The tenant of Wildfell Hall • Anne Brontë

par Electra
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Je ne connaissais pas l’oeuvre de la benjamine des soeurs Brontë, Anne. Paru en juin 1948 sous son nom de plume, Acton Bell, The tenant of Wildfell Hall  (la locataire de Wildfell Hall) fit sensation à l’époque car il remettait en cause l’obligation d’obéissance et de loyauté envers son époux. L’héroïne, Hélène, quitte en son époux en s’enfuyant avec leur enfant et en s’installant sous une fausse identité dans une petite ville anglaise.

Anne Brontë, plus religieuse que ses sœurs, moins romanesque et moins célèbre qu’Emily et Charlotte, réussit ici un tour de force en divisant son roman en trois volumes, dont le second est le journal intime d’Helen, tenu pendant ses années de mariage à Glassdale. Le premier volume a comme narrateur Gilbert Markham, qui relate au travers d’une relation épistolaire avec un ami, une dizaine d’années plus tard, sa rencontre avec cette mystérieuse Helen Graham. Relation épistolaire qu’il reprend dans le dernier volume du roman.

Fermier prospère, le jeune Gilbert apprend par sa sœur l’arrivée d’une veuve mystérieuse, Mrs Helen Graham, dans une grande maison voisine, longtemps laissée à l’abandon et quelque peu restaurée, Wildfell Hall. Cette nouvelle venue très discrète, cache un fils âgé de cinq ans et sa domestique, Rachel. Mais comme dans tout village où l’on s’ennuie, son arrivée provoque la curiosité de la petite communauté. Peu à peu, Helen accepte les invitations sans dévoiler son passé. Gilbert, à cette époque, n’apprécie que moyennement cette femme, réservée, à la limite froide qui n’hésite pas à lui tenir tête lorsqu’il s’agit d’évoquer l’éducation de son fils, en critiquant la latitude donnée aux enfants mâles contrairement aux petites filles et aux attentes de la société envers ces dernières. Gilbert Markham courtise alors Eliza Millward, sans réels sentiments et sans le soutien de sa mère qui désapprouve cette relation. Mais au fil de ses rencontres avec Helen, et par l’intermédiaire du petit Arthur qui s’entiche de Gilbert, ce dernier commence à éprouver des sentiments envers cette femme pieuse mais très belle. Intriguée par son silence, il note que la jeune femme sort peu, peint de magnifiques paysages (sinon des portraits) et ne fréquente presque personne, exception faite du propriétaire des lieux, Mr Lawrence – ami de Gilbert mais qui refuse de dévoiler le passé d’Helen.

Malheureusement, alors que Gilbert et Helen se rapprochent, les jalousies et les rumeurs enflamment la campagne et bientôt des propos infâmes sont colportés au sujet d’Helen. Certains soupçonnant Mr Lawrence d’être le géniteur du petit Arthur. Gilbert, troublé, demande à Helen de s’expliquer mais celle-ci refuse. Gilbert lui déclare ses sentiments mais elle les rejette. Fou de jalousie, Gilbert va commettre une grave erreur. Helen lui confie alors son journal intime pour lui expliquer enfin la vérité.

Dans ce premier volume, la romancière met en place tous les personnages et démontre ici le pouvoir des ragots dans ces landes anglaises. La rumeur est insidieuse et les cancans poussent plus vite que du chien-dent. Même ceux qui fréquentent Helen aiment à écouter ces rumeurs et à les colporter, tout en refusant, disent-ils, d’y prêter attention. L’hypocrisie de la petite bourgeoisie anglaise est clairement dénoncée par la romancière.

Le deuxième volume est issu du journal intime d’Helen, qui relate ici son coup de foudre pour le bel Arthur Huntingdon, un jeune homme fougueux et charmant. Malgré les mises en garde nombreuses de sa tante, qui lui demande de réfléchir à cette union et de privilégier la raison, Helen est aveuglée et convaincue qu’elle saura, par sa foi et son éducation, réformer l’attitude du jeune homme qui joue et boit plus que de raison. Huntingdon est un très bel homme, spirituel et romantique mais terriblement gâté,et égoïste. Une fois installé à la campagne, dans sa propriété de Grassdale, l’époux se mortifère loin de Londres et des clubs où il aime à jouer de l’argent, boire et fréquenter de jeunes femmes. A la naissance de leurs fils, prénommé Arthur, il devient jaloux de l’attention et de l’affection que porte son épouse à cet enfant avant de s’en enticher.  Immature, il fait venir à chaque saison de chasse, son groupe d’amis pendant des mois. L’alcool coule à flots. Helen, d’une moralité sans faille, ne supporte pas cette décadence morale.

Anne Brontë, plus religieuse que ses soeurs, profite de ce roman, pour régler ses comptes avec la gente masculine. Ici, ces hommes à l’esprit perverti sont sans cesse en conflit avec la maitresse des lieu. Celle-ci, abandonnée chaque printemps par son époux qui va rejoindre à Londres ses amis pour plusieurs mois, le supplie de changer son mode de vie et d’abandonner ses moeurs dissolues. De retrouver la foi et d’être un mari présent et aimant. Helen ne peut compter que sur Milicent Hargrave, une jeune femme plus discrète et moins forte de caractère qu’Helen qui ne cesse de tenir tête à son époux.  Elle doit également se méfier du frère de Milicent, Walter – le plus raisonnable de leurs amis, qui lui apprendra l’infidélité de son mari mais se met à la courtiser de façon assidue. Lorsque Helen confronte son mari sur sa liaison, celui-ci avoue et déclare qu’il souhaite rejoindre sa maitresse à Londres.

Ce qui fit scandale à l’époque, c’est qu’Helen, en apprenant la trahison de son époux, lui ferme la porte de sa chambre. Leur relation amoureuse prend fin et l’épouse refuse d’obéir à ses « devoirs conjugaux ». Huntingdon, en colère, se concentre alors sur son fils, qu’il entraine, dès son plus jeune âge, dans sa débauche (l’encourageant à boire et à jurer). Helen, qui possède un talent pour la peinture, décide alors d’organiser sa fuite mais Huntingdon découvre ses projets et la prive de tous loisirs. Recluse, son matériel d’artiste détruit, ses bijoux et son argent confisqués, Helen illustre alors le contrôle exercé à cette époque par les époux sur leurs femmes. Helen réussit, avec le soutien de Mr Lawrence (dont vous découvrirez le lien qui les unit en lisant le livre) à fuir jusqu’à Wildfell Hall.

Le troisième volume replace le lecteur à Wildfell Hall. Gilbert connaît désormais la vérité et doit accepter la situation. Mais il est choqué (comme moi) d’apprendre qu’Helen est retournée, avec son fils, auprès de son époux. L’histoire ne se termine pas là. Une année s’écoule, et Gilbert croise à nouveau la route d’Helen. La dernière partie est ici sombre, très religieuse, lorsque Helen retourne auprès de son époux puis plus légère et enfin plus romanesque dans les tous derniers chapitres.

The Tenant of Wildfell Hall est, sans aucun doute, un roman féministe – l’héroïne est extrêmement sûre d’elle et directe. Ainsi, contrairement aux jeunes femmes de l’époque, à qui l’on apprend à se taire ou à parler de choses légères (« de leur sexe ») elle parle avec franchise aux hommes à qui elle s’adresse. Elle ose dire à l’époux de Milicent, qu’elle présente comme insignifiante et ignorée, qu’il est un mauvais mari et lui demande de se remettre dans son droit chemin. Je dois avouer cependant que son attitude m’a irrité – son assurance a fini par me lasser. Pieuse, prêchant pour l’abstinence, et un monde sans frivolités, elle offre une image plutôt terne de la vie d’une femme. Si son époux est particulièrement immature, égoïste et lâche, elle ne semble avoir aucun défaut.  Le fait même qu’elle puisse penser, lorsqu’elle le rencontre, qu’elle a le pouvoir « de le changer » prouve qu’elle a un haute opinion de sa personne. Sa vertu lui confère une sentiment de supériorité, enfin c’est ce que j’ai ressenti lors de ma lecture qui m’a contrarié. Elle ne semble souffrir d’aucun défaut. Contrairement à Elizabeth Bennett, dans Orgueils et Préjugés, où les deux protagonistes principaux, D’Arcy et Elizabeth, souffrent chacun de défauts d’où le titre du roman, Anne Brontë nous livre ici une épouse parfaite. J’avoue que lorsque son époux lui reproche son retour auprès de lui uniquement pour ses propres intérêts (ceux de se rapprocher encore plus de Dieu), je l’ai cru !

J’aurais donc aimé qu’elle puisse avoir des failles. De plus, j’avoue que sa religiosité extrême a accentué ma distanciation avec son personnage dans ce dernier volume. J’ai ressenti plus d’affection pour Milicent, qui dominée par son époux, à qui elle ne reproche jamais ses encartées ou ses propos maladroits, va peu à peu construire une nouvelle relation basée sur l’échange et la parité – et va connaître le vrai bonheur conjugal.

Si le roman parait aujourd’hui un peu désuet (aujourd’hui on divorce et on ne cite pas la Bible toutes les cinq minutes), reste qu’il est passionnant à lire et qu’Anne Brontë a su ici, comme Jane Austen, décrire avec précision son époque – les moeurs, le fléau des ragots, la puissance de l’église (lorsque le Vicaire vient faire une leçon de morale à Helen sans avoir la moindre preuve d’un comportement déviant) et les bonnes et mauvaises unions – tout y est, et j’ai eu un énorme plaisir à me replonger dans cette campagne anglaise. J’adore leur talent pour se moquer gentiment des personnages, sur un ton toujours enjoué et sarcastique. J’ai encore plus envie de relire tous les classiques anglais de cette époque !

Il m’est arrivé quelque chose d’étrange en lisant ce livre. J’avais eu le sentiment d’avoir vu, avant d’emprunter le livre, un film adapté de cette histoire, sans pouvoir vraiment citer le titre ou mettre dessus les noms ou les visages des acteurs, même si celui de Jennifer Connelly s’imposait pour le rôle d’Helen (très brune au teint diaphane). Je voulais donc y insérer une ou deux photos, mais qu’elle fut ma surprise en cherchant sur Internet et en ne trouvant aucune adaptation cinématographique récente. Deux mini séries furent tournées, l’une d’elle remonte à 1996 et l’actrice choisie ne ressemble en rien à l’héroïne. Pour une fois qu’elle est très brune, on lui choisit une actrice aux cheveux blonds dorés et de surcroit très terne (or ici l’héroïne est supposée très belle). Je m’offusque. Pas de photos donc*. Je n’ai eu cesse de voir cette jeune femme,  pieuse, habillée de noir, avec son jeune fils aux boucles dorées dans son petit jardin de Wildfell Hall – mais d’où me viennent ces images ?!

J’ai lu ce livre en anglais. Cela m’a amusé de noter à quel point, en 1848, l’anglais était proche du français (merci les Normands!) et il est donc très aisé de le lire.

♥♥♥♥♥

The Tenant of Wildfell Hall, Penguin Classics, 576 pages.

Et pourquoi pas

7 commentaires

Eva 18 septembre 2015 - 13 h 39 min

Il a l’air très intéressant ce roman…mais ce doit être un pavé, non? s’il y a 3 volumes?

Electra 18 septembre 2015 - 16 h 31 min

Non ! Le terme volume veut dire « partie » ! Mais c’est quand même pas mal de pages et écrit en tout petit

keisha 18 septembre 2015 - 13 h 39 min

Ce livre est dans ma PAL mentale, un jour un jour… En vO peut être, si tu le dis…

Electra 18 septembre 2015 - 16 h 32 min

Je pense qu’il te plairait ! et en VO il est vraiment facile à lire 😉
Amusant le terme de « PAL mentale » – j’en ai aussi !

keisha 21 septembre 2015 - 10 h 34 min

Je viens de le trouver à la bibli, en vO (mais faudrait du temps)

Electra 21 septembre 2015 - 11 h 06 min

Oui c’est écrit en petit, hein ?!
Mais tu vas voir, il se lit facilement !!
J’ai déniché dans la même collection le livre d’un autre des sœurs Brontë !

keisha 3 octobre 2015 - 17 h 32 min

J’en suis au tiers, j’ai essayé (mais pas réussi) à ne pas tout découvrir dans ton billet (mais ce n’est pas grave)
Oui, c’est écrit petit, ces poche anglais, le seul moment où je regrette une liseuse…

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