Shoko’s smile · CHOI Eun-young

par Electra
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Il me tardait cette année de reprendre la lecture de nouvelles, sachant que c’est sans doute mon deuxième genre préféré. J’ai chez moi plus d’une vingtaine de recueils, et je continue d’en acheter régulièrement. Les auteurs américains commencent leur carrière en publiant des nouvelles dans des magazines littéraires. Si leur premier roman a du succès, leurs éditeurs publient alors le recueil de leurs premières nouvelles. J’ai depuis découvert les nouvelles sud-coréennes et comme les Américains, ils/elles maîtrisent totalement l’art subtil d’une nouvelle. Attention, contrairement à l’idée répandue, il n’y a pas forcément de chute dans une nouvelle. Ici, c’est le cas. Ce sont des tranches de vie qui nous sont proposées, comme si on nous donnait accès à travers une longue vue pendant quelques minutes à la vie d’une personne inconnue. Et j’adore ça.

J’avais souvent croisé la couverture de ce recueil au nom étrange : Shoko’s smile. Je ne connaissais pas l’autrice CHOI Eun-young (최은영) mais c’est en voyant deux booktubers anglophones citer ce recueil comme l’une de leurs meilleurs lectures 2024 que j’ai sauté le pas. Et quelle claque ! J’ai été immédiatement happée par l’histoire et le style. La voix de l’autrice. J’ai continué à piocher par hasard et à chaque lecture, j’étais étourdie par le talent et la virtuosité de la nouvelle. Chacune très différente et je ressortais à chaque fois comme soulagée mais aussi troublée par cette lecture.

CHOI Eun-young réussit à donner voix à des femmes, toutes différentes et à nous faire partager leurs émotions, leurs craintes et leurs regrets. Avec une maîtrise impressionnante du ressenti humain, comme l’histoire troublante entre Shoko, l’élève japonaise et sa correspondant coréenne. J’ai trouvé l’analyse des rapports humains incroyablement traitée et rendue. Tellement vraie. Nous avons tous et toutes ressenti un jour les mêmes sentiments envers une autre personne. L’amitié n’est pas toujours une relation équilibrée entre deux personnes, ou parfois elle est même imposée. Ou comme ici, enveloppée de silences, de jalousie et de ressentiment. L’autrice réussit à traduire toutes ces émotions à travers ces deux jeunes femmes. Une nouvelle qui restera longtemps dans mes pensées.

I was watching someone who’d had a piece of her mind shattered and found myself basking in an odd sense of superiority.

Dans la nouvelle Sister, My little Soonae, la narratrice, Hae Oak est sur son lit d’hôpital, atteinte d’une maladie incurable. Sa fille lui rend visite et Hae Oak lui parle soudainement de sa petite soeur, Soonae. Cette dernière est venue lui rendre visite, mais Soonae est décédée il y a de nombreuses années. Les deux femmes, avaient vécu ensemble, Soonae étant venue vivre chez Hae Oak à l’âge de 9 ans.  Les deux enfants, malgré leur différence d’âge, étaient devenues inséparables. Mais leur relation avait éclaté après que Soonae s’était mariée avec un homme très vite condamné à la prison. Hae Oak avait peu à peu rompu contact. Elle ne supportait pas le regard des autres. Soonae était partie et réapparu plusieurs années plus tard, avec un enfant.  Soonae était si heureuse de revoir sa soeur ainée, mais cette dernière ne pouvait cacher son malaise et après plusieurs tentatives, elles avaient cessé de se voir.

Une très belle histoire sur la fragilité des liens, deux enfants qui ont vu leur relation éclater à l’âge adulte. Une nouvelle intimiste magnifique.

Mom had nothing to do with Auntie (Soonae) for the rest of her life. (…) She could only gaze at the photograph and quietly whisper, Sister my little Soonae…

Dans Hanji and Youngju, l’autrice nous emmène dans un monastère du sud de la France où une jeune femme coréenne vient faire une retraite. Elle fait alors la connaissance de Hanji, un jeune homme africain. Une nouvelle un peu à part mais qui aborde à nouveau le thème de l’amitié, de l’attente et de la déception. La jeune femme qui ne se retrouvait plus dans sa vie en Corée du Sud croit avoir trouvé un ami, et peut-être plus en la personne d’Hanji, mais très vite elle a le sentiment qu’ils ne sont pas égaux. Un sentiment d’infériorité prend le dessus. Youngju raconte comment avec le temps, cette amitié n’est plus qu’un souvenir, dont la réalité lui échappe. Une phrase m’a marquée, et je la partage avec vous :

Memory is a talent. You were born with it, my grandma told me when I was young. But it’s a painful one (…) Happy memories seem like jewels when in fact they’re burning charcoal. You’ll hurt yourself if you hold on to them, so let go and dust off your hands. Child, they are no gift.

Je pourrai aussi vous parler des nouvelles suivantes : A song from Afar, Michaela, The Secret et Xin Cháo, Xin Cháo – mais ce billet ne finira jamais. Elles méritent pourtant aussi un paragraphe, l’autrice revient en effet sur la catastrophe maritime lorsqu’un ferry (Sewol Ferry) avait coulé, faisant plus de 300 victimes dont la majorité étaient des lycéens en sortie scolaire. Les deux nouvelles sont particulièrement touchantes. Je me souviens de ce terrible accident et j’ai encore l’image des familles. J’ai tout aimé dans ce recueil. Ici l’absence et le deuil sont magistralement traités. Comme la nouvelle sur cette amitié entre une famille coréenne et une famille d’origine vietnamienne.

A chaque récit, l’autrice réussit à étudier les liens humains qui nous unissent, en décrivant leur fragilité ou au contraire leur force, malgré les obstacles de la vie. Un recueil magnifique qui prouve une nouvelle fois que la nouvelle n’est pas un genre inférieur. Ici chaque histoire existe et résonne en vous pour longtemps. Un nouveau coup de coeur !

♥♥♥♥♥

John Murray Publishers, 쇼코의 미소, 2022, 272 pages

 

Et pourquoi pas

10 commentaires

Sacha 10 juin 2025 - 12 h 34 min

J’adore les nouvelles, surtout quand elles parlent de liens humains. Je lis en anglais, mais quand c’est la VO. Je ne suis pas à l’aise quand c’est une traduction. J’espère donc que ce recueil sera bientôt traduit en français !

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Electra 10 juin 2025 - 22 h 56 min

ah ok, moi je n’aime pas les traductions françaises des auteurs asiatiques, je trouve les traductions anglophones plus fidèles à l’original. Mais j’espère qu’il sera traduit en français, car j’ai aimé toutes les nouvelles, et en écrivant ces mots, je me souviens de chaque histoire

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keisha 10 juin 2025 - 16 h 16 min

Ne rêvons pas, ce n’est pas à la bibli..;
J’aime bien les nouvelles, même sans chutes!

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Electra 10 juin 2025 - 22 h 56 min

oui, ici ce sont des tranches de vie avec en filigrane le deuil ou l’impossibilité de le faire. Espérons que ce soit traduit !

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je lis je blogue 10 juin 2025 - 18 h 36 min

Ton enthousiasme est communicatif. Ces nouvelles ont l’air pleine de sensibilité. Comme Sacha, je lis en Anglais mais uniquement quand il s’agit d’auteurs anglophones.

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Electra 10 juin 2025 - 23 h 00 min

oui, du coup, vu qu’elles sont en coréen, tu ne les liras pas ? je suis curieuse car je n’aime pas les traductions françaises que j’ai pu lire d’auteurs asiatiques. Comme longtemps pour les traductions russes (je lis le russe) les traductions en français n’étaient pas du tout fidèles à l’original (ah les classiques russes, même les prénoms étaient francisés ou même simplement non repris…) du coup je me suis vite tournée vers les traducteurs anglophones. Et je trouve que c’est pareil pour les auteurs asiatiques. J’ai du acheter plusieurs romans asiatiques en français car non traduits en anglais et il me manque toujours quelque chose. La seule exception étant peut-être pour Han Kang. Mais même là, j’attends la parution en anglais pour le relire et l’acheter (en version poche). Je suis un peu passionnée par les langues étrangères d’où ce très long message ! Mais si ce recueil est traduit en français, fonce, car vu tes goûts, je pense que tu aimerais beaucoup !

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Jenevelle Laclos 10 juin 2025 - 20 h 49 min

Ça donne envie de le lire ! J’espère qu’il sera traduit en français, je n’ai pas encore le courage de lire en anglais…

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Electra 10 juin 2025 - 23 h 02 min

oui, je comprends ! je pense qu’on peut commencer la lecture en anglais par des romanciers comme Roald Dahl, puis Agatha Christie ou des romanciers contemporains privilégiant les dialogues aux longues descriptions. Mais oui, espérons qu’il soit traduit en français !

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Fanja 10 juin 2025 - 23 h 56 min

Pas très nouvelles de mon côté. C’est surtout le fait d’ingurgiter plusieurs histoires différentes à la suite et d’une traite, en une courte période, qui ne me convient pas trop. Jusqu’à 5 ou 6, ça peut aller, tout dépend des thèmes et du style aussi, mais au-delà, c’est l’overdose. Ton billet est très convaincant cela dit, et je pourrais me laisser tenter, mais forcément, je ne vais pas en faire une urgence.;)

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Sunalee 12 juin 2025 - 8 h 57 min

Evidemment que tu es convaincante ! C’est le genre de recueil qui me plaira aussi, je pense. Et pas de souci pour l’anglais; je suis d’ailleurs d’accord avec toi, je préfère de loin les traductions en anglais (du japonais et du coréen), elles me semblent plus fluides. Depuis que je lis ces traductions en anglais, je bloque sur beaucoup moins de livres asiatiques qu’avant.

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