Là-haut vers le nord • Joseph Boyden

par Electra
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Après avoir découvert Joseph Boyden avec ses magnifiques Saisons de la solitude, j’ai souhaité me procurer tous ses autres livres. C’est chose faite, merci Papa Noël. En premier, j’ai eu envie de remonter le temps et de découvrir son recueil de nouvelles, Là-haut vers le nord. 

Le Nord c’est le Nord de l’Ontario où vivent les personnages de Joseph Boyden, indiens Cree pour la grande majorité. J’avais eu un vrai coup de foudre pour son premier roman et la magie opère toujours : le romancier canadien, d’origine Cree sait sonder la profondeur de l’âme tout en maitrisant l’art des conteurs de son peuple : ici toutes ses histoires mêlent à une réalité souvent difficile un parfum de magie, de croyance indienne. En quatre points cardinaux, le romancier nous raconte comment une jeune fille tombe amoureuse d’un loup, comment un jeune homme prétend pouvoir se changer en corneille ou en ours, et comment ces indiens, déracinés, se réapproprient soudainement leur culture, leurs croyances lorsqu’ils sont soudainement à nouveau la cible de la vindicte des blancs (l’auteur règle ses comptes à tous ces prêtes ou curés).

Ces nouvelles m’ont fasciné et envouté, j’y ai retrouvé tout ce que j’aime chez les Nations amérindiennes : ce mélange d’émotion, de violence et de poésie, où malgré la misère, l’alcool, le racisme, ils possèdent toujours cette grâce, et puis ce regard plein d’ironie et de dérision face à ce présent si violent. Leur humour est inégalable. Malgré leurs situations terribles, comme cet indien, clochard à Toronto, dont les faits et gestes effraient la population, ces hommes et femmes possèdent encore cette grâce, cette lumière qui font  d’eux tous des êtres à part entière.

Je m’agenouille, je sors ma baguette et je frappe une fois, fort. Le son se répercute dans l’église silencieuse. (…) « Pas de blasphème dans cette église, Joe Chechoo! » Je le faire taire d’un autre coup de tambour. ça sonne bien là-dedans ; on dirait un grand cœur qui bat.

En partageant avec nous la culture du peuple Cree, son histoire et ses croyances, Joseph Boyden évoque tout simplement l’humanité en la part de chacun. Les blancs n’ont pas uniquement volé les terres des indiens, il leur ont enlevé leur identité, comme lorsqu’il raconte l’histoire de cette famille heureuse dans la légende de la Fille Sucre dont les enfants leurs sont soudainement arrachés par les colons et placés de force dans des pensionnats où on leur coupe les cheveux et on les frappe s’ils parlent leur langue. Ces enfants seront la première branche cassée de l’arbre.

Les histoires sont parfois très tristes parce que la vie dans les réserves est souvent violente et sans avenir et que ceux qui ont décider de quitter les réserves se heurtent de plein fouet au monde implacable des blancs. Ils reviennent à la réserve, dépressifs ou sont restés mais sont devenus des sans-abri alcooliques. Même les plus prometteurs n’arrivent pas à s’adapter au monde de la ville comme cette jeune étudiante autochtone, admise dans une université huppée mais qui ne résiste pas à cette vie-là ou la tentative ratée de Jenny Two-Bears qui rêve éveillée d’une autre vie auprès de ce pilote blanc et va vivre un enfer hors de la réserve. Les jeunes s’ennuient et se droguent, ils sniffent de la colle ou du pétrole, ils sont ne savent plus qui ils sont.

Mais le romancier ne les enterre pas et malgré leurs failles, leurs échecs ou leurs souffrance, il se dessine chez eux comme un réveil, un sursaut. Ainsi le retour de cette étudiante chez les siens permet-elle à la communauté d’oublier un temps ses discordances et de se retrouver, ou lorsque le frêle Francis « Dink »  se révèle être un bearwalker : il se transforme en corneille ou en ours, les médias accourent… et les indiens retrouvent leur voix. Leur identité.

A ce qu’on raconte, un détenu indien, un Cree, jure avoir vu Dink se changer en corneille dans un coin de la cour, pendant la promenade (..) Le type avait même une plume noire pour le prouver (..) Ce n’est pas vraiment une preuve, diront certains : mais pour les gens d’ici , elle suffit largement.

Joseph Boyden a écrit des nouvelles touchantes, désarmantes et tout simplement sublimes. Les mots me manquent à la lecture de ces textes.  Ce recueil a tout d’un roman choral car les personnages sont liés dans les dernières nouvelles, le lecteur suit plusieurs personnages de la même famille. On n’a plus envie de quitter cette réserve, on a juste envie d’aller les saluer et d’écouter leurs chants.  Je me serais aussi levée à la fin de cette cérémonie et j’aurais écouté avec respect et émotion l’oncle Joe Cul-de-Jatte battre le tambour et chanter les morts.

Les larmes montent aux yeux de Francis. Il se sent un peu mieux. Il parvient à se rasseoir sur son lit. Il bat le rythme sur sa cuisse.

Le talent de Boyden fait qu’ici toutes les nouvelles se valent et vous emportent, avec cette poésie qui ne vous lâche pas. Laissez-vous emporter à l’Est, Peine – au Sud, Ruine, à l’Ouest, Course et enfin au là-haut vers le Nord, Retour. Rejoignez dans ces douze contes Langue Peinte, Xavier Bird, Dink, Né avec une Dent, La Reine du Bingo, Jenny Two Bears,  Crow, Kumamuk, Joe Cul-de-Jatte ou le Vieux.  Laissez-vous conter.

« Là-haut vers le nord, au milieu du chaos, résiste toujours une lueur tendre, un clin d’œil ironique, une parenthèse de délire ou de flamboiement lyrique. Magistral.  » Les paroles de Marie Chaudey résument parfaitement mon sentiment. Mon coup de cœur de l’année 2016 !

♥♥♥♥♥

Livre de Poche, Albin Michel, trad. Hugues Leroy, 320 pages

Copyright : Moose Cree First Nation

Et pourquoi pas

10 commentaires

Gabriel 22 janvier 2016 - 16 h 19 min

Je vois Boyden partout. Je regrette tellement d’avoir de la misère à lire ces temps-ci. Je sais que je ne l’apprécierai pas si je le lis maintenant, mais je garde en note, surtout les nouvelles que j’aime d’habitude.
Cinq coeurs quand même c’est pas rien!

Electra 22 janvier 2016 - 16 h 22 min

Ah non, mais tu n’as aucune excuse pour ne pas le lire « le jour où ça ira mieux » il est Canadien et tellement doué !

Léa Touch Book 22 janvier 2016 - 20 h 12 min

Je ne l’ai pas lu celui-ci mais j’adore cet auteur : il me le faut !!! 😀

Electra 22 janvier 2016 - 23 h 35 min

Je te le conseille vivement ! il démontre encore une fois toute l’étendue de son talent de conteur 😉

Marie-Claude 23 janvier 2016 - 0 h 38 min

Comme je compte le lire dans l’année, j’ai lu ton billet de biais! J’y reviendrai. Avec ces 5 coeurs, je vois que Boyden suscite chez toi la même appréciation que chez moi!
Bon weekend!

Electra 24 janvier 2016 - 11 h 51 min

Oui ! je me doutais que tu l’avais dans ta PàL et comme tu le vois, il vaut vraiment le détour ! Il est hyper talentueux et les nouvelles lui vont bien également !

Tasha 23 janvier 2016 - 21 h 36 min

Ah… me revoici, nouvel ordinateur, plus de problèmes bizarres, ça fait du bien. Bon, je n’ai jamais lu cet auteur, mais ce que tu dis de ce recueil de nouvelles me tente énormément, d’autant que j’aime les nouvelles. Je sens qu’il va rejoindre ma PAL (au point où elle en est) sans tarder!

Electra 24 janvier 2016 - 11 h 53 min

Nouvel ordinateur ? Parfois c’est la seule solution malheureusement mais bon, j’ai bien aimé quand j’ai changé réorganisé et faire du tri 😉
Si tu aimes les nouvelles, alors n’hésite pas une seconde car avec lui et ses personnages tu seras en excellente compagnie 😉

jerome 24 janvier 2016 - 9 h 08 min

Un auteur qui compte ! Et je persiste à croire qu’un recueil de nouvelles est souvent bien plus puissant et marquant qu’un roman 😉

Electra 24 janvier 2016 - 11 h 54 min

Merci ! Moi aussi – or en France le genre est encore considéré comme mineur, quelle erreur ! Réussir à faire passer autant d’émotions en si peu de mots ! et chez lui, il y a la magie en plus !

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