Hidden Valley Road · Robert Kolker

par Electra
9,6K vues

Il me tardait trop de le lire, du coup j’ai profité du petit prix en version e-book pour me jeter sur ce livre qui m’a passionné du début à la fin.

Ce n’est qu’une fois qu’entre les mains (sur ma liseuse), que j’ai reconnu l’auteur : Robert Kolker. J’avais déjà beaucoup aimé sa première enquête d’investigation sur les meurtres de plusieurs jeunes femmes à Long Island. Ma critique de Lost girls, an unsolved American mystery est en ligne.

Mais ici, l’auteur change complètement de sujet pour s’intéresser de près à une seule famille, Les Galvin. Qu’ont-ils de si intéressant pour mériter un ouvrage complet ? Don et Mimi Galvin semblaient être l’image même du rêve américain. Don, officier dans l’Air Force, s’installe avec Mimi au Colorado lorsqu’une nouvelle base aérienne s’installe dans cet Etat de l’Ouest. Ils s’installent sur l’Hidden Valley Road (la route de la vallée cachée). Catholiques pratiquants, les Galvin sont productifs : 12 enfants naissent de leur union, l’ainé en 1945 et la plus jeune en 1965. Vingt les sépare. Cette famille faisait des envieux, la réussite sociale et économique pour Don, la famille unie où tout semble harmonieux.  Les parents leur fournissent le meilleur enseignement, et la famille élève des faucons.  Mais derrière cette image, se cache une autre réalité. Terrible et longtemps cachée des autres.

En 1975, six des enfants Galvin, tous des garçons (les deux filles sont arrivées en toute fin), ont été diagnostiqués schizophréniques. Six. Comment cela a-t-il pu arriver ? C’est l’ainé qui a montré les premiers signes, puis les autres ont suivi, avec la peur pour tous les enfants d’être les prochains. Des quatre plus jeunes frères, très proches, sportifs, stars de leur école, trois vont développer la maladie. Laissant totalement dérouté le quatrième. L’un des ainés échappera également au sort de sa famille, et préférera s’installer très loin d’eux.

Mais rappelez-vous, nous sommes en 1969 lorsque, Don, le fils aîné développe les premiers signes (hallucinations, actes de violence) alors qu’il a réussi haut la main ses études et est promis à un grand avenir. Il revient vivre chez ses parents qui cache son état à leurs amis. La plus jeune soeur confie la peur que lui inspirait son frère ainé. Or cette maladie mentale est encore, à l’époque, attribuée à la mère. Toujours fautive. Comme pour l’autisme, on privilégie cette approche psychiatrique et personne ne songe à une origine génétique. Lorsque les Galvin n’ont pas d’autres choix que de faire, au cours des décennies suivantes, interner leurs enfants, la réponse est claire : la mère a causé la maladie. Aussi, Mimi Galvin refusera longtemps que ses fils soient hospitalisés ou suivis. Souvenez-vous de la soeur de John Kennedy ? La solution fut la lobotomie, son arrêt de mort. Mimi Galvin refusera tout cela et devra gérer chez elle, toute sa vie, des adultes malades.

Fort heureusement, la science évolue et on commence à vouloir poser un vrai diagnostic sur cette maladie. Comment se développe-t-elle ? L’un des premiers cas étudiés (dès les années 50) fut le cas de quatre soeurs quadruplées, toutes atteintes de la maladie. Mais vingt ans après, les scientifiques rejettent cette étude car elles partageaient exactement le même ADN. Ils partent alors à la recherche de familles dont plusieurs membres sont atteints. Au départ, les recherches portent uniquement sur le côté maternel (la mère toujours) mais bientôt on réalise que ce n’est pas l’unique piste. Sans le savoir, les Galvin, qui ont accepté de donner leur ADN vont participer à des décennies de recherche génétique, qui continuent aujourd’hui et offrent certaines solutions de traitement, et surtout qui participe à comprendre comment éradiquer cette maladie.

Car malheureusement pour les Galvin, ils sont nés à l’époque où l’internement, les chocs électriques, la lobotomie étaient les seuls traitements. A cela, on ajoutait des dizaines de médicaments qui entrainaient de fortes prises de poids, des problèmes cardiaques, du diabète et surtout les transformaient en zombie.

Je ne le cache pas, la lecture de ce récit est éprouvante, le témoignage des frères et soeurs, de leurs calvaires, de leurs peurs, est parfois difficile. Impossible de ne pas ressentir d’émotion devant cette famille, totalement détruite par la maladie. Et le sort continuera de s’acharner sur eux mais Mimi ne baissera jamais les bras. La souffrance, l’amour et l’espoir sont très présents dans le récit.

L’autre aspect passionnant est le développement de la maladie, différent chez chacun des enfants. Certains le manifestent par de la violence, d’autres de la dépression, d’autres par des abus sexuels, d’autres ont des manifestations moindres.

Le seul bémol pourrait être, pour certains lecteurs, le choix de Robert Kolker de dédier des pages entières à la recherche, mais contrairement à d’autres maladies, la schizophrénie ne se fixe pas que sur un seul et unique chromosome, aussi les pistes sont nombreuses et parfois l’économie entre en jeu. L’argent manque ou les lobbys pharmaceutiques refusent de les aider. Ainsi, un traitement presque miraculeux fut découvert mais ne fut jamais mis en vente, car il se composait de trois prises de médicament par jour, or ce nombre n’est pas possible face à cette maladie où le patient ne se considère pas malade.

Pour moi, cela fut passionnant au contraire, car on voit comment la maladie était perçue pendant longtemps, et combien des scientifiques se sont opposés pendant des années sur la nature même de la maladie.

J’ai lu deux autres ouvrages sur cette maladie que je n’ai pas chroniqué ici mais qui étaient tout aussi passionnants : Demain j’étais folle de Arnhild Lauveng et une étude clinique d’une jeune femme suisse (le titre m’échappe).

Reste encore en tête pour moi, plus d’un mois et demi après ma lecture, le témoignage touchant de cette petite soeur qui prit soin de tous ses frères, sans jamais sourciller.

♥♥♥♥♥

Editions Doubleday, 2020, 400 pages (Kindle)

Et pourquoi pas

7 commentaires

Fabienne 22 juin 2020 - 18 h 40 min

Aussi glaçant qu’intéressant! Il pourrait me plaire.

Electra 23 juin 2020 - 20 h 09 min

Oui il est vraiment passionnant de bout en bout même si il est effrayant parfois !

Autist Reading 24 juin 2020 - 18 h 47 min

Ah mais c’est tout à fait pour moi, cette histoire !!!!!
Avec toutes les tentations en non-fiction que tu nous sers, il y aurait de quoi mettre sur pied un équivalent du Mai en Nouvelles…. Je dis ça…. 😇

Electra 24 juin 2020 - 21 h 02 min

MDR
tu es terrible ! oui, c’est vrai que j’aime tellement la non fiction .. je pourrai évidemment y consacrer un mois ! coquin 🙂

Autist Reading 25 juin 2020 - 23 h 04 min

Je te prends au mot, alors. Préviens-moi bien en amont, que je prépare ma participation avant la date fatidique 😀
Je pourrais même y présenter ce livre, à mon tour, parce que, tu penses bien, je n’ai pas pu résister et il m’attend désormais dans la liseuse !

Marie-Claude 25 juin 2020 - 6 h 04 min

Celui-là, j’attends sa traduction de pied ferme.

C’est vraiment, mais vraiment une excellente idée qu’un mois de non fiction!

Electra 25 juin 2020 - 22 h 31 min

Oui 👍 je deviens accro ! Il reste novembre ? 😂

Les commentaires sont fermés