Unsplash
14 commentaires
Je l’ai lu il y a un sacré bail (20 ans d’après mon billet de l’époque^^) mais j’en garde encore un souvenir fort et marquant.
ah oui ça date mais comme mes livres préférés, le temps n’altère pas notre souvenir ! Oui très fort. Etrangement, je n’en avais jamais entendu parler avant …
Récemment j’ai lu un billet sur ce livre, plus mitigé. J’ai le ce roman, comment l’oublier, c’est extraordinaire et je partage ton avis, tu en parles magistralement.
merci ! il m’a laissé vraiment une impression très forte et pendant ma lecture j’étais totalement dedans, vraiment un coup de coeur – je te jalouse car tu vas le découvrir mais je pense que je le relirai car il est unique en son genre. Où est-elle aller chercher l’inspiration?
Problème de clavier : je l’ai LU, et je le garde!!!
ah ! LOL comme quoi une seule lettre peut tout changer
Moi aussi, j’ai vu un billet récemment sur ce livre mais où ? Je vois que c’est carrément un coup de cœur pour toi et Keisha partage ton avis. Je note donc le livre dans un coin de ma tête. Par contre, je le lirai en Français, ça me semblerait trop bizarre de lire une traduction (il faut dire que le nom de l’autrice peut induire en erreur).
oui en français ! étrangement, je l’ai vu sur les comptes IG américains et j’ai cru que l’autrice était anglophone, et ensuite j’ai découvert que non. Je suis surprise de ne pas en avoir entendu parler avant, en France. Il vaut vraiment le détour !
Un coup de cœur pour moi aussi, j’ai trouvé ce texte envoûtant et très original.
ah ravie de te voir aussi emballée que moi !
Comme tu m’en as déjà parlé… je demeure très intriguée et je l’ai noté illico.
oui, j’espère que tu seras aussi envoutée que moi et Inganmic – je préviens, il est très particulier mais moi j’ai adoré cette atmosphère
Bonjour, Juste vous dire que ce livre à sa sortie en France m’avait été conseillé par mon bibliothécaire: il m’avait époustouflé (le livre pas le biblio…). Il m’a appris que aussi je pouvais , moi pauvre adepte à la lecture, apprécier d’autres thèmes que le polar. Bonne journée.
Merci ! Votre bibliothécaire a fait du bon travail. Nous avons tous nos genres préférés, je n’ai lu que des polars pendant des années, et je suis revenue au roman récemment. Je ne lis pas de fantasy, ni science-fiction, mais parfois je tombe sur ce genre de livre et je me laisse aussi emporter. Celui-ci est vraiment une pépite.
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