Celui qui veille · Louise Erdrich

par Electra
4,2K vues

J’avais déjà l’édition américaine, mais je trouve la couverture française tellement plus belle. Reste le talent époustouflant d’une très grande dame.

Louise Erdrich a voulu rendre hommage à un homme, son grand-père maternel qui a oeuvré contre la « termination » ou la fin programmée de la reconnaissance par le gouvernement américain de l’existence de sa tribu, les Turtle Mountain – le gouvernement leur offre ici l’émancipation. En fait, il décide tout simplement de renier un traité qui avait été signé il y a des années. La tribu avait déjà perdu ses terres ancestrales au profit des Laura Ingalls et avait accepté d’être relogé dans ses terres arides et peu nourricières du Dakota du Nord.  Chasseurs de bisons, ses ancêtres ont du apprendre la sédentarité et à cultiver des terres arides. Très vite, la pauvreté s’est installée et évidemment seules les aides gouvernementales ont permis à la tribu de se maintenir en vie.

Nous sommes en 1953. Thomas Wazhashk est veilleur de nuit dans l’usine de pierres d’horlogerie proche de la réserve. Elle emploie de nombres employés Chippewas, comme Pixie, la nièce de Thomas. Thomas est un ancien fermier qui a pris cet emploi de nuit il y a cinq ans. Tous les soirs, il part et laisse son épouse veiller sur leurs enfants (naturels ou adoptés). Un soir, il découvre le projet de loi mené par le sénateur mormon qui vise à l’émancipation des Indiens en rejetant un traité signé entre la tribu et le gouvernement il y a plus de cent ans. Ce projet mettrait fin à la notion de réserve, à la fin des aides gouvernementales et à la protection des terres, elles seraient vendues – or les Chippewas n’ont absolument pas les moyens de racheter leurs propres terres et elle pousserait probablement ces derniers à partir vers les grandes villes et terminer leurs vies à la rue.

Thomas décide alors d’agir, en alertant toute la tribu et en organisant un convoi jusqu’à Washington pour défendre leurs droits. Malgré leurs faibles moyens, la communauté s’organise comme elle peut, en organisant par exemple un tournoi de boxe. De son côté Pixie refuse le destin qui lui est prédestiné : un époux et des enfants. Elle a quitté le lycée pour aider à subvenir aux besoins de sa famille et travaille désormais à l’usine de pierres. Tous les matins, qu’il neige ou tempête, elle marche pour rejoindre ses amies qui l’emmènent en voiture. Pixie doit aider sa mère car son père, un homme alcoolique violent, disparaît des jours entiers et son retour est toujours craint. Elle vit dans une maison avec son jeune frère. Pixie et sa mère sont inquiètes car elles n’ont plus de nouvelles de Vera, l’ainée, partie vivre à Minneapolis avec son compagnon.

Pixie et Thomas s’embarquent tous deux dans leurs propres destinées, l’une pour savoir ce qui est arrivée à sa soeur, l’autre pour défendre l’existence menacée de son peuple. Leurs chemins vont finir par se croiser.

L’autrice rend un formidable hommage à son grand-père maternel, mais elle va beaucoup plus – en rappelant une nouvelle fois, la politique exterminatrice menée par le gouvernement américain contre les tribus indiennes. Le prologue à la fin du livre est terrible, plus d’une centaine de tribus seront ainsi rayées de la carte du jour au lendemain. Il faudra attendre des années pour que certaines luttent et obtiennent une reconnaissance tardive.

A travers le portrait de Pixie, l’autrice décrit le destin de ces jeunes femmes, rares sont celles, comme une autre héroïne du livre, pouvaient espérer un autre parcours. Lorsque l’étude menée sur le niveau de vie des Chippewas est rendu, les statistiques sont terribles. La pauvreté règne en maitre, les conditions de vie, dans des maisons sans véritable fenêtre ou toitures, sans eau courante – l’accès aux soins, traduit ici déjà la situation très précaire des ces hommes et femmes. Mais aussi leur formidable courage et résilience.

Enfin, je ne peux que remercier l’autrice d’utiliser autant de vocabulaire Chippewa et de transmettre ici sa culture, ses croyances. Elle crée des personnages profonds, humains, spirituels et profondément liés à leurs racines, leur histoire. Elle nous rappelle qu’ils sont les victimes de notre soif de grandeur. Ce Manifest Destiny. Elle m’a aussi appris pas mal de choses sur la religion mormonne – qui pense être le seul peuple élu et n’a donc aucun remord à exterminer les autres peuples (ou alors convertissez-vous).

Ce roman mérite entièrement le Prix Pulitzer. Lu dans le cadre de mon challenge #nationindienne. Une fin d’année magnifique, merci Louise.

♥♥♥♥♥

Editions Albin Michel, The Night Watchman, trad. Sarah Gurcel, 2022, 560 pages

Photo by Linhao Zhang on Unsplash

Et pourquoi pas

20 commentaires

Fanny 10 janvier 2022 - 7 h 03 min

Je pense que je le lirai. J’avais adoré le seul livre lu d’elle, LaRose. Je pense que celui-ci peut être le prochain.

Electra 10 janvier 2022 - 18 h 41 min

J’ai aussi adoré LaRose du coup oui tu vas aimer !

keisha 10 janvier 2022 - 8 h 56 min

Merci de bien expliquer ce que signifie cette termination, avec ses conséquences désastreuses et tragiques. Un beau roman;

Electra 10 janvier 2022 - 18 h 41 min

Oui ! quelle horreur, on ne cesse de découvrir toutes ces tentatives pour les faire disparaître – je sais que tu as aussi aimé ce roman

Virginie 10 janvier 2022 - 9 h 56 min

Très tentée par ce roman, inscrit sur ma liste !

Electra 10 janvier 2022 - 18 h 42 min

Une bonne chose de faite !

uneviedevantsoi 10 janvier 2022 - 10 h 07 min

Tu me donnes très envie de le lire, ce que je vais très certainement faire 😉

Electra 10 janvier 2022 - 18 h 42 min

Merci ! car il le mérite vraiment, on s’attache aux personnages et on apprend plein de choses !

Kathel 10 janvier 2022 - 17 h 34 min

Il fait partie de mes tentations de 2022, même si je reste raisonnable jusqu’ici ! 😉

Electra 10 janvier 2022 - 18 h 42 min

raisonnable ? un mot rayé de ma liste en ce début 2022 ! mais ravie qu’il soit dans cette liste 🙂

Autist Reading 10 janvier 2022 - 20 h 35 min

Peut-être le roman qui pourrait me réconcilier avec L. Erdrich.

Electra 10 janvier 2022 - 22 h 11 min

te réconcilier ? quel besoin de se réconcilier ? LOL

Autist Reading 11 janvier 2022 - 12 h 53 min

Disons qu’après deux lectures plus que mitigées, on était comme qui dirait en froid, elle et moi 🙂

Electra 11 janvier 2022 - 15 h 29 min

oh zut, pour l’instant j’ai aimé tout ce que j’ai lu d’elle …

Mes échappées livresques 11 janvier 2022 - 9 h 17 min

Lecture à venir, il me tarde de le commencer !

Electra 11 janvier 2022 - 10 h 13 min

Tu vas être en bonne compagnie !

Mingh 11 janvier 2022 - 11 h 56 min

Pas encore lu ce nouveau Erdrich, mais ai regardé un excellent doc sur France 5 dimanche 9  » Far West, l’histoire oubliée », sur le sort des populations amérindiennes de Californie, du Texas, du Colorado, de l’Utah et du Nevada. On y apprends des pans entiers d’une histoire souvent occultée.

Electra 11 janvier 2022 - 12 h 06 min

ah j’imagine ! Je viens de voir une booktubeuse parler de l’histoire réécrite par les Américains où on a oublié les Indiens (et le génocide) un de mes amis est Païute (Californie) du coup je connais assez bien les tribus ainsi que celles en Utah.

Marie-Claude 11 janvier 2022 - 15 h 12 min

Pour une fois, je ne l’ai pas encore reçu… Je dois attendre, comme le commun des mortels, sa sortie en librairie et je ronge mon frein! Je sens d’avance que je ne serai pas déçu.
Perdu ses terres ancestrales au profit des Laura Ingalls? L’image est parlante.
Je suis plongé dans un de tes romans chouchous et je suis captivée…

Electra 11 janvier 2022 - 15 h 30 min

oh lequel ?? je suis toute excitée ! sinon, oui l’image est parlante mais réelle aussi – je pense que tu vas beaucoup aimer Thomas ! j’espère qu’il va arriver plus vite que mars !

Les commentaires sont fermés