Esquisses nocturnes ∴ Molly Prentiss

par Electra
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C’est en lisant le billet d’Eva que j’ai eu envie de découvrir ce livre et la chance était avec moi : je l’ai remporté pour les Matchs de la Rentrée Littéraire. Puis je l’ai mis de côté, et lorsque j’ai entrepris ma lecture j’avais oublié qu’il ne débutait pas à New York, malgré son titre mais en Argentine. On y retrouve Franca, une jeune pâtissière qui après la mort subite de ses parents a élevé son jeune frère Raul (elle avait 17 ans et lui 14 ans) et ils sont devenus très proches. Raul l’a quitté. Né à NY, il a pu fuir la dictature. Franca venait de se marier, mettant à mal la relation fusionnelle qu’elle avait avec son frère. Un petit garçon naît quelques temps après. Son mariage est dissolu, son mari la quitte. Franca étouffe dans ce pays qui ne la laisse pas rêver et participe plusieurs fois par semaine à des réunions illégales au fond d’une boutique. Un soir, la police l’arrête.

New York – Nouvel An 1980 – la ville où tout est possible – elle attire les artistes comme un aimant géant. Basquiat, Harding, Warhol – le downtown est le centre de l’univers où se côtoie tous ces gens créatifs, inventifs – peintres, poètes, écrivains – ils vivotent dans des squats insalubres et ne cessent de produire, inspirés par cette effervescence permanente. L’auteur s’attarde sur cette ville et je repense immédiatement au roman autobiographique de Patti Smith, qui vivait aussi de cette manière à NY et se rêvait poète.

Parmi eux, on retrouve Raul Engales – le frère de Franca. Il a réussi à obtenir les clés de l’atelier des beaux arts de l’université et y a rencontré une autre femme peintre qui le guide dans sa redécouverte de cet art. A cette époque, il peint des portraits mais en lui montrant le portrait de Francis Bacon réalisé par Lucian Freud, Arlène lui montre la voie. Mais en ce soir de réveillon, c’est Lucy qui lui donne goût à la vie. Une jeune américaine, arrivée tout droit de son Idaho natal – le coup de foudre est immédiat. Ils s’aiment, font l’amour et surtout il la peint.

Puis il y a James Bennett, critique d’art qui travaille pour le New York Times. L’homme est heureux, sa femme Marge, anciennement artiste, est enceinte de leur premier enfant et il a enfin trouvé sa place au sein de cette élite New-Yorkaise. Il collectionne les peintures depuis toujours. James rêvait d’être artiste mais il a réalisé à l’université qu’il préférait les regarder à l’oeuvre. Elle lui procure des émotions qu’aucun autre être humain ne connaît : il est atteint de synesthésie – c’est-à-dire que son cerveau associe plusieurs sens lorsqu’il regarde une personne ou une toile – chez lui c’est une couleur et un goût qui lui viennent à l’esprit. Sa femme par exemple est auréolée de rouge,  l’oeuvre de Raul est elle jaune. Banane. James est obsédée par le portrait que Raul a fait de Lucy. Cette particularité lui a valu longtemps de passer pour un fou à l’école avant qu’il ne soit diagnostiqué et découvre qu’en partageant ses sensations à la vision d’une oeuvre d’art, il pouvait en vivre.

Mais la nuit du Réveillon va virer au cauchemar et les deux hommes Raul et James vont voir leurs destins s’entremêler.  Je ne peux pas en dire plus, sinon que c’est un roman puissant mais étrange. Comment dire ? Je l’ai lu en quelques heures, happée par l’atmosphère unique qui s’en dégage. Mais contrairement à James qui ne cesse de percevoir des couleurs vives,  j’ai l’impression qu’il y fait toujours nuit, que c’est l’hiver et que ces personnages gravitent autour du même lieu (l’hôpital fait face au squat où il vivait) – une seule unité de lieu et de temps. Le temps semble en effet suspendu à cette nuit même si dans les faits une autre année se passe. Le livre se termine sur le réveillon suivant – nos personnages auront tous vu leurs vies évoluées dramatiquement.

Je n’ai pas retrouvé le New York décrit par Eleanor Henderson dont je viens de lire le roman et qui se situe pourtant à la même époque et dans le même quartier d’East Side. Celui-ci est différent, plus feutré – Molly Prentiss gravite autour de quelques personnages – on y croise subrepticement Basquiat ou Harding et surtout, si on veut parler de polychromie – j’ai eu l’impression que le roman se passait la nuit, ou en soirée, toujours l’hiver – sous un épais brouillard. Etrange, non ? Puisque le personnage de James est lui sans cesse recouvert de couleurs vives. Alors que dans le roman d’Eleanor Henderson, c’était dans Tompkins Square Park, en pleine journée, au soleil – les toxicos y croisaient les artistes en herbe, les musiciens et les derniers hippies. J’entendais leur musique, leurs tam-tams. Ici, c’est tout autre. C’est le New York de la nuit. Une vision en kaléidoscope.

J’ai été totalement happée et bouleversée par le premier chapitre autour de Franca à Buenos Aires. J’ai trouvé ces pages magnifiques et l’amour fraternel entre elle et Raul est sublime. Molly Prentiss sait décrire les sentiments amoureux qui jaillissent puis s’estompent, volontairement ou pas. Elle possède un je-ne-sais-quoi qui donne une aura à chacun des personnages, surtout féminins. Lucy devient la muse de Raul – les trois personnages : Raul, James et Lucy deviennent liés par cette toile.

Lorsque Julian raconte à Raul les histoires que lui racontaient sa mère, j’y ai retrouvé la magie argentine, cette poésie et ode à la créativité, j’ignore comment Molly Prentiss a pu décrire avec autant de précision Buenos Aires et l’imaginaire argentin. On y retrouve aussi cette nostalgie d’un monde qui n’est plus. Comme pour New-York dont le coeur bat à l’époque, un peu trop vite et dont on sent la fin approcher. La fin d’une époque, la fin d’un cycle, la fin d’un amour, la fin d’un couple, ou juste la fin d’une nuit.

Je lis en écrivant ces mots la critique du New York Times et je la trouve très pertinente : « Un défi impertinent : écrire une lettre d’amour polychrome à un Manhattan qui n’est plus. Aussi prodigieux qu’exaltant. »

L’autre roman dont je vous parle est Alphabet City (billet à venir) et pour être totalement transparente,  je viens également de finir un polar où le personnage est aussi atteint de synesthésie ! Donc ma lecture du roman de Prentiss aura été forcément altérée par ces diverses sensations qui m’accompagnent depuis quelques jours.

Je remercie Les Matchs de la Rentrée Littéraire de m’avoir sélectionnée et Eva dont vous pouvez lire le billet ici.

♥♥♥♥

Editions Calmann-Lévy, Tuesday nights in 1980, trad. Nathalie Bru, 416 pages

Et pourquoi pas

12 commentaires

keisha 1 novembre 2016 - 13 h 10 min

Je me souviens d’un débat ai festival america, où elle était, en effet.

Electra 1 novembre 2016 - 15 h 17 min

Oui je ne l’ai pas vue

Eva 1 novembre 2016 - 19 h 24 min

Merci pour ce billet qui me fait particulièrement plaisir !

Electra 1 novembre 2016 - 21 h 08 min

De rien ! Je sais à quel point tu as aimé cette lecture et je comprends mieux pourquoi 😉 Un roman vraiment à part dans cette rentrée littéraire.

Hélène 2 novembre 2016 - 8 h 38 min

Il faudrait que je le lise aussi !

Electra 2 novembre 2016 - 10 h 31 min

Oui, je pense qu’il te plairait bien même si l’accent n’est pas tant mis sur les artistes que sur les relations entre ces 3 personnages et sur l’atmosphère du NY de cette époque – la fin d’une époque.

Jerome 2 novembre 2016 - 15 h 09 min

Je pense qu’Alphabet City me conviendrait mieux. A voir…

Electra 2 novembre 2016 - 18 h 19 min

En ayant lu les 2 oui pas de doute !

Marie-Claude 3 novembre 2016 - 2 h 29 min

Oui, mais non! Tu en as assez dit pour que je sois raisonnable sur ce coup.

Electra 3 novembre 2016 - 7 h 22 min

bien !!! mais tu ne pourras pas t’en sortir à chaque fois 😉

La Rousse Bouquine 6 novembre 2016 - 19 h 10 min

Bizarrement ce livre depuis sa sortie me donne envie…et en même temps pas du tout ! Sûrement pour le côté sombre que tu décris je pense

Electra 6 novembre 2016 - 20 h 38 min

Ah oui? Oui parfois un livre nous parle mais il y a un mais ! Je ne sais pas quoi te dire de plus !

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