Me voilà de nouveau embarquée dans une lecture d’un classique français. Je n’ai jamais lu Gustave Flaubert. N’ayant peur de rien, j’ai opté pour ce pavé (623 pages), ce classique de la littérature française en lecture commune avec Lili des Bellons. Après la découverte de Balzac, allais-je être aussi emballée ?
N’étant pas du tout intéressée par la littérature française, j’ignorais même que ce roman fait partie d’un mouvement littéraire, le roman moderne. Un roman où l’intrigue n’est plus centrale, où le personnage principal peut ainsi disparaître et réapparaître. Où les codes sont cassés. Soit.
J’ignorais tout de l’histoire, vraiment tout. J’ignorais même les noms de Frédéric Moreau et de Mme Arnoux. Quelques mots sur l’histoire. Nous sommes en 1848 (ou pas loin), le jeune Frédéric Moreau, étudiant en droit rentre dans sa maison de famille, à Nogent. Il y a grandi aux côtés de sa mère, qui l’a élevé seule après la mort tragique de son père en duel, alors que sa mère était enceinte. Le jeune homme est plein d’espoir, d’envie. Il retourne à la capitale pour devenir « quelqu’un ». Sa mère le voit bien député ou ministre. Le gouvernement français est une pleine crise, la monarchie vacille. Les Républicains ne veulent plus d’un roi au pouvoir. Paris sera le lieu de toutes les révolutions et de tous les coups d’état qui vont faire trembler la France pendant les cinquante ans à venir. Et Frédéric en sera le témoin, involontaire (présentation éditeur)
Frédéric a des rêves, une forme d’ambition mais un souci majeur : il n’est point travailleur. Il espère hériter de son oncle une belle fortune et vivre de ses rentes. Il n’a pas d’ambition politique et ne veut être député que pour le titre. Un jeune homme sans réelle fougue, et au milieu de ses amis, tous ambitieux et très fortement politisés, il détone. Il reste leur ami, les soutient (parfois financièrement) dans leurs projets mais reste en retrait. Un jour, il fait la connaissance de la famille Arnoux, et en particulier de Mme Arnoux, dont il tombe éperdument amoureux. Mais elle est mariée et reste fidèle à son époux, pourtant volage et menteur. Frédéric devient son meilleur ami, et l’homme qui ne cesse d’investir dans des plans économiques les plus foireux les uns que les autres, en profite pour lui soutirer l’héritage tant attendu. Mais Frédéric accepte tout pour pouvoir approcher Mme Arnoux. Il fréquente grace à eux d’autres milieux, celui des affaires et de la politique. Il fait des rencontres importantes et souhaite lui aussi profiter de tout ce qu’offre Paris : les beaux habits, les beaux appartements et les femmes. Lui aussi prend maîtresse, point jaloux, il choisit une « une femme à particuliers » (une escort girl de luxe). Elle couche avec plusieurs hommes dont Arnoux. Ils l’entretiennent. Mais Frédéric se lasse vite et quand le succès ne vient pas assez vite, il retourne à Nogent et retrouve la petite voisine toujours aussi amoureuse. Un mariage est envisagé après des jours à courir dans les bois… Je n’en dis pas plus de la vie amoureuse du héros.
Frédéric a une vision réductrice des femmes, il les insulte et les dénigre, tout goujat et mufle qu’il est. Bref, je n’en dirais pas plus. Mais Frédéric Moreau est un personnage qui ne m’a jamais inspiré, sa vision de la vie, de l’amitié, de l’amour même me laisse pantois. Sans doute l’un des personnages les plus fades à mon goût. Je préfère de loin les autres personnages, même le terrible M.Arnoux.
Mais le roman n’est pas celui de Frédéric, c’est tout simplement une diatribe de l’auteur contre de nombreux mouvements politiques, et de nombreux politiciens ou artistes. Frédéric est toujours au bon endroit grâce à ses amis révolutionnaires, bourgeois ou socialistes. Ils vont traverser chaque révolte, émeute, répression ou scandale. Des Forrest Gump de la première moitié du 19ème Siècle français. Et c’est là que le bât blesse, si Balzac sait mêler ses personnages à la grande Histoire, il laisse toujours ses lecteurs libres de leurs pensées. Ici, non. Flaubert vous gave de noms, toujours 4 ou 5 qu’on parle politique, culture, peinture ou littérature, ou philosophie, il remplit son roman de références. De noms. Résultat : les bas de page prennent les deux-tiers de mon édition. Contre-effet : le roman disparaît au profit de notes vous expliquant qui sont les 5 personnes qu’il vient de citer ou à quoi correspondent ces centaines d’allusions à des évènements ayant fait le choux gras des journaux de l’époque. Les deux-tiers du livre sont presque imbuvables, si vous optez, comme moi au départ, pour une lecture attentive des notes de bas de page.
Chaque personnage suivi sur une dizaine d’année représente un mouvement politique, philosophique ou culturel et qui n’en sera que le porte-drapeau. Malheureusement, cette technique peut fonctionner quand elle est bien maîtrisée comme dans Balzac, est ici elle trop évidente. Ils ne représentent plus une réalité. Et puis on retrouve notre insipide Frédéric incapable de ressentir la moindre empathie, seule compte, et Flaubert le dit, sa propre personne. Bref, rien de folichon. Les femmes sont aussi des caricatures : la femme fidèle l’époux, pure, la pute et celle qui rêve de jeunesse en prenant un jeune homme comme amant. Bref, il les compare à un poulailler, rappelle qu’une femme « est une boîte vide si on lui ouvrait le crâne, on y trouverait de la poussière » mais surtout rien du tout. Bref, préparez-vous à en prendre plein la figure. Le héros s’entiche puis se lasse et dénigre. Violemment. Il n’est même pas détestable, il est pathétique à mes yeux.
Je ne finirai pas ce billet sans noter que, fort heureusement, Flaubert écrit très bien, et qu’il livre des paragraphes magnifiques, surtout lorsqu’il parle de la nature, de la vie, du mouvement, de la forêt de Fontainebleau et parfois des premiers émois amoureux de son anti-héros. Je finis donc sur cette bonne note.
Je garde donc un souvenir très mitigé de cette lecture, sur une partie de l’histoire de France qui ne doit pas dépasser deux pages dans nos livres d’histoire au lycée et qui ici sont devenus incompréhensibles pour le lecteur contemporain sans les notes de bas de page, tant les références sont nombreuses. Flaubert règle ses comptes, il détestait plusieurs mouvements et s’amuse à juger ses pairs sur leurs promesses et sur les résultats avec un recul de 20 années.
J’ai lu ici et là que Madame Bovary n’a strictement rien à voir et aurait même pu naître de la plume d’un autre auteur. On me vante aussi Salammbô. Mais je vous avoue que je suis heureuse pour le moment de quitter Paris et le 19ème Siècle.
Je ne regrette cependant absolument pas ma lecture, j’ai vraiment découvert à quel point les Français ont souffert pendant cette période d’instabilité gouvernementale et que la révolution française puis le retour de la Monarchie n’avaient que très peu changé la vie des pauvres gens. Je sais que Flaubert dresse un portrait réaliste et donc parfois satirique de la société française. Mais le roman moderne n’est définitivement pas pour moi.
Et je vous invite à aller voir le billet de Lili, qui, si j’écoute mon petit doigt, est beaucoup plus enthousiaste que le mien 😉
♥♥
Editions Livre de Poche, 2002,668 pages
12 commentaires
Après Martin Eden, voilà Frederic rhabillé pour l’hiver!!! Ma lecture de ce roman est trop lointaine, je ne me souviens pas des notes. ^_^
En revanche, garde dans un coin de tête Mme Bovary, c’est complètement différent!
Morte de rire 😂 oui les deux ont de très beaux manteaux 😂 oui je ne lâcherai pas l’affaire. Emma sera dans challenge 2021
J’admire ton courage pour être aller au bout. Je n’ai jamais pu changer d’avis sur ce roman qui figure parmi les plus encensés de la littérature française… Là, j’ai honte ! L’ avoir trop disséqué en fac avec un spécialiste de Flaubert m’avait oté toute envie de persévérer. J’ai plutôt préféré le Flaubert de la correspondance, ses lettres à Louise Colet par exemple. Ceci dit, il faut avoir lu au moins un roman de cet écrivain, monument de la littérature française ! Devoir accompli …
Merci 😊 je compte lire Emma. Oui j’ai tout lu et peut-être fut-ce mon erreur ! Ah la Fac. Moi c’était ma prof de français au lycée qui m’avait détruit la poésie.
Je suis une grande amatrice de romans historiques contemporains mais bloque encore et toujours sur les classiques (merci les lectures imposées – Madame Bovary, La peau de chagrin, A l’ombre des jeunes filles en fleur et compagnie – que de mauvais souvenirs!). C’est bien dommage car j’y trouverais aujourd’hui sûrement mon bonheur tant ces romans sont riches au niveau sociétal. Mais je ne désespère pas d’y arriver… au plus tard à la retraite! Et puis, il y a Zola aussi. Voilà un auteur que je n’ai jamais dû lire et que j’ai vraiment envie de découvrir. A suivre donc.
En tous cas, je suis vraiment admirative de tes efforts!
Merci ! bon je me sens moins seule du coup en te lisant. Les lectures imposées, vu qu’au collège je n’ai pas lu de classiques (à part Molière en 6ème) je ne garde presque aucun souvenir, seul Maupassant (sauvé par un prof) m’avait séduite. Oui, au niveau sociétal c’est très intéressant. Mais je préfère nettement la fin de la moitié du 20è S.
Je rejoins Keisha, ne reste pas sur cette impression mitigée pour passer à côté de Mme Bovary.. J’ai lu les deux et si je garde de L’éducation sentimentale le seul souvenir d’un ennui profond (je comprends pourquoi maintenant !), ce n’est pas du tout le cas de Mme Bovary, qui m’avait passionnée. Et pour goûter l’esprit critique de Flaubert vis-à-vis de son temps, avec humour et sans s’encombrer d’interminables notes de bas de pages, tu as son dictionnaire des idées reçues. Quelques extraits :
Impérialistes: Tous gens honnêtes, polis, paisibles, distingués.
Permuter: Le seul verbe conjugué par les militaires
Flegme: Bon genre, et puis ça donne l’air anglais. Toujours suivi de imperturbable.
Major: Ne se trouve plus que dans les tables d’hôte.
Forçats: Ont toujours une figure patibulaire. Tous très adroits de leurs mains. Au bagne, il y a des hommes de génie.
Koran: Livre de Mahomet, où il n’est question que de femmes.
Littérature : occupation des oisifs
etc, etc…
Ah merci ! Je me demandais quelle était cette liste ! Oui, je sais que souvent ceux qui aiment l’ES n’aiment pas EB et l’inverse, du coup je tenterai mais en 2021, je m’accord une pause !
Eh bien, ce n’est certainement grâce à toi que je risque de combler un jour mes énormes lacunes en matière de classique de la littérature française !!!! Au moins, pas ce roman-là.
Non seulement, le portrait que tu fais de ce Frédéric me rend diablement antipathique, mais les notes de bas de page aussi imposantes que le roman lui-même, merci beaucoup. J’avais laissé tomber un roman contemporain pour cette même raison (je suis allé chercher : il s’agissait de Jonathan Strange & Mr Norrell, de Susanna Clarke)
Jonathan Strange & Mr Norrell : Je l’ai eu aussi dans ma PAL pendant de nombreuses années et pareil j’étais intimidée par ce nombre de bas de pages, du coup je ne l’ai pas gardé ! Oui, tu peux te passer de l’Education sentimentale. Mais je te conseille Maupassant, un style simple, épuré et qui va droit au but. Plus moderne aussi. Mais tu vas les combler en partie en lisant mes billets LOL
Et grâce à toi, je pourrai briller en société et parler de livres que je n’ai pas lus Mouarf, mouarf 😀
Exactement ! et en plus, tu auras l’avis négatif sur ces livres ultra populaires !
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