La vie à deux · Dorothy Parker

par Electra
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Dorothy Parker fut une figure légendaire de l’Amérique des années Folles, sa propre vie pourrait inspirer de nombreux réalisateurs de cinéma ou romanciers. Et comme toute bonne légende, elle mourut en 1966, seule avec son chien et une bouteille d’alcool dans une chambre d’hôtel de Manhattan. Dorothy Parker est née en 1893 et devint journaliste. Elle collabora avec Vogue, Vanity Fair, The New Yorker et même Esquire. Elle connaissait F.S Fitzgerald, Dashiell Hammett et les Marx Brothers. Et moi, j’avais hâte de plonger dans son univers !

Une femme extraordinaire surnommée The wit (l’esprit, la répartie), car Dorothy est furieusement douée pour raconter les petits travers de ses concitoyens, les ratés de la vie de couple qui, sous sa plume, se transforment en comédie. Attention, The Wit possède, non seulement un sens de l’observation aigu, elle est capable de reproduire des dialogues et de situations très fidèles à la réalité, même lorsque celles-ci frôlent l’absurde.  Dorothy Parker a un humour corrosif ! Elle nous parle de nous, à cette époque charnière, les années 20, comme personne d’autre.

Elizabeth Quin a dit d’elle « à côté de ça, le napalm, c’est de la guimauve! » et je partage de loin son avis. Son esprit vif, et son humour noir lui vaudront malheureusement d’être inquiétée dans les années 50 pour ses sympathies communistes, avant d’être innocentée et de pouvoir reprendre son travail. En plus du recueil de nouvelles, La vie à deux, Dorothy Parker écrit des poèmes, des pièces de théâtre et même des scénarios dont celui de Une étoile est née pour lequel elle obtiendra l’Oscar.

Pas moins de seize nouvelles composent ce recueil, dont Big Blonde (La grande blonde), une nouvelle très connue et la plus longue : près de quarante pages. On y suit le parcours d’une femme, mannequin à ses heures, qui après un mariage raté, enchainera les liaisons avec des hommes mariés, sombrant peu à peu dans la dépression.

Monsieur Durant est pour sa part une nouvelle particulièrement corrosive : on y suit le parcours de cet homme marié, à l’égo démesuré, fier de sa réputation (travailleur, sa femme pense qu’il est associé dans l’entreprise, il lui laisse croire – bon père de famille et époux fidèle). On est dans la version Mad Men, son épouse et ses enfants vivent en banlieue et lui travaille à New York où il se plaît à se vanter d’aventures extra conjugales. En réalité, il en a eu très peu et la dernière tourne mal. La jeune sténo, admirative de cette homme, proche de la cinquantaine, à l’assurance démesurée, est tombée enceinte, il faut donc s’occuper « du problème » … Bref, un personnage parfaitement détestable et une fois de plus, Dorothy Parker jongle parfaitement avec les mots et sait parfaitement retranscrire cette atmosphère feutrée des bureaux et le regard pesant de cet homme sur le corps d’une passagère du bus.

Plusieurs nouvelles sont consacrées à des couples – jeunes mariés ou lors de l’annonce de leur séparation – entre l’image extérieure et la vie réelle, le gouffre est impressionnant. Ainsi, la nouvelle de la séparation des Weldon est un choc pour la communauté bourgeoise blanche de l’époque – tout sauf eux, nous confie une mégère ! Forcément, ce genre d’annonces fait son effet mais je retiens surtout le talent immense de Parker pour décrire l’horrible vie monotone dans laquelle s’est installée ce couple qui ne communique presque plus. Lui caché derrière son journal, elle, dont la vie se résume à essayer de jouer à l’hôtesse de maison (ayant des domestiques, elle est réduite à la seule décoration) .. cette première nouvelle intitulée « Quel dommage! »  est un véritable tour de force.

Je ne mentirais pas en disant que ce recueil a pris quelques années : la vie sociale a évolué, ici on est vraiment à une époque d’avant-guerre – on est vieille femme à 23 ans si on n’est pas mariée ! Les filles sont très sentimentales, plusieurs nouvelles les montrent pleurnicheuses, jalouses, menteuses mais Parker sait aussi montrer la pression qu’elles subissent de trouver rapidement un époux « convenable ». D’autres sont tellement obnubilées par leur statut, leur argent qu’elles révèlent leur férocité comme dans Le petit Curtis :

Mme Matson l’avait choisi, selon ses propres termes, dans la meilleure maison de New York. Cela ne surprit personne. Mme Matson allait toujours dans les meilleures maisons quand elle faisait des achats. Un enfant se choisissait comme le reste : il fallait qu’il fût solide et durable.

Enfin, Dorothy Parker aborde aussi le sujet du racisme à travers deux nouvelles magnifiques, l’une sur une ancienne gouvernante, qui se retrouve à soigner son petit-fils aveugle et doit quitter son job – la nouvelle la plus triste et la plus tendre, et la dernière, particulièrement contemporaine, Arrangement en noir et blanc, qui met en avant une épouse venue, seule, rencontrer un crooner noir qu’elle admire mais qui ne peut s’empêcher de tenir des propos racistes à son égard et à son hôte.

Enfin, je me permets de m’arrêter sur La jument – ou comment un couple de bourgeois souffre d’avoir à demeure, après une grossesse et un accouchement difficile, la présence d’une infirmière au physique si ingrat : la femme ressemble, en effet, en tout point, à une .. jument !  Dorothy Parker détaille ainsi avec une minutie cruelle certaines vérités mais derrière ses propos acérés se cachent de la tendresse et de la compréhension ; un regard sans fard sur cette société des Années Folles.

Ce recueil propose toute une série d’histoires où le lecteur jongle entre cocasserie, humour, mais aussi empathie et tristesse. Une galerie de portraits étonnante, certains à la limite du tragique comme l’héroïne de La Grande Blonde et comme le dit Benoîte Groult dans sa préface : « chaque nouvelle pèse son poids de chair et de sang, de larmes ou de rire ».

♥♥♥♥♥

Editions 10/18 – trad. Benoîte Groulte, 251 pages

Et pourquoi pas

12 commentaires

keisha 23 mai 2016 - 8 h 52 min

Cela m’amuse toujours de re découvrir certains auteurs lus il y a des années… Les rééditions, c’est bien, finalement, parce que les biblis font tellement de tri qu’on ne les trouve plus.

Electra 23 mai 2016 - 11 h 03 min

Oui ! Cette romancière mérite d’avoir son œuvre sauvegardée ! Je vois mes fautes dans mon billet mais je suis en déplacement. Je corrigerai ce soir !

Les causettes de Célestine 23 mai 2016 - 10 h 54 min

Mmmmh, tu mets l’eau à la bouche!! Depuis le temps que je me dis qu’il faut que je me penche sur cette auteure! Je n’ai jamais rien lu d’elle et pourtant, dans mon imaginaire, elle a déjà une vraie place. Hâte!

Célestine ^.^

Electra 23 mai 2016 - 11 h 04 min

Pareil ! Je la croisais depuis si longtemps et je comprends mieux pourquoi elle est culte

Jerome 23 mai 2016 - 12 h 33 min

Il est dans ma pal depuis bien trop longtemps ce recueil, il faudrait que je l’en sorte !

Electra 23 mai 2016 - 16 h 49 min

Oui, moi aussi ! Je l’avais trouvé à un tout petit prix – un classique de la littérature de cette époque !

quaidesproses 23 mai 2016 - 19 h 45 min

Je crois que ça pourrait beaucoup me plaire. Je note, je note.

Electra 23 mai 2016 - 21 h 40 min

Bien ! J’ai vu sur IG que tu aimes aussi Clémence 😉

Océane 23 mai 2016 - 22 h 09 min

ha je l’aime beaucoup, elle a un style si percutant, une icône à connaitre !

Electra 24 mai 2016 - 10 h 03 min

Oui, percutant c’est le mot ! Elle savait si bien reporter les travers de chacun 😉

Marie-Claude 23 mai 2016 - 23 h 28 min

Très envie de découvrir enfin Dorothy Parker. Je le note et surligne. Très envie de me délecter de ces histoires au regard acéré. Magnifique, ton billet!

Electra 24 mai 2016 - 10 h 04 min

Merci ma belle ! Oui, une grande dame injustement oubliée du panthéon des auteurs américains, je pense que ça va vraiment te plaire !

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