L’Iguifou, nouvelles rwandaises · Scholastique Musakonga

par Electra
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J’ai découvert la prose de Scholastique Musakonga en lisant Inyenzi ou les Cafards en décembre 2022 et j’ai décidé de continuer ma découverte en lisant ses nouvelles, dans le cadre du challenge initié par Fabienne (Livr’escapades), Cent Jours au Pays des Mille Collines.

L’Iguifou (ou igifu en rwandais) désigne la faim qui tiraille les ventres des Rwandais Tutsi exilés de force de leurs pays, qui doivent sans cesse se déplacer et fuir en craignant les attaques meurtrières. La faim les tient éveillés, les empêche de dormir, mais aussi parfois de réfléchir. Trouver de la nourriture est compliquée, même au Burundi – où des milliers de Tutsi ont trouvé refuge depuis les années 50. Ils lui ont donné un nom car elle les accompagne nuit et jour.

Colomba est une jeune fille qui survit, avec le ventre vide, rêve de nourriture, d’un passé heureux et attend le retour de sa mère partie travailler aux champs, en espérant qu’elle ramène avec elle un peu de nourriture. Mais parfois, elle revient sans rien dans sa panse. Colomba est encore une enfant et un jour elle s’effondre …

Dans une autre nouvelle, on suit aussi ces enfants qui risquent leur vie en allant à l’école. Des guetteurs surveillent leurs campements car ils craignent de voir débarquer les ennemis armés de machètes terminer leur sinistre travail. Les enfants ont ainsi appris au moindre bruit à se cacher dans les fourrés lorsqu’ils vont à l’école. Parfois, ce sont de fausses alertes, mais ils savent qu’un jour, ils viendront … Comment vivre sa jeunesse la peur au ventre ? L’autrice réussit à transmettre avec brio ces kilomètres de marche réalisés la peur au ventre. Ce passage m’a particulièrement touché.

Kalisa raconte la vie de son père, lorsqu’il possédait encore son troupeau de vaches. Leur fierté. Mais depuis toutes les vaches ont été tuées ou sont mortes sur le chemin de l’exil. Son peuple est amputé de sa plus belle réussite, car un homme sans troupeau n’est plus un homme. L’enfant voit ainsi sa famille, et les autres éleveurs vivre dans le passé, rêver du temps où ils s’occupaient de leurs vaches, où ils étaient des hommes fiers, capables de nourrir leurs proches. Désormais, tout appartient au passé.

Et puis, il ne faut pas oublier Helena, dont le destin tragique est déjà dressé. Elle est belle, trop belle pour une Tutsi. Elle fait tourner la tête des hommes, mais les Tutsi, trop pauvres, exilés ne peuvent payer la dot, et les Hutus ne peuvent épouser une Tutsi. Son histoire est touchante et révoltante.

J’ai beaucoup appris sur la culture des éleveurs de bétail Tutsi, leurs croyances, leurs remèdes (donner la toute première urine d’une vache laitière le matin aux enfants ayant des coliques par exemple) et leur formidable résilience.

Un recueil que j’ai lu d’une traite. Très fort. Qui rappelle que le génocide de 1994 n’est que l’aboutissement de 40 ans de souffrance d’un peuple banni de son propre pays, vivant dans la terreur perpétuelle.

Editions Gallimard, 2010, 128 pages

 

Photo de maxime niyomwungeri sur Unsplash

Et pourquoi pas

6 commentaires

Fanja 9 juin 2024 - 23 h 52 min

Je garde encore un souvenir fort de Notre-Dame du Nil que j’avais classé dans mes incontournables. Il faudrait vraiment que je relise cette autrice, plus avec ses romans toutefois car je suis moins nouvelles, même si elles semblent valoir le détour ici.

Electra 10 juin 2024 - 16 h 16 min

Oui, je l’ai découverte tardivement mais ici être au côté de ces gens exilés de force, poursuivis, est encore une réussite de la part de cette autrice. Je vais continuer à lire son oeuvre

je lis je blogue 10 juin 2024 - 7 h 06 min

J’ai beaucoup apprécié les nouvelles extraites du recueil intitulé « Ce que murmurent les collines » de la même autrice. C’est très dépaysant et on apprend beaucoup sur la culture des Tutsis.

Electra 10 juin 2024 - 16 h 17 min

Oui, j’ai appris énormément sur ce peuple, leurs croyances, leur mode de vie, je vais tenter de trouver le recueil que tu cites

Livr'escapades 12 juin 2024 - 10 h 41 min

Ce recueil m’a l’air très fort et comme je rechigne moins à lire des nouvelles depuis que j’ai lu « Ejo » de Beata Umubyeyi Mairesse, je note celui-ci. De l’autrice, j’ai « Un si beau diplôme » dans ma pile. Il y a tant à lire sur le sujet… Merci pour ta participation!

Electra 12 juin 2024 - 18 h 50 min

De rien, ce fut un plaisir ! Il me reste un autre livre (en anglais), j’espère pouvoir le lire en juillet.

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