Le centre du monde ∴ Emmanuelle Walter

par Electra
5,7K vues

Le centre du monde : Une virée en Eeyou Istchée Baie-James avec Romeo Saganash.

Après son excellent et passionnant essai sur la disparition des femmes autochtones, intitulé  Soeurs volées , je retrouve à nouveau la plume d’Emmanuelle Walter avec grand plaisir.

Cette fois-ci la journaliste a décidé de partir dans une région peu connue du Québec, où vivent une grande partie des autochtones québécois : la circonscription électorale Abitibi-Baie James-Nunavik-Eeyou dont Romeo Saganash est le représentant à l’assemblée québécoise. Cette circonscription regroupe plusieurs régions dont Eeyou Istchée Baie-James. L’itinéraire de leur road-trip va permettre au lecteur d’aller à la rencontre des principales villes autochtones, où vivent les Cris et de quelques localités où habitent en majorité des québécois blancs francophones. Les autochtones sont souvent anglophones car à l’époque des pensionnats, les enfants étaient envoyés au Nouveau-Brunswick, dans la partie anglophone du Canada.

Emmanuelle Walter va donc prendre la route en compagnie de cet homme très connu, Romeo Saganash. Au fil de leur voyage, Romeo se confie : enfant d’un de ses pensionnats, il n’a eu de cesse de retrouver sa culture, sa langue, son histoire. Originaire de Waswanipi, dans le centre de la Baie James, Romeo représente aujourd’hui également les territoire du Nunavik ou d’Abitibi – il doit ainsi représenter les localités portuaires, majoritairement blanches, anciennement très fréquentées et dont la population a sensiblement chuté ces trente dernières années.

Ce road-trip m’a permis d’en apprendre plus sur cette région méconnue du Québec et en particulier sur la vie dans les réserves indiennes où tout a changé depuis l’accord financier signé entre Hydro-Québec et la population locale en 1994. Les réserves ont reçu des millions de dollars destinés uniquement aux infrastructures. Elles ont pu soudainement se doter de bâtiments publics flambant neufs : des écoles, des gymnases, des piscines olympiques. Alors que leurs voisins blancs, installés dans des localités sans élus, ont vu leur niveau de vie diminuer et leurs infrastructures vieillir. Un inversement de situation très intéressant.

Plusieurs lois fédérales ont été passées au fil des ans reconnaissant le droits des autochtones :  l’une d’elle a débouché sur d’autres obligations comme le regroupement des assemblées locales, avec un pourcentage identique de représentants de chaque « nation« .

Emmanuelle Walter doutait de cet arrangement mais après avoir assisté à une réunion d’un conseil municipal, elle a changé d’avis. Chose amusante : les québécois cris s’expriment en anglais, et les québécois blancs leur répondent en français. Et tout le monde se comprend.  Les québécois blancs doivent dorénavant obtenir l’aval de la population crie avant d’engager toutes dépenses. Idem pour les autochtones qui ont le sentiment d’être enfin reconnus et écoutés. Même si au niveau fédéral, les problèmes persistent. Ainsi, ai-je lu dans un article juste avant mon départ, qu’ils n’avaient pas été consulté sur une loi environnementale portant sur les droits de pêche et chasse et le combat continue ailleurs (le passage d’un oléoduc sur leurs terres, par exemple).

Emmanuelle Walter réussit à vous faire voyager avec elle. Elle confie ses soirées à refaire l’histoire de Romeo et celles des indiens cris – les terribles pensionnats, la perte de repères, l’alcool et puis une prise de conscience, leur entrée en politique, leur reconnaissance mondiale. Leurs droits en partie rétablis mais toujours discutés.

J’ai adoré ce récit, du début à la fin. Romeo est un sage, qui par ses fonctions, a du apprendre à porter la voix, non seulement des autochtones mais aussi des communautés blanches de sa juridiction.

620 km de route où le paysage change, où les impressions d’Emmanuelle évoluent également – où le lecteur découvre à leurs côtés la Baie-James québécoise.

Ici, on germe les premiers graines de la cohabitation, dans une ère où le changement climatique fait ses premières victimes, ainsi le nombre de caribous et de poissons a chuté de manière prodigieuse.

Et malgré les financements, tout ne va pas mieux au pays Cri : l’argent est uniquement destiné aux infrastructures et non aux logements. Les indiens n’ont jamais payé de loyer, ils n’ont pas la notion de propriété et leur situation ne les encourage pas à rembourser les dettes. Romeo doit trouver une solution rapide avec le gouvernement québécois car la population indienne explose : elle va tripler en moins de quarante ans et désormais les familles s’entassent dans des logements insalubres. Le chômage touche la jeunesse, les jeunes abandonnent l’école. L’alcool a été remplacé par la drogue et les violences domestiques ont augmenté.

La voix de Romeo résonne dans mes oreilles, une voix chaleureuse j’en suis sûre. Son regard se perd souvent dans le lointain, il se souvient de ses étés où il chassait et pêchait avec son père.

Un récit très bien écrit et très instructif pour tous les Québécois et tous les francophones, curieux d’en savoir plus sur la situation actuelle des peuples autochtones dans cette période charnière de leur histoire.

Un grand merci à Maud, c’est en lui parlant de Sœurs volées, qu’elle m’a annoncée qu’Emmanuelle Walter avait depuis publié ce récit. Je l’ai immédiatement commandé en librairie, suivie de très près par ma copine pure laine Marie (@Hop sous la couette).

♥♥♥♥♥

Éditions Lux, Canada, 2017,  99 pages

Et pourquoi pas

14 commentaires

keisha 11 avril 2018 - 13 h 42 min

Je doute de le trouver à la bibli, mais comme j’ai déjà une liste spéciale amérindiens sur le site de la bibli… (un Treuer, par exemple) ça ira

Electra 11 avril 2018 - 13 h 45 min

Oui ! C’est intéressant car une région totalement inconnue des touristes et même des Québécois

Marie-Claude 11 avril 2018 - 14 h 48 min

Il me tarde de le lire. Ça ira en juin!

Electra 11 avril 2018 - 19 h 01 min

Oui ! Ça va te donner des envies !

luocine 11 avril 2018 - 19 h 28 min

une découverte pour moi, c’est vraiment bien que les indiens canadiens soient reconnus.

Electra 11 avril 2018 - 20 h 31 min

Oui ! Ils méritent plus de visibilité

Jackie Brown 12 avril 2018 - 1 h 07 min

J’avais vu un reportage de Radio-Canada sur le Programme de développement des jeunes du Nunavik axé sur le hockey de Joé Juneau où on parlait d’un grand tournoi à Val d’Or qui rassemblait les équipes autochtones. J’ai trouvé l’an passé un article dans La Presse sur ce tournoi. Et on parle de trois des frères Saganash, dont Joe qui était un espoir du hocket et est le petit frère de Romeo. Je te mets l’article si ça t’intéresse : http://plus.lapresse.ca/screens/91ac590a-1207-45cb-a740-3f25fc528553__7C___0.html

Electra 12 avril 2018 - 7 h 17 min

Merci Romeo est très intéressant dans son témoignage. Je le lirai ce soir (ici c’est tôt le matin)

Titezef 12 avril 2018 - 23 h 24 min

C’est une auteur que j’ai bien envie de découvrir. 🙂

Electra 12 avril 2018 - 23 h 57 min

Il le faut ! Ses deux livres sont différents mais toujours à l’écoute des autres

Titezef 13 avril 2018 - 11 h 58 min

Bien m’dame …Et « à l’écoute des autres » cela me parle..

Electra 13 avril 2018 - 15 h 19 min

Yes ! Tant mieux

Fanny 13 avril 2018 - 8 h 45 min

Plus je te lis, plus je me rends compte de mon « ignorance » sur ce sujet! Faut que ça change! 🙂 merci à toi de m’éclairer!

Electra 13 avril 2018 - 8 h 49 min

De rien heureusement aujourd’hui il y a plein de livres !

Les commentaires sont fermés