Murder on the red river ⋅ Marcie R.Rendon

par Electra
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Ce livre m’avait tout de suite attiré : un polar écrit par un jeune femme indienne, membre de la Nation Anishinabe (réserve de White Earth).  Et lorsque j’ai lu la quatrième de couverture, j’ai su que je devais l’acheter. Pourquoi ai-je donc tant attendu pour le lire ?

Minnesota – Cash et le shérif Wheaton forment un duo inédit. C’est le shérif qui l’a sortie de la voiture accidentée de sa mère alcoolique lorsqu’elle avait trois ans. Depuis, il a toujours répondu présent. Un parcours difficile : de familles d’accueil en familles d’accueils, Cash a préféré quitter l’école pour aller travailler dans les fermes. A dix-neuf ans, elle est aujourd’hui ouvrière agricole.  Cash en paraît vingt de plus. C’est une dure à cuire. La jeune femme conduit des camions ou des tracteurs et passe ses soirées à jouer au billard. Un petit bout de femme d’à peine 1m60, elle s’habille en jean (pantalons et veste), fume des Malboros et s’envoie chaque soir une demi-douzaine de bières Longnecks. Nous sommes en 1970. La guerre fait rage au Vietnam, mais au fin fond du Minnesota, on n’en parle pas.

La vie ici tourne autour des fermes et de la culture agricole. Cash est un produit de cette région : séparée de ses frères et soeurs, placée dans des familles d’accueil blanches, Cash, a servi, comme des milliers d’autres enfants amérindiens, de main d’oeuvre gratuite. Parfois logée dans les granges, interdite de repas à table, la petite n’est là que pour aider le père à la ferme. Elle se rappelle de croiser d’autres enfants comme elle à l’école et d’échanger sur les tartes et les jouets auxquels elles n’ont pas le droit, aux turn-over incessant des familles d’accueil. Aux cheveux coupés courts. Heureusement Wheaton n’était jamais loin et il a réussi à l’éloigner de certaines familles malsaines et lorsqu’à seize ans, elle a voulu s’installer seule, il a accepté. Depuis, Cash mène une vie très calme. Elle fréquente un homme marié blanc – ils participent à des tournois de billard où elle empoche l’argent pour le loyer. Elle dépense son argent dans les cigarettes et l’alcool. Elle garde dorénavant ses cheveux très longs. Lorsque Wheaton lui glisse un soir un dossier d’inscription à la fac, Cash croit rêver ! Il est vrai qu’elle a obtenu son bac par correspondance, elle est douée. Mais aller dans une fac remplie de Blancs ? Cash ne connaît que les bars et les fermes.

Son attention est détournée lorsque le corps d’un Indien est retrouvé le long d’une route. Il a été assassiné. L’homme venait de la réserve de Red Lake et la police locale n’a pas le droit d’y mettre les pieds. Les Fédéraux sont alertés. Wheaton préfère que Cash aille annoncer la nouvelle à la femme de la victime avant que les flics arrivent. Cash accepte – la jeune femme fait souvent des rêves prémonitoires et cette nuit-là, elle avait rêvé d’une maison délabrée où l’attendait une mère et ses enfants. L’homme avait sept enfants, son épouse est dévastée. Comment va-t-elle faire survivre ? Elle sait ce qu’il va se passer : les service sociaux vont venir emmener les enfants, les séparant et les plaçant dans des fermes de Blancs. Cash ne peut le supporter.

La jeune femme décide de suivre son instinct et de retrouver les assassins. Elle sait que le danger est fort, elle, une jeune femme, une Injun de surcroît (terme raciste) mais Cash est en colère. En colère contre cette société qui ne les protège pas, contre le silence autour de la mort de cet homme bon.

Et bien ! Quel sacré roman – une claque. Pas d’autres mots. Marcie R. Rendon le dit elle-même : elle a délibérément choisi de situer son histoire en 1970 avant que les lois évoluent, qu’une prise de conscience apparaisse enfin et que les enfants ne soient plus automatiquement enlevés et si oui confiés à des Blancs. Elle a voulu ici raconter les années « d’esclavage moderne » que des petits américains ont connu parce qu’ils avaient le tort d’être nés indiens. La majorité des Blancs sont d’origine scandinave, j’avais une image différente d’eux. Je les imaginais plus « éduqués ». Ici, elle remet les choses à leurs places. J’ai pensé aux enfants réunionnais (j’espère ne pas me tromper) enlevés et envoyés dans des fermes dans la Creuse dans les années 60. Le principe n’était-il pas un peu le même ?

J’ai rarement croisé un personnage aussi fort, aussi cru, aussi cash que Cash !  A dix-neuf ans, elle s’est tellement endurcie qu’elle fait parfois penser à une femme de 55 ans ayant vécu longtemps comme sans-abri. Sa peau est devenue si épaisse qu’elle s’octroie trop peu de temps pour elle. Le droit au bonheur, elle n’y croit pas. Elle s’en rend compte lorsqu’elle réalise ainsi qu’elle ne dépense rien pour se faire plaisir, elle porte les mêmes habits, les mêmes bottes et son seul passe-temps est d’affronter des hommes au billard.

Cash va se prendre des coups et nous aussi, on prie pour que Wheaton ne soit jamais loin.  Une vision de l’Amérique qu’on avait un peu oublié ces derniers temps. Ici, Cash règle ses comptes avec les Blancs, et c’est parfois violent mais c’est aussi profondément juste. Un premier roman choc.  Il y a des lectures qui vous marquent et celle-ci en fait partie.  J’ai lu ce roman il y a plus de deux semaines, mais je la sens toujours à mes côtés.

J’ai lu ce roman dans le cadre du challenge Nation Indienne.

♥♥♥♥♥

 

Editions Cinco Puntos Press, 2017, 208 pages

Et pourquoi pas

12 commentaires

keisha 19 novembre 2018 - 9 h 08 min

Ph cela m’a l’air bien, dis donc (tu as le chic pour les dénicher!)

Electra 19 novembre 2018 - 12 h 39 min

Il est génial, mais j’avoue que je ne sais plus où je l’ai repéré !

Fanny 19 novembre 2018 - 10 h 11 min

Il est déjà traduit ? Ou pas encore?

Electra 19 novembre 2018 - 12 h 40 min

Pas encore, mais je veux y croire !

Eva 20 novembre 2018 - 11 h 33 min

génial !! dès que je retrouve un peu de bande passante, je le lis !! – en VO, donc

Electra 21 novembre 2018 - 7 h 14 min

Oui, il va te plaire car il change vraiment la donne en matière de roman / thriller !

Marie-Claude 20 novembre 2018 - 18 h 29 min

J’exige une traduction! Je dois absolument lire ce roman…

Electra 21 novembre 2018 - 7 h 15 min

Oui; tu as droit à cette traduction car tu adorerais ce livre, je sais qu’il est traduit en allemand et bientôt en italien, je veux qu’il soit traduit !

Milou 21 novembre 2018 - 14 h 36 min

Oh mais ça c’est tout pour moi. J’ai déjà lu une histoire où il est question d’arrêter les adoptions d’enfants indiens en-dehors de leur culture. C’est un peuple qui me passionne bien que je n’ai pas lu beaucoup de livres à leur sujet. Merci. Je crois que je vais trouver pas mal d’inspiration de lectures dans ton blog.

Electra 21 novembre 2018 - 19 h 43 min

De rien ! oui mon blog en regorge car le sujet me tient particulièrement à coeur 😉 bonne lecture !

Titezef 25 novembre 2018 - 22 h 57 min

Oh Oui une traduction please ! 😊

Electra 26 novembre 2018 - 7 h 20 min

Oui, il le faut !!

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