Six Stories ∴ Matt Wesolowski

par Electra
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Un corps
Six versions de l’histoire
Laquelle est la vraie ?

J’ai vu ce livre sur IG et j’ai d’abord craqué pour sa magnifique couverture puis j’ai lu les quelques avis et tous étaient emballés par cette histoire – les critiques sont dithyrambiques. J’ai craqué dès que je l’ai reçu et je l’ai lu d’une traite tellement il est addictif. J’espère qu’il va être rapidement traduit en français.

1997 – Angleterre, Scarclaw Fell. Le corps d’un adolescent, Tom Jeffries, 15 ans, est retrouvé au fond des bois d’un centre de loisirs, un an après sa disparition. L’enquête conclut à une mort accidentelle, mais beaucoup de personnes en doute encore.

2017 – Scott King fait son entrée. Ce journaliste d’investigation est devenu célèbre à travers le monde grâce à son podcast Serial. Il a réussi à résoudre une enquête complexe. Mais King refuse d’être filmé et personne ne connaît son vrai visage, ni sa véritable identité, ce qui l’a rendu culte sur la planète Internet.

King décide d’enquêter sur le décès de Tom Jeffries en menant six interviews afin de comprendre la dynamique de ce groupe d’adolescents rebelles et de mieux cerner ce lieu mythique, The Fell (la chute) entouré depuis toujours de mystérieuses légendes.

J’avoue qu’au départ, disons au premier chapitre, j’ai eu un doute – le livre débute par le témoignage d’un autre adolescent, qui ne faisait pas partie de la bande mais dont la père avait racheté le centre de loisirs après la mort de Tom et qui va découvrir son cadavre dans des circonstances particulières. 20 ans ont passé. Puis Scott King, le narrateur, a choisi de l’interviewer pour commencer son enquête. Il va nous faire remonter le temps et nous faire pénétrer ce petit groupe d’amis très proches, mais à la dynamique très particulière.

Des adolescents anglais qui viennent de deux écoles privées différentes. Deux filles, trois garçons. Un meneur, un souffre-douleur. Des histoires d’amour, des secrets, l’alcool, la cigarette. Ils ont quinze ans. Et tous les ans, depuis qu’ils sont enfants, ils se retrouvent dans ce camp de vacances. Le père de l’une des filles est l’animateur. Les ados sont souvent accompagnés de plus jeunes, dont ils s’occupent pendant la journée, puis le soir venu, les amis partent dans les bois. Et chaque soir, ils s’enfoncent plus loin…

Dans la journée, ils profitent d’un tour au village du coin pour s’approvisionner en cigarettes et alcool, et parfois embêter un garçon un peu simplet du village qui va leur montrer sa cachette dans les bois. Puis les ados repartent dans leurs familles ou écoles respectives pour se retrouver six mois plus tard. Tom Jeffries a intégré le groupe peu de temps avant sa disparition. Lorsque Scott interroge les autres membres du groupe, les souvenirs remontent à la surface. Chaque adulte a sa propre perception de cette époque, sa place dans le groupe, ses rapports avec les autres. Charlie,  vu comme le leader du groupe, ne se voyait pas comme tel. Pourtant c’est ainsi que le décrit Eva Bickers (la fille de Derek, l’animateur du groupe).

Peu à peu les langues se délient, Tom, la victime, est décrit comme singulièrement méchant, seul Charlie semblait l’apprécier. Et c’est la magie de ce roman, peu à peu le portrait de chacun des membres prend vie – les contours du visage, leurs voix, leurs idées et leur place dans le groupe. Leur comportement. Longtemps Derek et Sally, les deux animateurs ont été jugés responsables de la disparition puis de la mort de Tom – mais Derek, interrogé, le dit : c’étaient des adolescents, tout simplement. Tom a disparu en pleine nuit.

Chaque témoin raconte ses étés ou hiver passés au camp et la fameuse nuit où Tom a disparu. Le lecteur devient à son tour enquêteur, on se met à imaginer divers scénarios et cela avec la fameuse légende d’un monstre qui vit dans les bois et que plusieurs adolescents sont certains d’avoir aperçus. Que se rappelle-t-on vraiment ? Qui est-on quand on a tout juste quinze ans ?

Un page-turner formidable et qui sort des sentiers battus – car Scott King, même s’il essaie d’analyser au fur et à mesure les témoignages, nous laisse le soin de nous bâtir notre propre opinion et nous rappelle ces années où nous pensions tout savoir et tout connaître.

Matt Wesolowski réussit à nous rappeler à quel point la dynamique de groupe peut-être destructrice ou constructrice. A quel point, le besoin d’appartenance peut parfois pousser certains jeunes à faire les pires choses (je pense aujourd’hui au bizutage dans les fraternités) et les écouter vingt ans après est très intéressant. Ajoutez-y une grande maîtrise narrative (pour un premier roman), où l’auteur reproduit parfaitement l’atmosphère de cet endroit mystérieux, loin de tous, dans la brume et le froid du nord de l’Angleterre. L’auteur vous harponne et vous emmène jusqu’au fond des bois vers cette fin amère et tordue. Un thriller qui peut réveiller la claustrophobie chez certains lecteurs, je n’en doute pas.  J’aime beaucoup le talent de conteur du romancier.

Un excellent roman et j’espère qu’il sera vite repéré de ce côté-ci de la Manche pour que le plus grand nombre en profite. « Un mystère subtil et complexe, qui se déplie comme un origami noir pour y révéler le coeur noir qui s’y cache » a déclaré un autre romancier (MM Smith) à son sujet.

Matt Wesolowski vient de Newcastel-upon-Tyne. Il donne des cours d’écriture, en particulier à des adolescents. Il a commencé sa carrière en publiant des nouvelles mais dans un genre différent (horror fiction). Il travaille actuellement sur son second roman, Ashes (cendres) qui mélange du black métal et de la sorcellerie islandaise.

Nous croisons les fantômes qui viendront nous hanter plus tard dans nos vies ; ils sont assis au bord de la route comme de pauvres mendiants, nous les voyons du coin de l’oeil, si nous les voyons tout simplement. L’idée qu’ils soient là à nous attendre nous vient rarement à l’esprit. Oui, ils attendent et dès qu’ils nous voient passer, ils ramassent leurs baluchons remplis de souvenirs et se relèvent, ils marchent dans nos pas et peu à peu, nous rattrapent 

(Stephen King, citation du livre)

♥♥♥♥

Editions Orenda Books, mars 2017, 285 pages

Et pourquoi pas

10 commentaires

Marie-Claude 7 juin 2017 - 3 h 51 min

Vite vite, une traduction! Le contexte, les personnages, l’intrigue, les différentes voix… Tout pour moi, ça! Et cette couverture est vraiment envoûtante…
Je vois que tu as lu «mon» Willy? Pis, pis, pis? Deviendra-t-il «notre» Willy?! Si jamais tu oses me dire que son roman t’a fait le même effet que « Tony Hogan m’a payé un ice-cream soda avant de me piquer maman », j’arrive avec des valises vides!

Electra 7 juin 2017 - 6 h 45 min

Oui, vite vite une traduction et surtout des adolescents ! tout pour toi 🙂
J’espère qu’un éditeur est sur le coup sinon je vais me fâcher ! Oui, j’ai lu ton Willy. Patiente, mon billet est écrit ! Et rassure-toi, même si je réserve mon opinion (hihi..) pas de Tony Hogan par ici ! Morte de rire en te lisant ce matin !

keisha 7 juin 2017 - 8 h 22 min

Oui, superbe couverture!
Et Marie Claude ferait mieux d’arriver avec des valises vides! (elle fera quel ‘tour’?)

Electra 7 juin 2017 - 8 h 26 min

Elle aura de la place une fois ma cargaison livrée ! Mais pas tant que ça vu ce que je lui prépare

Edwige Mingh 7 juin 2017 - 10 h 38 min

A propos d’enquête, je suis en train de voir « The keepers » signalé par Joyce Carol Oates et j’avoue je suis « bien » tombée dedans et ai hâte de voir la suite. Autant dire que je lirai « Six stories » dès que possible.
Sinon côté roman, je me régale avec « L’Indésirable » de Sarah Waters et le conseille à tous et toutes dès qu’on aime l’Angleterre et ses fantômes. « Le Tour d’écrou » n’est pas loin !

Electra 7 juin 2017 - 10 h 44 min

J’ai vu The Keepers et adoré ! La fin est très émouvante ! À voir avec absolument. Je note pour Sarah Waters. Le nom me dit quelque chose !

Eva 8 juin 2017 - 11 h 09 min

Ce roman a l’air absolument génial! j’en ai l’eau à la bouche!
Tu n’as jamais lu Sarah Waters? je te conseille ses romans victoriens (Caresser le velours, Du bout des doigts) que j’avais beaucoup aimés. Je la trouve moins pertinente lorsqu’elle sort de cette période (J’ai bien aimé L’indésirable, par ex, mais la fin m’a déçue)

Edwige Mingh 8 juin 2017 - 16 h 04 min

Lire absolument Sarah Waters, c’est vrai qu’avec L’Indésirable elle sort un peu de son domaine de prédilection. A propos de la fin, je ne crois pas qu’il pouvait logiquement en être autrement. Je trouve que ce long roman est mené de main de maître, il m’était impossible de faire des pauses !

Electra 8 juin 2017 - 18 h 05 min

Ok si vous insistez Lol ! Je la note

Electra 8 juin 2017 - 18 h 04 min

Non jamais lu ! Oui Six stories a été une super surprise ! Ok je note pour ses romans. Son nom m’est familier.

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