Orphan train · Christina Baker Kline

par Electra
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C’est en cherchant un livre pour un ami américain (lecture commune) que j’ai déniché Orphan train, le roman de Christina Baker Kline. Le titre m’avait intrigué et la quatrième de couverture a eu fini de me convaincre.  La romancière a souhaité ici rendre un hommage à tous ces orphelins (véritables ou non) qui furent confiés à l’aide sociale à l’enfance à New York ou ailleurs et envoyés par train dans le Midwest à la recherche de nouvelles familles. Ce programme, véridique, exista entre 1854 et 1929 et des milliers d’enfants furent ainsi trimballés, de gare en gare, d’Etats en Etats, offerts aux bonnes âmes qui cherchaient un enfant, mais soyons honnêtes, venaient plutôt chercher de la main d’oeuvre gratuite.

L’histoire est édifiante : des affichettes étaient posées dans chaque gare annonçant la venue de l’orphan train : les enfants descendaient du train et étaient alignés sur une estrade, comme du bétail. Si les bébés étaient adoptés rapidement par des familles en manque d’enfants et pleine d’amour, les autres étaient souvent choisis pour leur force physique – ainsi, on hésitait pas à les toucher, regarder leurs dents, vérifier la présence de poux avant de les embarquer. Les familles devaient en échange s’engager à nourrir, loger et à envoyer à l’école l’enfant. Mais dans la réalité, beaucoup d’entre eux se retrouvaient esclaves de familles, elles-mêmes pauvres, bien contente de trouver une main d’oeuvre gratuite.

La majorité de ces enfants venaient des grandes villes de l’Ouest et étaient des immigrants, Irlandais, Polonais ou Danois, ils parlaient encore mal l’anglais. Très vite, on leur donnait un nouveau prénom américain, et les chanceux étaient adoptés et abandonnaient ainsi définitivement leur passé. Niamh Power a tout juste 7 ans lorsque sa famille, des immigrants irlandais du comté de Gallway, périssent dans l’incendie de leur appartement à New York. Niamh est sauvée de justesse par ses voisins, sa petite soeur, un bébé, Maisie est à l’hôpital mais on lui dit qu’elle est décédée. Sa mère, dépressive, a été internée. La petite fille, une rouquine aux tâches de rousseur, se retrouve donc orpheline. Ses parents avaient immigré il y a à peine deux ans, mais la vie rêvée en Amérique n’était qu’un leurre. L’alcoolisme de leur père n’avait eu cesse de grandir et Niamh (prononcée Neeve) devait s’occuper de ses frères jumeaux cadets et de sa petite soeur. Niamh est confiée à l’aide sociale à l’enfance. Son seul lien avec son passé, sont ses souvenirs de sa vie en Irlande, de sa grand-mère et la croix gaélique qu’elle lui a offert peu de temps avant d’embarquer sur le navire vers Ellis Island.

Très vite, la petite fille est embarquée sur un train à destination du Midwest. Les chaperons sont sévères et les distractions rares. Niamh sait y faire avec les bébés, et on lui a confié une petite fille. Elle fait la connaissance d’un jeune garçon, plus âgé, surnommé Dutchy (son véritable prénom est Hans). Enfant des rues (plus de 30 000 à New York à cette époque), il sait déjà ce qui l’attend : le travail à la ferme. Les enfants se rapprochent et se tiennent compagnie pendant ces longues journées. Niamh ne trompe personne sur ses origines, une rouquine à l’accent irlandais, une Catholique dans un pays de Protestants, elle n’attire pas grand monde. Elle pleure lorsqu’une famille choisit le bébé et doit se résoudre à dire adieu à Dutchy, dans une gare du Minnesota. En voyant la famille de gueux qui l’a choisi, elle comprend ce qui l’attend : Dutchy sera juste un garçon de ferme. Pas de parents aimants pour lui. Niamh est finalement adoptée par une famille stricte, la mère, Protestante, change son prénom, imprononçable et tente même de lui arracher sa croix gaélique, Niamh disparait au profit de Dorothy. Dorothy va connaître ainsi plusieurs familles et cette partie du roman est fascinante. Elle travaillera gratuitement comme couturière. La solitude, le froid, les moqueries, Dorothy supporte tout. Même cette famille, qui en 1929, vit pauvrement dans une maison délabrée, sans eau, ni électricité, où la mère dépressive pond un gosse après l’autre et dont la jeune fille finit par s’échapper.

Je ne vous raconterai pas toute l’histoire. Sachez cependant que le roman commence avec une autre orpheline, Molly, 17 ans, en 2011 dans le Maine, qui condamnée à des heures d’intérêt général pour avoir volé un livre (oui!) dans une bibliothèque municipale doit aider une vieille femme, Vivian Daly, 91 ans, à faire le tri dans ses affaires. Des dizaines de cartons empilés dans le grenier. Les deux femmes, que tout oppose, vont pourtant se découvrir une chose en commun : la solitude des orphelins.

Un voyage dans le temps et dans le présent, un roman magnifique même si la décision de l’héroïne (une décision importante) va mettre à mal la lectrice que je suis. Je n’ai pas lâché le roman. J’ai ensuite compris que la romancière avait sans doute déjà imaginé la fin et devait obliger son personnage à agir de la sorte. Mais pour moi, qu’elle fasse subir ce qu’elle-même avait connu n’a aucun sens. Bref, personne ne me comprend, mais si vous lisez le roman, vous penserez à moi 😉

En attendant, j’ai trouvé les deux tiers du roman passionnant, j’ai été un peu déçue par la fin un peu trop « américaine » – reste une vision de l’Amérique des années 30, du Minnesota, de ces petites vies rurales et surtout de ces milliers d’enfants, des fratries souvent séparées, envoyés par milliers dans ces trains qui m’a beaucoup marqué avec chaque souvenir en Irlande, dans le comté de Gallway qui souffle au roman une véritable bouffée d’air.

Depuis, des associations d’anciens orphelins (il reste encore quelques survivants) ont éclos et on peut trouver tonne de documentation sur eux. La romancière évite toute guimauve ou tout côté larmoyant et dresse un portrait encore peu connu de l’Amérique, de ses descendants et de la force et volonté que ses enfants ont du développer pour survivre. Quelle bravoure !

Je l’ai lu en anglais mais il est disponible en français également sous le titre « Le train des orphelins » aux éditions Belfond.

♥♥♥

Editions Harper Collins, William Morrow, 278 pages

Photo by Laura Kessler on Unsplash

Et pourquoi pas

15 commentaires

keisha 5 février 2016 - 16 h 53 min

Connais pas, mais l’histoire parait intéressante!!! A fouiner, à la bibli.

Jackie Brown 5 février 2016 - 21 h 47 min

Keisha, tu as fait (presque) le même commentaire sur mon blog il y a deux ans quand j’ai parlé de ce livre. 😉

Electra 6 février 2016 - 19 h 15 min

excellent ! Keisha est donc fidèle à elle-même 🙂

Electra 6 février 2016 - 19 h 14 min

Oui, j’avoue que je ne connaissais pas ce pan de l’histoire américaine – pourtant il est passionnant. Et je pense à leurs descendants.

luocine 5 février 2016 - 19 h 30 min

la photo est incroyable! pauvres enfants!

Electra 6 février 2016 - 19 h 15 min

Oui, surtout pour ceux qui étaient envoyés comme garçons de ferme, ils étaient vraiment traités en esclave …

Jackie Brown 5 février 2016 - 21 h 50 min

J’avais trouvé dommage que l’auteure mêle deux histoires car les deux valaient un livre selon moi. Comme moi, j’avais trouvé certaines parties un peu trop opportunes. (J’ai relu mon billet sur le sujet et cela m’a rappelé qu’il y a un musée dans le Kansas que j’aimerais visiter.)

Electra 6 février 2016 - 19 h 19 min

Ah, parfois ça a du bon de relire ses vieux billets ! Oui, pour moi chaque histoire sa valait aussi – et tu as du comprendre ce que je voulais dire sur une décision de l’héroïne mais sinon c’est quand même fou de se dire que ces gamins étaient envoyés ainsi à l’autre bout du pays et on perdait leurs traces …

quaidesproses 6 février 2016 - 13 h 53 min

L’histoire me parait être très intéressante, oui. Je note, je note !
(puis j’ai aussi envie de te comprendre)

Electra 6 février 2016 - 19 h 19 min

Je pense qu’il ta plairait beaucoup, les deux héroïnes, surtout celle d’aujourd’hui en fait et puis l’histoire de tous ces enfants. Alors, je dis aussi : note !!!

Nelfe 6 février 2016 - 20 h 59 min

Ah tu m’as donné envie là (malgré une fin en demi teinte). J’accroche carrément à ce genre d’histoires. Je note 🙂

Electra 7 février 2016 - 15 h 48 min

La fin est plutôt classique mais sinon tu vaste régaler avec toute l’histoire autour de cette organisation qui emmenaient ses orphelins vers une destination inconnue:-)

Marie-Claude 7 février 2016 - 19 h 50 min

Arhhh! Des fois, je m’en veux. Et dire que je l’ai reçu en sp, mais que la paire de chaussures d’enfants sur la couverture m’a laissée de marbre. J’ai crains l’intrigue larmoyante et fleur bleue. Comme quoi, il ne faut pas toujours se fier à sa première impression. Du coup, il faudra peut-être que je retourne à L’Échange remettre la main dessus! (S’il est encore là!)

Electra 7 février 2016 - 20 h 30 min

tu es rapide dis-donc ! Hop je vire un livre .. je ne connais pas la couverture dont tu parles, mais comme on le dit toujours : la couverture peut tuer un livre ! Bon, tu le croiseras peut-être à nouveau .. 😉

jerome 7 février 2016 - 21 h 15 min

J’ai découvert l’histoire du train des orphelins en BD 😉

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