Ligne de fracture ∴ Jesmyn Ward

par Electra
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Le livre a été publié en France le jour de mon anniversaire il y a trois ans et demi, un signe, non ? A l’époque, je ne connaissais pas Jesmyn Ward. Aujourd’hui, je suis une de ses plus grandes fans.  Je vous ai parlé de son romans, Bois Sauvage et de son mémoire Men we reaped. J’avais donc très envie de découvrir son tout premier roman, publié en 2008, Ligne de fracture (Where the line bleeds).

A noter que ses romans Bois Sauvage et Sing Unburied Sing (que j’ai bien évidemment acheté) ont obtenu tous deux le National Book Adward. Chose rare. Les éditeurs américains ont donc décidé de publier à nouveau son premier roman, celui dont je vous parle aujourd’hui. Et si je pensais que c’était un peu facile, je me dis qu’en fait, ils ont tout à fait raison car il s’en dégage une telle puissance. Le Sud, Faulkner..

Louisiane – A Bois Germaine, les jumeaux Joshua et Christophe viennent de décrocher leur diplôme. 18 ans, le lycée derrière eux, les deux garçons n’ont qu’une seule obsession : trouver du travail. La maison de Ma-Mee, leur grand-mère adorée qui les élève, a besoin de gros travaux et la santé de la vieille dame décline. Elle est presque aveugle à présent. Mais dans ce trou paumé de Louisiane, sans qualification, le travail se fait rare.

Alors, en attendant, les deux frères tuent le temps avec les potes, entre matches de basket et virées nocturnes en voiture au bord du lac. Christophe s’offrir un joint matin et soir et les deux garçons cherchent l’amour, à défaut du pelotage sur les banquettes arrières. Joshua, plus en retrait, tombe amoureux d’une jeune fille aussi timide que lui. Les deux garçons ont postulé aux seuls emplois qui leur sont offerts : serveur dans les fast-food locaux et dockers sur les quais du Golfe du Mexique. Leur mère, qui est partie vivre à Atlanta, leur a offert une voiture, à défaut d’assister à la cérémonie de remise des diplômes. Si leurs parents leur manquent, les garçons ne le montrent pas.

Lorsque les dockers appellent pour offrir un job à Joshua, la grand-mère est ravie mais est triste de devoir dire à Christophe qu’il n’a pas été pris. Le garçon ne montre rien, mais intérieurement une première fissure se crée entre les deux frères. Car Christophe ne voit toujours rien venir. Il en a marre de passer ses jours à glander, marre de ne pas avoir de copine régulière, d’être le moins dégourdi des deux, de ne pas pouvoir participer aux frais de santé de sa grand-mère. Il avait déjà tout prévu dans sa tête : retaper la toiture, créer un vrai porche autour de la maison.

Tous les jours, il conduit Joshua aux docks et retourne le chercher le soir. Celui-ci s’écroule dans la voiture et s’endort. Son job, physique et très éprouvant l’a transformé en fantôme. Joshua ne sort que pour aller voir sa petite amie et ne réalise pas qu’il manque à Christophe. Les deux garçons ont appris le retour en ville de leur père, surnommé Sandman (l’homme de sable), un junkie notoire. L’homme, à peine sorti de sa énième cure de désintoxication,  erre dans les rues.

Sandman – il ne voulait pas le revoir. Laila tirer sur une mèche pour défaire un noeud dans ses cheveux (…) Il avait hâte qu’elle en finisse, hâte d’oublier son odieuse beauté, hâte de s’éloigner du coeur de Bois Sauvage, où le fantôme de son père revenait errer. Sans le faire exprès, il se mordit la langue en serrant les mâchoires. Ce goût amer et salé, cela devait être du sang.

Les deux garçons le détestent et se sont toujours promis de ne jamais basculer dans la drogue.  Mais l’argent mis de côté par Christophe file dans l’essence et les joints. Finalement, le jeune homme va rompre sa promesse et accepter de dealer. L’argent arrive enfin, et il persuade son frère de l’ajouter à la somme qu’il verse tous les mois à leur grand-mère. Mais Joshua est en colère contre Christophe et les deux garçons, auparavant inséparables, s’éloignent peu à peu…

La tragédie s’approche. Inéluctable. « Violente et tragique, mais aussi pleine de chaleur et d’espoir, une œuvre engagée et puissante profondément imprégnée de la littérature du Sud, le premier roman de Jesmyn Ward où pointaient déjà la rage et l’émotion qui allaient faire de Bois Sauvage un triomphe, récompensé par le National Book Award » – je plussoie ! Impossible de résister à ces deux jeunes hommes, à leurs espoirs, leurs craintes et leur amour considérable pour leur grand-mère.  Jesmyn Ward sait faire de ses personnages des héros plein d’empathie, d’humanité. Impossible de ne pas s’attacher à ces deux garçons qui tentent avec leurs maigres moyens de résister à la pression sociale et économique. Un portrait déjà saisissant de la société américaine, du Sud. Un énorme coup de coeur.

Son frère peuplait ses cauchemars ; et Laila, toujours floue, ses rêves. (…) Sa vie n’était que sacs et lourdes caisses à décharger ; les pluies d’été, fréquentes, salées, lui piquaient les yeux, puis le soleil tranchait les nuages comme une lame de couteau et lui brûlait la peau. Alors tout dégageait de la vapeur : lui, les autres dockers, le béton à l’infini devant eux.  Partout cette puanteur métallique.

Je l’ai lu en français, je compte le racheter en anglais, j’attends la nouvelle version qui sort en avril.

J’ai lu ce roman dans le cadre du challenge 50 états 50 romans, Etat de Louisiane.

♥♥♥♥♥

Editions Belfond, Where the line bleeds, trad. Jean-Luc Piningre, 2014, 350 pages

Et pourquoi pas

12 commentaires

Marie-Claude 26 février 2018 - 2 h 14 min

Tiens, je m’y mets! Depuis le temps que tu parle de d’elle… Je sors « Bois sauvage » de ma bal ce soir. J’espère que je serai encore dedans lorsque tu arriveras!

Electra 26 février 2018 - 8 h 22 min

Ah génial ! J’aime tellement son travail, j’ai encore ses essais et son dernier roman à lire. Ravie de l’apprendre, tu vas adorer (je pense au personnage de la jeune fille) !

Edwige Mingh 26 février 2018 - 9 h 16 min

J’ai aimé découvrir Jesmin Ward, mais un petit bémol pour moi cependant. Avant d’ouvrir un nouveau roman, je sais déjà ce qu’elle développera à l’intérieur… Ceci dit, il est important de la lire pour ceux et celles qui ne connaissent pas son oeuvre.

Electra 26 février 2018 - 9 h 36 min

Oui et non. Ici ce n’est pas le cas. Ses essais sont évidemment plus orientés mais ici c’est surtout une histoire d’amour fraternelle avec un style incroyable et le Sud. Ici l’endroit est primordial.

keisha 26 février 2018 - 10 h 32 min

Il serait temps que je démarre avec cet auteur.

Electra 26 février 2018 - 16 h 23 min

Oui ! Je suis étonnée que tu n’aies pas déjà tout lu d’elle vu à la vitesse à laquelle tu dégaines 🙂

Julie 26 février 2018 - 10 h 53 min

J’avais beaucoup aimé Bois sauvage alors pourquoi me laissez tenter par celui-ci ? Ton avis donne très envie de s’y plonger en tout cas 🙂

Electra 26 février 2018 - 11 h 01 min

Merci ! Il est tout aussi bon – si tu as aimé le Sud, l’amour fraternel, tu vas aimer celui-ci !

keisha 26 février 2018 - 11 h 13 min

Nouvel essai

Electra 26 février 2018 - 16 h 24 min

C’est bon ! Bizarrement, WP t’avait basculé dans les indésirables 🙂

La Rousse Bouquine 27 février 2018 - 14 h 53 min

Je ne connaissais pas du tout cet auteur. Comme souvent, merci pour la découverte !

Electra 27 février 2018 - 15 h 00 min

De rien ! Je pense qu’elle te plaira beaucoup, surtout avec ce roman 🙂

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