La faille souterraine et autres enquêtes de Wallander

par Electra
2,5K vues

Le reste appartient au silence.

C’est par ses mots qu’Henning Mankell conclut le prologue à ce recueil de quatre nouvelles. L’auteur explique qu’il lui est venu, tout au long des années pendant lesquelles il travaillait sur les enquêtes de Wallander, des idées et des flashes sur le passé de Kurt Wallander. Lorsque son personnage fétiche apparaît lors de sa première enquête, il a déjà la quarantaine (42-43 ans), nous sommes au matin du 8 janvier 1990 – Wallander est appelé sur les lieux d’un crime. Date magique pour le premier roman  Meurtriers sans visage.

Ceux qui ont suivi les enquêtes de ce policier désabusé, divorcé, qui doit gérer un père fantasque et bourru, auront eu hâte de se jeter sur ses premières enquêtes.  C’est par hasard que je suis tombée dessus en allant à la BM il y a quelque temps. Arte diffusait la dernière enquête de Kurt (l’adaptation en deux films de L’homme inquiet) et je me voyais de nouveau dire adieu à l’un de mes personnages préférés. Alors en voyant ce recueil je n’ai pas hésité une seconde. Je l’ai dévoré en à peine deux jours. J’adore les nouvelles donc le format était parfait.

Henning Mankell a choisi de présenter notre inspecteur à quatre périodes distinctes de sa vie : dans « Le coup de couteau « , Kurt a tout juste 22 ans, encore un bleu en uniforme, il doit gérer les manifestations contre la guerre du Vietnam – nous sommes en 1969. Il est depuis peu en couple avec Mona qui lui reproche déjà de consacrer trop de temps à son travail. Le jeune policier a déjà envie d’intégrer la brigade criminelle et saisit l’opportunité d’enquêter lorsque son voisin de palier, un retraité de la marine marchande, se suicide en pleine nuit. Très vite, il apparaît que l’homme cachait plein de secrets, à commencer par une poignée de diamants dans son estomac. Parallèlement, le jeune Kurt doit gérer le caractère fantasque de son père, un peintre qui n’aime pas sa vie à Malmö et s’est acheté sur un coup de tête un corps de ferme en Scanie, à Löderop, près du chef-lieu, la petite ville d’Ystad.  Cette dernière est au bord de la mer Baltique, à 60km à l’est de Malmö et 80 km de Copenhague. Ville où l’on se rend encore en aéroglisseur ou en ferry (le pont n’a pas été encore construit).

Le jeune Kurt est têtu et il va enquêter seul, prétextant un arrêt maladie, faisant appel à ses sources, comme son ex-petite amie, Helena pour découvrir qui était réellement son voisin et qui pouvait vouloir le pousser au suicide. Ses risques vont payer et Hemberg qui dirige la brigade criminelle s’en souviendra.

Dans la deuxième enquête qui a donné son titre français au recueil , « La faille souterraine  »  le temps a passé. Nous voici à la veille de Noël 1975, Kurt compte les jours avant de quitter Malmö pour rejoindre son épouse Mona, et leur fille Linda à Ystad où elles se sont installées. Mona ne voulait pas élever sa fille en ville et a pu concrétiser son rêve en rachetant un salon de coiffure. Kurt a 28 ans et alors qu’il part rejoindre sa famille, il accepte la demande d’Hemberg d’aller vérifier la situation d’une supérette située à l’entrée d’Ystad. La propriétaire a appelé pour signaler la présence d’un cambrioleur. A son arrivée, Kurt la découvre assassinée et est lui-même violemment attaqué. A son réveil, il se retrouve face au cambrioleur …

Une nouvelle plus courte et qui témoigne du changement de la société suédoise.

Dans la troisième enquête « L’homme sur la plage« , les années ont passé, nous sommes en 1988 (ou 89) – Kurt a tout juste 40 ans et aime bien sa nouvelle vie à Ystad. Il est appelé par un chauffeur de taxi qui a réalisé que son passager était décédé dans son véhicule. L’homme, quinquagénaire était venu passer des vacances en Scanie. Il a été empoisonné. Kurt découvre que l’homme quittait chaque son jour son hôtel en taxi pour se rendre dans une petite ville voisine, et partait en direction de la plage. Il appelait un taxi en fin de journée pour retourner à son hôtel. Que faisait-il de son temps ? Un vieil homme sur la plage qui y promène son chien tous les jours affirme ne l’avoir jamais croisé. J’ai beaucoup aimé cette nouvelle sur le thème du désespoir, de la rancœur et de l’oubli. Même si j’ai fait le lien entre la victime et son assassin beaucoup plus rapidement – 3 pages avant Kurt. Reste encore une vision de Mankell sur ses concitoyens toujours aussi juste et passionnante.

Autre succès avec « La mort du photographe« , La victime n’est autre que l’unique photographe d’Ystad que tout le monde connaissait. L’homme, très discret, avait en réalité une vie pleine de secrets. Pourquoi l’a-t-on assassiné ?  L’enquête, située en 1988, coïncide avec des soucis personnels dans la vie de Kurt Wallander. Linda a 17 ans et a choisi de quitter le lycée. Mona s’est séparé de lui après un voyages dans les îles Canaries il y a quelque temps (alors qu’il enquête sur l’une des nouvelles). Cette crise personnelle va lui faire écho à travers la vie de la victime, également parti seul en voyage et revenu « profondément changé » selon son épouse. Une enquête presque banale, la jalousie, la vengeance mais rondement bien menée, j’aime l’atmosphère qui se dégage de cette petite ville où les ragots vont bon train. Les Suédois sont apparemment friands des commérages (dixit un des collègues de Wallander) – les enquêtes de voisinage sont ainsi une source d’informations inépuisable.

La dernière nouvelle, qui a donné son nom suédois au recueil, « La pyramide » voit à nouveau notre héros aux prises avec son paternel. Nous sommes à la veille de Noël 1989. Ce dernier a décidé de réaliser son rêve : aller voir les pyramides en Égypte. Wallander est pris de court car l’homme âgé de 80 ans a décidé de partir seul. La veille de son départ, un petit avion de tourisme s’écrase dans la campagne – à son bord deux corps carbonisés. L’avion volait incognito et n’avait communiqué son plan de vol à personne. L’enquête va être difficile, mais le petit commissariat est bientôt submergé :  les deux sœurs qui tenaient la mercerie ont froidement assassinées, de même qu’un dealer local de drogues que Wallander tentait de coincer depuis longtemps. Quel est le point commun entre tous ces décès ?  Et comme si cela n’était déjà pas assez, en cette période de congés, le père de Kurt se fait arrêter par les autorités égyptiennes pour avoir tenter de grimper sur une pyramide !

Un final tonitruant pour ce recueil plein de tendresse pour notre héros suédois – désabusé à 20 ans comme à 50 ans. Le regard que j’ai porté à cette lecture est forcément différent, ainsi les nombreuses interrogations du héros sur son père, sur la vieillesse en général font écho avec le dernier opus de la série, l’homme inquiet. « Kurt Wallander aura été inquiet toutes ces années. Et pas sans raison ».

C’est donc avec beaucoup d’empathie pour le personnage que j’ai pris un énorme plaisir à lire ces nouvelles. Et j’ai beaucoup aimé le soin apporté par l’auteur à faire coïncider la fin de la dernière enquête à la date du 7 janvier 1990, veille du fameux 8 janvier 1990 😉

Décidément, il va me manquer ce satané Kurt. Pour info, en reprenant la liste des enquêtes, je ne me souviens plus trop de deux d’entre elles : je n’ai donc pas fini mon séjour en Scanie !

Pour les curieux, voici une carte (le point rouge c’est Ystad, à gauche Malmö et enfin la capitale danoise Copenhague (København).

♥♥♥♥♥

Éditions Seuil, coll.Policiers, Pyramiden, trad.Anna Gibson, 480 pages

 

Et pourquoi pas

12 commentaires

Simone 26 octobre 2016 - 7 h 49 min

Oh oui, il nous manque

Electra 26 octobre 2016 - 9 h 23 min

Oui, snif snif ….

keisha 26 octobre 2016 - 8 h 25 min

Carte me permettant de ‘voir’ les lieux de mon dernier polar suédois (les sjowall et wahloo), merci!

Electra 26 octobre 2016 - 9 h 24 min

De rien ! Parfois, on sait qu’ils inventent un lieu (comme Kent Haruf) mais là je savais qu’Ystad existait et puis il parle du fameux « bro » (pont) entre Malmö et Copenhague qui n’existait pas au tout début de la carrière de Wallander.. bref je vois qu’on aime bien la géo toutes les deux !

Jerome 26 octobre 2016 - 9 h 28 min

Jamais lu Mankell. Mais le découvrir avec des nouvelles, pourquoi pas…

Electra 26 octobre 2016 - 9 h 38 min

Ah oui, je pense que ça pourrait te plaire – honnêtement son regard un peu désabusé sur la société te plairait je pense – l’enquête passe au second plan, comme chez Indridason – c’est pour ça que j’aime ces polars nordiques.
Tu peux tenter le coup en empruntant à la bibli !

Eva 26 octobre 2016 - 14 h 29 min

J’ai lu quasiment toutes les enquêtes de Wallander (j’aime moins les romans « non policiers » de Mankell) et ce recueil de nouvelles serait donc parfait pour moi! il me reste à découvrir l’adaptation en série TV, pas encore vue ! (mais après Longmire ^^^)

Electra 26 octobre 2016 - 14 h 35 min

Pareil, il me reste un roman (mais vu l’adaptation) et un autre dont je ne me souviens pas … Je te conseille donc fortement ce recueil – pour l’adaptation, elle est aussi très bonne ! Kenneth Branagh est un Wallander tout à fait plausible et la réalisation est excellente – on voit Ystad, la campagne suédoise, ses demeures de notables très froides .. Mais oui Longmire comes first 🙂

Mingh edwige 26 octobre 2016 - 15 h 51 min

Fan de Longmire, moi aussi. Romans mais aussi la série !

Electra 26 octobre 2016 - 16 h 51 min

pareil – les deux !

Marie-Claude 26 octobre 2016 - 14 h 47 min

J’ai lu ce recueil le coeur gros, sachant que c’était la fin. Je m’ennuie tellement de Wallander…

Electra 26 octobre 2016 - 14 h 50 min

ah moi aussi ! en voyant le dernier épisode à la télévision, j’étais si triste – j’ai donc repris ce livre, mais rien n’y fait ! snif snif ….

Les commentaires sont fermés