See the lonely boy,
Out on the weekend
Trying to make it pay.
Can’t relate to joy,
He tries to speak and
Can’t begin to say.
Neil Young – Out on the weekend
Cet été, j’ai piqué le livre 20+1 Short Stories chez Marie-Claude, je l’ai commandé et il m’attendait dans ma boite aux lettres à mon retour. Dans ce recueil, j’ai découvert plusieurs auteurs qui m’ont marqué et j’ai commandé leurs romans ou leurs recueil de nouvelles. Ce fut le cas pour Richard Lange. J’ai eu le nez fin! J’ai relu avec plaisir sa nouvelle, « Bank of America » (la plus longue, 41 pages) et j’ai enchainé avec les autres histoires de ces âmes déchues.
Dans cette mégalopole, où plus de 91 000 sans-abris vivent, une « immense fourmilière », les héros de Lange sont de magnifiques losers. Si proche du paradis, ils vivotent autour de Hollywood Boulevard (vous savez où se trouvent les étoiles des stars) mais ne font que se brûler les ailes.
Ils sont braqueurs de banque comme le héros de la première nouvelle, veuf, père de famille dépassé ou divorcés, alcooliques, drogués, acteurs ratés et surtout doux rêveurs – aucun ne vit la vie qu’il souhaitait. Comme des papillons de nuit attirés par la lumière, ils sont incapables de s’éloigner de la cité des anges pour refaire leur vie. Ils dealent ou vivent de petits larcins, ce ne sont pas des hommes admirables lâchés par la chance : « Je ne veux pas faire partie de ces gens qui ont besoin d’aller au fond des choses » (« Fuzzyland »).
Ils sont souvent égoïstes et lâches – ils préfèrent fuir leurs responsabilités et blâmer l’autre. Pas de prise de conscience même pour Adam qui a tué un piéton et qui s’excuse ainsi : « bien sûr que ça a changé ma vie, j’avais attendu toute ma vie une excuse pour merder« . Dorénavant, ses échecs pourront tous être attribués à cet accident.
Richard Lange n’est pas moralisateur, il me fait plus penser à un photographe qui vient dans ce quartier et qui avec son appareil photo saisit des instantanés – des tranches de vie éparses. Il nous montre ici l’autre face d’Hollywood – celle que les touristes ne voient pas. Et quand un des personnages décide de rentrer « à la maison », dans « Portrait du héros en pied » après une série de déboires, il réalise que sa famille lui est devenue étrangère – un mur invisible s’est immiscé entre eux :
Peut-être qu’on aurait pu être amis, si on avait pas été frères. Je le prends dans mes bras en partant, juste pour voir son mouvement de recul.
Richard Lange n’offre aucune clé, aucune rédemption à ces personnages. Ni chute, ni morale – ce ne sont pas fables. Mais chaque nouvelle m’a touchée profondément. Chaque vie est un miroir de la notre, à sa manière. De nos choix, ou plutôt de nos actes manqués.
En filigrane, Richard Lange nous livre un constat amer sur la société moderne américaine : celles qui broient les hommes, celle qui oublie les faibles, les lents et qui les transforme petit à petit en dead boys. Ils sont comme le titre d’une nouvelle, « K.O debout ».
J’ai été marquée par la noirceur des nouvelles de Richard Lange, sur les douze, deux offrent une fin plus ou moins « optimiste » – les autres semblent signer la fin de tout espoir. Le regard de Lange sur ces oubliés est très puissant.
Ma préférée reste indéniablement la première, Bank of America car on vibre avec le héros – il tremble de peur et j’ai frissonné avec lui. Le personnage principal n’a rien d’un braqueur de banque, on l’excuse presque alors quand il a peur, on a peur avec lui. Les héros de Lange ont même peur de quitter leur épouse, prisonniers de leur propre vie. Comme dans » Perdu de vue « , où le héros, Spencer Wrigh rêve une énième fois de tout quitter :
Je reste couché en silence à côté de Judy jusqu’à être certain qu’elle dort, puis je sors du lit et je m’habille dans le couloir. La seule chose que je pense à attraper est ma brosse à dents avant de traverser le salon à pas de loup (…) et de prendre la porte. Je suis tellement excité que j’en ai la tête qui tourne, l’estomac noué, et je vous jure que je vois aussi bien qu’un chat dans l’obscurité. (…) Je m’efforce d’éprouver une émotion quelconque lorsque je me retourne en bas des escaliers pour un dernier regard vers l’appartement, mais il ne me vient qu’un sourire. Peut-être que je le transformerai en une larme quand je raconterai ça quelque part sur la route. Peut-être que non. Peut-être que je ne reparlerai plus jamais de cette vie.
Je suis tombée amoureuse des mots de Richard Lange – même si sa vision désenchantée du monde a de quoi faire peur ; il y a comme, dans le roman d’Alex Taylor ( Le verger de marbre ) quelque chose de profondément émouvant dans ses nouvelles crépusculaires – on touche à l’humain, à sa noirceur. Il y a un gravité chez ses personnages qui semblent comme écrasés par cette chaleur californienne. Et parfois, très rarement, il y a comme une bouffée d’air qui sort de nulle part comme dans la nouvelle « La défense bogo-indienne » – et pourtant l’histoire peut sembler glauque : notre héros est désigné malgré lui pour transporter les cendres d’un pote de boisson.
De retour à L.A, la soeur de Christina squattera mon appartement quelques jours, et ça sera marrant et tout, mais on finira par reprendre nos esprits. Je lui demanderai de partir et elle essaiera de me poignarder avec un tesson de bouteille de tequila. Après ça, je resterai seul pour un gros bout de temps, mais ensuite les choses s’arrangeront. Je trouverai un boulot, je le perdrai, j’en trouverai un autre. (…) Debout sur le rivage, je crierai des descriptions de tout dans la nuit, des descriptions qui trembleront, vacilleront et tomberont, englouties par une mer noire et bourdonnante. (Aveugles&Co).
Bref, un énorme coup de coeur pour ce recueil. Encore un auteur à lire ! Hâte de découvrir ses romans, publiés en français : Ce monde cruel et Angel Baby, publiés chez Albin Michel (le dernier sorti tout juste en Poche) et pour ma part, j’ai commandé son nouveau recueil de nouvelles (en anglais) Sweet nothing stories.
« Une écriture incandescente qui transforme les Dead Boys de l’Amérique en héros de tragédies silencieuses,
façon Raymond Carver. » André Clavel du magazine Lire
Bank of America ♥♥♥♥♥
Fuzzyland ♥♥♥♥♥
La défense bogo-indienne ♥♥♥♥♥
Perdu de vue ♥♥♥♥♥
L’oiseau-téléphone ♥♥♥
Culver City ♥♥♥
L’amour m’a donné des ailes ♥♥♥♥♥
Lutte anti-vol ♥♥♥♥♥
Portrait du héros en pied ♥♥♥♥♥
Aveugles&Co (idem) ♥♥♥
Tout ce qui est beau est loin ♥♥♥♥
K.O debout ♥♥♥♥♥
♥♥♥♥♥
Editions 10/18, trad. Cécile Deniard, 2007, 304 pages
Copyright Photos Joshua Thaisen (Faites-un tour sur son portfolio)
11 commentaires
Connais pas, mais belle bonne pioche, alors?
Eh oui !
Je l’ai lu, il y a une bonne dizaine d’années… Un peu par hasard, attiré par le titre et la couverture. Je lis peu de nouvelles – mais de temps en temps, l’opportunisme – mais celles-là m’ont semblé toutes de bonne qualité. Une Amérique désenchantée. Un très beau recueil !
J’adore ce genre en fait. Ici sombre mais très réussi
Sublime billet – magnifiques photos. La totale.
Yes! J’ai ce recueil dans ma PAL. À te lire, il contient ce que j’aime le plus dans les nouvelles et dans la littérature en général: un regard humain sur les laissés-pour-compte.
Si je me souviens bien, c’est dans « Bank of America » que le plus grand rêve du héros est d’ouvrir un Burger’s King?
Merci ☺️ j’avais hâte de lire ton avis ! Richard Lange porte un regard bienveillant sur ses personnages qui vivent dans la cité des rêves mais de l’autre côté du miroir. Pour le rêve du héros pas de souvenir de ce souhait sinon offrir à sa famille une porte de sortie !
Un recueil de nouvelles qui m’irait comme un gant, c’est une évidence. En plus tu sais y faire pour me donner très envie de m’y plonger !
il faut vraiment que je me procure 20+1, ça a l’air d’être une vraie Bible ! et l’occasion de découvrir d’excellents auteurs…
Très bonne idée de « coeurer » les différentes nouvelles : )
Oui ! J’ai déjà acheté trois romans d’auteurs que je ne connaissais pas grâce à ce recueil !
Merci ! Je sais que certains ont du mal avec ce genre, et moi parfois j’oublie le titre d’une nouvelle, donc les « coeurer » comme tu dis permet de repérer le niveau du recueil et de me souvenir si je veux les relire !
[…] n’ai pas hésité à acheter trois romans de Richard Lange après avoir découvert cet auteur américain dans le recueil 20+1 Stories – et aucun regret […]
[…] occupent une jolie place dans mes romans préférés : Richard Lange et ses nouvelles magnifiques, Dead Boys et Alex Taylor et son sublime roman noir, Le verger de […]
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