Rendez-vous dans le noir · OTSUICHI

Nouvelle lecture pour notre défi littéraire. Le thème de ce moi d’octobre est un thriller, mais qui ne doit être ni Européen, ni Nord-Américain. Le Caribou m’a proposé 3 lectures : Intrusion de Natsuo KIRINO, Rendez-vous dans le noir d’OTSUICHI et Le salon de beauté de Melba ESCOBAR.

J’ai opté pour le thriller japonais signé OTSUICHI. L’auteur, de son vrai nom ADACHI Hirotaka, est célèbre au Japon. Il a publié de nombreux romans mais également des scénarios et a même vu certaines de ses oeuvres adaptées en manga comme Goth (paru en France).

La 4ème C m’a tout de suite plue, je la reprends : Michiru, une jeune femme, a perdu la vue suite à un accident. Elle vit depuis recluse dans une grande maison où elle passe des heures allongée en position foetale, attendant la mort. Mais un jour, un policier l’informe qu’un meurtre vient d’être commis à la gare toute proche. La jeune femme ignore que le meurtrier se cache chez elle depuis quelques heures. Elle finit par découvrir sa présence. Mais progressivement, dans l’obscurité et le silence, s’installe une étrange relation entre celui qui se cache et celle qui ne voit pas.

C’est comme si les ténèbres avaient soudainement pris forme et bougé. Il était là.

Tout est dit ou presque ! Car tout n’est pas vrai, mais c’est la force de l’auteur, Michiru ne sera pas la seule aveugle dans cette histoire … Je veux le souligner avant d’oublier, je commençais à douter de ce défi littéraire, car jusqu’à Felix Ever After, j’étais plutôt déçue de mes choix mais cette fois-ci, c’est l’inverse. Un énorme coup de coeur pour ce roman. Si les éditions Picquier annoncent un huit clos stressant et un thriller psychologique, je vais mettre mon véto. On est loin du huit clos et du thriller où Michiru serait menacée par Akihiro – je souhaite en parler car cela n’enlève rien à la beauté de ce roman.

Bien au contraire, l’auteur ne cède pas à la facilité du huit clos psychologique, et offre au lecteur la rencontre entre deux êtres qui se sont coupés du monde et sont voués à la solitude et c’est tout simplement magnifique. Il y a bien ce jeune employé d’imprimerie recherché pour meurtre et cette jeune femme aveugle qui attend la mort et en fond, la police qui mène l’enquête, les infos qui en parlent tous les soirs, mais ce crime n’est absolument pas le thème majeur du roman, et il n’y jamais de violence, qu’elle soit physique ou psychologique.  Cette quatrième C pourrait induire en erreur le lecteur.

Et surtout, oublier de rappeler l’essentiel : l’auteur a réussi un vrai tour de force, en invitant dans la même maison deux êtres si différents et si semblables au fond et nous rappelle aujourd’hui l’importance du lien humain. Je vous mets au défi de ne pas vous attacher à ces deux personnages, qui vont commencer à s’épier, puis à s’attendre … Ah c’était juste si beau !

Un rayon de lumière perçait les nuages et inondait la terre de lumière. (..) D’un léger mouvement du poignet il modifia l’orientation de sa montre. Le rond de lumière, telle une fille pellicule blanche, rampa lentement sur la peau du visage de la jeune femme.  (..) Le rai de lumière reflété par le cadran de la montre, faisant danser la poussière dans l’air, pénétra l’oeil de la jeune femme et s’y enfonça profondément. (..) De l’autre côté de la fenêtre, le train express passa dans un grand bruit, pareil à une bourrasque de vent.

Je pense que l’un des handicaps qui m’a toujours le plus impressionné est la cécité, dans le cas de Michiru, elle est récente et elle terrifie la jeune femme. Contrairement à ceux qui n’ont jamais vu, ses souvenirs sont plein d’images et de couleurs jusqu’au jour où les ténèbres les ont avalés. J’ai vraiment aimé la manière dont l’auteur décrit son mal-être.  Alors quand le narrateur change de nom avec celui d’Akihiro et le regard qu’il porte sur Michiru, le roman prend une nouvelle dimension. Quand la vaisselle tombe au sol, des morceaux de verre partout autour de ses pieds nus, on comprend la réaction d’Akihiro. On est comme lui, paralysé par la peur qu’elle se blesse. Le roman est truffé de ces moments anodins mais qui ici prennent une toute autre dimension.

Je n’arrêtais pas de me demander en lisant si ce roman a été adapté au cinéma car franchement il vaut son pesant d’or. Avec évidemment en fond le Japon et son fameux kotatsu.

Mon passage préféré est situé en bas de la page 172 mais l’écrire ici donnerait trop d’indices.

♥♥♥♥

Editions Picquier, 暗いところで待ち合わせ (幻冬舎文庫) trad. Myriam Dartois-Ako, 2014 (2022), 252 pages 

Photo de Maxime Amoudruz sur Unsplash