Rencontre avec Joyce Maynard (2)

par Electra
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Ma deuxième rencontre avec Joyce Maynard  😉 La librairie Coiffard l’a accueillie une deuxième fois avec plaisir et m’a confiée que c’est l’auteure américaine qui a sollicité cette rencontre car elle adore Nantes. Lors de sa venue précédente en octobre l’an dernier (cf. ma chronique), Joyce parlait déjà français mais une traductrice était présente lors des échanges avec le public.

Cette année, Joyce nous a réservé une superbe surprise : elle s’est exprimée en français toute la soirée et avec une fluidité impressionnante ! Tout le monde était sous le charme de la jolie Américaine, toujours vêtue de ses bottes de cowgirl.  La traductrice n’a donc finalement presque jamais pris la parole sauf pour quelques mots (que le public soufflait également), souvent ces satanés faux-amis.

Joyce venait présenter son « memoir (mot anglais) » , le récit de son histoire d’amour avec Jim (James Barringer) et la fin tragique de son union, intitulé « Un jour tu raconteras cette histoire« .

Je n’avais pas encore lu ce livre quand j’ai rencontré Joyce. Cela ne m’a pas dérangé pour ma lecture (j’avais en fait sa voix et son sourire en tête).

La soirée a commencé avec la diffusion d’un film très personnel, les images de son mariage en juin 2014 et des photos de Jim, tout au long de sa vie, jusqu’à la maladie et ce corps décharné. Un moment très émouvant puis elle a pris la parole :

« Je vais lire le premier chapitre puis viendra mon moment préféré, écouter les idées des lecteurs et lectrices car écrire c’est la moitié de l’expérience du livre, l’autre moitié c’est la rencontre avec le public.

Je suis quelqu’un de dur, sans cœur. J’adorais mon mari mais toute ma vie, j’ai été un écrivain. Depuis cinquante ans cette année. J’ai débuté à l’âge de 13 ans et j’ai toujours écrit, malgré les difficultés de la vie, j’ai toujours pris la plume mais lorsque le cancer de mon mari a été diagnostiqué et a mené ce combat pendant 19 mois, j’ai été incapable d’écrire le moindre mot. Puis une nuit, je me suis réveillée et j’ai compris que Jim était parti. Je suis restée à ses côtés pendant une heure puis je me suis levée, je suis descendue me faire un café et j’ai commencé à écrire.

Joyce lit à voix haute le premier chapitre du roman.

La libraire a ensuite pris la parole revient sur le livre, son découpage (avant/après) sur la le nécessité de donner la voix à ces milliers de personnes qui traversent les mêmes épreuves, sur sa perméabilité au monde et la nécessité d’aborder ces sujets (la vie, la mort) et d’être ainsi plus proche du monde. Elle a aussi été très touchée par l’optimisme et le refus d’abdiquer de Jim alors que le cancer était un stade très avancé et entame une conversation avec Joyce :

Revenons sur ce fameux Doug…

Il est important de connaître le contexte avant de raconter cette histoire. A l’époque, j’avais 57 ans, je n’étais donc plus une jeune femme lorsque j’ai décidé de me lancer et m’inscrire sur des sites de rencontre en ligne. Doug, c’est une rencontre d’Internet désastreuse. Je suis romantique mais également quelqu’un de sérieux. J’étais attendue en Italie pour un atelier d’écriture et l’idée d’y aller seule me rendait triste. Notre premier rendez-vous ne m’a pas impressionné, lors du second, je lui ai parlé de mon voyage et il a proposé de m’accompagner. J’ai dit oui. Il est arrivé un jour après moi et au bout d’une heure, je savais que l’on courait au désastre. Il était rustre, ne parlait que sport, n’aimait que la bière, pendant 3 jours, j’ai enduré cet homme radin qui n’a rien payé de son séjour, et refusait de m’emmener au restaurant pour ne pas payer la note. J’ai fini par payer et lui dire que c’était terminé. Je raconte cette histoire au début du roman car six semaines après, je rencontrais Jim.

Vous êtes très indépendante..

Oui, c’est une nécessité. J’ai vécu seule pendant 25 ans. Je l’étais même au début de ma relation avec Jim, il ne se plaignait pas. Il m’observait. Je ne lui avais laissé qu’une boite à chaussures pour ranger ses affaires personnelles dans ma chambre. Le mariage était son idée. Notre mariage a été très romantique (on le voit dans le film), il y a avait de la musique, les gens dansaient. Mais je n’avais pas compris alors le sens même du mariage, je l’ai découvert le jour où le diagnostic est tombé. Avant, j’étais incapable de dire « mon mari ou époux », j’ai observé ce changement chez moi.

Cela a-t-il changé votre manière d’écrire ?

Non. Toute ma vie, j’ai toujours écrit de la même manière, chez moi cela se traduit par l’honnêteté. J’y révèle aussi bien mes réussites que mes échecs, mes erreurs. Il faut parler de tout. Comme je l’ai dit, je n’ai pas pu écrire pendant sa maladie, et Jim en était profondément affecté. Il pensait que je mettais ma vie de côté or c’est faux, je n’ai pas oublié ma vie, ça c’était ma vie.

Je suis une femme changée. Je ne veux pas retourner à mon ancienne vie. Si on traverse une telle expérience sans rien apprendre, alors c’est qu’on est fou. J’ai appris ma leçon. Dommage que le cancer soit l’unique opportunité pour apprendre cela. J’espère, à travers ce livre, pouvoir vous transmettre ce que j’ai appris. Tout le monde va connaître un jour les mêmes expériences de la maladie, du deuil. C’est un grand tabou dans notre civilisation occidentale. Pour moi, c’est essentiel d’en parler et d’en tirer une leçon.

Dites-en nous plus sur votre expérience..

Qu’arrive-t-il quand on perd sa moitié ? Je l’ai vécu comme une forme de catharsis. Je souhaite communiquer une chose très intime. Ces mois où il était malade me manquent, oui même si certains jours étaient très durs, certaines minutes même, mais tout était important. On doit continuer à vivre normalement. Ces moments étaient très intenses.

Pouvez-nous nous dire un mot sur le système de santé américain ?

Nous étions chanceux, nous avons pu bénéficier de l’OBamaCare (le programme de sécurité sociale que Trump tente désespérément de supprimer depuis son élection). Nous étions donc assurés. Nous n’étions pas riches mais privilégiés. Lorsque le médecin nous a annoncé le diagnostic (cancer à un stade très avancé avec très peu de chance de rémission ), nous avons décidé de le combattre, de lui faire la guerre. Jim voulait lutter. Mais les traitements usuels n’ont pas fonctionné, le cancer est revenu. Nous n’avions plus de solutions, comme la participation à un essai clinique. Jim n’a pas accepté ce verdict. Alors, de mon côté, j’ai cherché des solutions atypiques. J’ai ainsi pensé que le lait maternel (colostrum) pouvait être la solution magique à sa maladie. Je sais, il n’y aucune preuve matérielle mais il fallait tenter le tout pour le tout.

J’en ai parlé sur Facebook où j’avais développé un groupe de soutien et 3 femmes nous ont envoyé des bouteilles. Nous les avons acceptées comme un symbole d’espoir, de magie.

Vous avez eu la chance de pouvoir partager ses derniers moments à la maison, contrairement à beaucoup de personnes qui sont hospitalisées.

C’est assez rare aux États-Unis également. Nous avons refusé l’hospitalisation. Mais nous n’avons pas refusé l’accompagnement bénévole (un système de volontariat auquel participe le personnel hospitalier). Une des infirmières qui lui administrait la morphine m’a confié comment je pouvais ainsi mettre fin à sa souffrance. Alors, une nuit, j’ai augmenté la dose mais le lendemain Jim était encore là.

Je préfère le titre français au titre original américain (Best of Us), car ce sont les mots de Jim. Je savais qu’il serait heureux que j’écrive ce livre. Pour en revenir à Doug, la vie est pleine de surprise puisque six semaines après cet échec, je rencontrais Jim que j’invitais également à me suivre en France. Nous sommes venus 5 fois à Paris.

♣ Questions du public ♣

Combien de temps après la mort de Jim avez-vous écrit ce récit ?

J’ai du quitter la maison (achetée par le couple en Californie) après sa mort et je suis retournée dans le New Hampshire où j’ai grandi. J’ai écrit chaque matin tous les jours de l’été avant de venir à Nantes. J’ai écrit et nagé chaque jour.

Comment expliquez-vous la puissance de Jim à lutter contre la maladie ?

Jim était un Eagle Scouts, un grade très difficile à atteindre chez les scouts. Il était calme, posé, taciturne. Chaque mot était pesé, il était aussi très intègre. Vous savez, nous les femmes, sommes toujours attirées par les « bad boys », et il avait ce mélange parfait. Il aimait les motos, jouait de la guitare et possédait des valeurs solides. Moi je suis différente.

Pouvez-vous nous dire si le genre du livre influence votre écriture, la différence entre une autobiographie et une fiction ?

Les romans naissent de mon imagination mais à chaque livre, que ce soit une fiction ou un récit, je dois raconter une histoire. Ici, je ne devais rien inventer. Cette histoire, mon histoire, c’était comme un roman dont j’ai été le personnage.

C’est essentiel de comprendre le sens de vos expériences, d’en tirer une leçon. Ici, j’ai compris très vite. Alors que pour Et devant moi, le monde – j’ai attendu 25 ans pour comprendre cette histoire (sur sa liaison avec J.D Salinger à l’âge de 18 ans).

Est-ce que l’on peut de nouveau aimer ?

Oui. J’en parle dans mon livre. Jim n’a pas pu me dire « j’espère que tu retrouveras un autre homme », il en était incapable. Et de mon côté, je ne lui ai fait aucune promesse. Mais on peut le dire, c’est normal. Et surtout à présent je pense être une compagne qui sait comment aimer. 

J’ai toujours aimé mes enfants, mais c’était naturel, très facile de les aimer. Avec un homme, c’était nouveau pour moi. Il était la personne la plus importante de ma vie. Mes enfants, adultes, l’acceptaient. Il était devenu ma famille.

Je veux dire un mot sur une amie, Joyce Carol Oates.  Elle a été mariée pendant 47 longues années lorsque son mari est décédé brutalement. Un après, elle s’est remariée. Il faut célébrer la vie !

Songez-vous à écrire une autobiographie sur la tranche de vie dont vous n’avez pas parlé?

[Joyce a écrit : Et devant moi, le monde pour raconter son adolescence et son histoire d’amour avec J.D Salinger puis ce récit sur Jim alors qu’elle avait déjà 57 ans].

Les critiques me croient narcissique. Non, je n’y ai pas songé.

Certains lecteurs ont du mal avec ces récits autobiographiques, ils les trouvent impudiques, que leur répondez-vous ? En France, certains écrivent aussi sur des drames personnels (comme Camille, mon envolée) mais les critiques sont moins acerbes avec eux. Vous et Joan Didion avez choisi de parler de la maladie, de la mort. 

Une des fonctions de mon travail est d’exprimer ce que les autres ne peuvent pas dire.

Ainsi, dans ce récit, je parle de l’échec de l’adoption. Je l’ai raconté pour deux raisons : d’une part pour être honnête et dire la vérité, et d’autre part pour expliquer le contexte dans lequel j’ai rencontré Jim. Ce fut le plus grand échec de mon existence. Et je me suis sentie profondément seule, car personne ne parle des échecs de l’adoption, c’est donc essentiel que j’en parle. C’est le rôle de l’écrivain.

Puis Joyce a lu un passage de la postface de son roman avant de terminer cette rencontre.

Un grand merci à la librairie Coiffard et à Joyce Maynard évidemment que j’adore encore plus 😉

♣♣♣

Pour les curieux, mon billet racontant ma rencontre précédente (lors de la sortie de son livre « Les règles d’usage » est ici.

 

 

Et pourquoi pas

8 commentaires

Mes échappées livresques 10 octobre 2017 - 10 h 01 min

Ayant été touchée par son autobiographie, j’aurais adoré être à cette soirée également! Une rencontre passionnante!

Electra 10 octobre 2017 - 11 h 48 min

Oui, tu aurais aimée ! sa voix, son sourire et sa joie de vivre malgré les épreuves 😉

Marie-Claude 10 octobre 2017 - 14 h 05 min

Merci, merci et merci!
J’Ignorais que Oates s’était remariée.
Jamais deux sans trois?!
Oui, il faut célébrer la vie! Toujours!

Electra 10 octobre 2017 - 14 h 14 min

De rien ! J’espère que tu as eu l’impression d’être un peu à mes côtés oui elle s’est remariée. Toujours célébrer le cadeau de la vie !

Jackie Brown 13 octobre 2017 - 20 h 00 min

J’ai été surprise qu’elle raconte cette histoire avec Doug. Mais c’est sûr que si tu as décidé d’être franche, tu vas jusqu’au bout. Et je dois dire que ça apportait un peu d’humour avant la tristesse de la suite.
J’ai trouvé aussi génial (n’ayons pas peur des mots) que Joyce Maynard parle comme ça d’Obamacare. Malheureusement, ce ne sont pas les bonnes personnes qui liront ce livre.

Electra 13 octobre 2017 - 20 h 04 min

Oui je te rejoins ! Elle a vraiment défendu le système de santé dont elle a pu profiter. Pour Doug, elle voulait aussi montrer l’autre côté pas seulement le succès de sa rencontre avec Jim. Elle est très sympa et son honnêteté est rafraîchissante

La Rousse Bouquine 20 octobre 2017 - 11 h 32 min

Ok. Je suis officiellement méga jalouse. Et je veux lire son bouquin. (tous, en fait).

Electra 20 octobre 2017 - 12 h 32 min

j’ai pas encore tout lu non plus ! Ils m’attendent à la maison.

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