Danseur d’herbe · Susan Power

par Electra
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Chut - nous avons trop d'histoires à porter sur notre dos comme des maisons.

Jo Harjo in Mad Love & War

Un premier roman d’une telle ampleur, ça laisse pantois. Susan Power a publié The Grass Dancer en 1994 et quelle claque ! Je l’ai déniché par hasard en librairie d’occasion, repéré par l’indien sur le couverture.  Le hasard a fait que le Caribou l’a déniché à son tour et lu l’été dernier. Il m’attendait et par magie Inganmic m’a proposé une lecture commune.

La galerie de personnages a de quoi étonner : une grand-mère qui ne veut pas mourir, un chien de Poméranie à trois pattes nommé Chuck, une gamine aux tâches de rousseurs nommée Pumpkin qui danse mieux que quiconque au pow wow, une amoureuse qui se prend la tête avec sa mère, la famille Thunder qui fait peur car les femmes peuvent jeter des sorts et envouter tous les hommes et puis ce fantôme qui hante chaque génération – celui de Red Dress, une jeune femme Dakota, christianisée par le Père La Frambois et qui décide de partir au Fort Laramie en 1864.

Le coup de génie de l’autrice est de faire remonter le fil de l’histoire à travers l’arbre généalogique d’une famille d’indiens Dakota vivant sur une réserve de 1981 à 1864 ; un fil à tisser qui une fois sur l’appareil tisse un portrait magnifique du mode de vie des Dakotas, et de leur presque disparition. Que ce soit à travers les yeux d’une jeune femme elle-même encore gamine quand elle tombe enceinte, ou d’un jeune homme, le plus beau et timide de la réserve, qui s’éprend d’une jeune citrouille, ou à travers les derniers instants d’une vieille femme indienne, les mots de Susan Power résonnent justes. J’ai aimé l’abondance du vocabulaire dakota, le partage dense de leur culture et le rejet de celle de l’homme blanc, comme celui du Père La Frambois.

Dans la vision du monde qui était sienne, nous étions déjà un peuple avili, qu’il avait l’intention d’élever, à lui tout seul, jusqu’au royaume radieux de la civilisation.

 

Mais les femmes sont plus fortes. Toutes les femmes, que ce soit le fantôme de Red Dress ou de cette femme blanche, vivant seule dans une ferme après que son mari, soldat, fut tué par des indiens. Un portrait touchant et subtile de la féminité. Ce qu’être une femme, et ici une femme indienne. Les amours, les déceptions et puis surtout la famille, la puissance des liens, la magie et parfois la sensation de ne pouvoir échapper à ses ancêtres. Susan Power réussit à transmettre tout cela, dès son premier roman !  Pourquoi Red Dress est-elle toujours entourée de serpents et annonce son arrivée avec ces grelots attachés à sa robe ? Pourquoi Pumpkin et puis Hailey dansent-ils si bien la danse du danseur d’herbe ? Et que signifie-t-elle ?

Koda, mon amie, regarde cette morne herbe brune, démoralisée parce qu’arrive l’hiver qui va la mettre à mal. Voilà, pour moi, ce qu’est l’anglais. De petits cailloux sur ma langue, du gravier, le genre de chose que l’on mâche, mais que l’on ne parvient pas à avaler. La langue dakota est la riche herbe printanière qui ondoie comme l’eau et a une douce saveur.

Que ce soit des adolescents, des femmes mûres ou des vieillardes, Susan Power réussit à porter leurs voix. Un roman magnifique, d’un profondeur, porté par une voix puissante. Comme celle de ces femmes indiennes. Impossible de leur résister, leur sort a aussi agi sur moi. Ce roman, publié il y trente ans, sonnait le réveil d’une nation.

Bien évidemment, ce roman compte pour mon challenge #nationindienne.  L’avis d’Inganmic (qui ne peut qu’être aussi enthousiaste!) est sur son blog Book’ing.

♥♥♥♥♥

Editions 10-18, The Grass Dancer, trad. Danièle et Pierre Bondil, 1995, 375 pages

 

Photo by Matthew Smith on Unsplash

Et pourquoi pas

11 commentaires

keisha 8 août 2020 - 13 h 10 min

Les filles, vous faites fort. Mais rien à la bibli, restent les librairies, occasion ou pas

Electra 8 août 2020 - 16 h 24 min

oui les librairies d’occasion ! là où je l’ai déniché. J’ignorais même son existence, mais repère la couverture indien + drapeau.

Ingannmic 8 août 2020 - 14 h 14 min

Cette fois, nous sommes d’accord, quel beau roman, enchanteur et profond ! Et nos billets sont très complémentaires, car nous n’avons pas développés les mêmes points, c’est parfait !
Je l’ai trouvé moi aussi d’occasion (car comme je l’indiquais à Keisha sur mon blog, sa version poche est désormais indisponible en librairie) mais pas par hasard car je le cherchais, suite à l’avis du Caribou. J’ai eu beaucoup de chance sur ce coup, je suis tombé sur un exemplaire bradé du grand format chez Gibert, jauni comme j’aime !
Bon, bah rendez-vous maintenant au 10 septembre, avec Joe Meno (je viens de le finir, j’ai pris un peu d’avance, comme je mets le blog en, pause la semaine prochaine jusqu’à fin août, j’en suis à mes lectures prévues pour la rentrée… ).

Electra 8 août 2020 - 16 h 26 min

Je mets aussi le blog en pause jusqu’à la rentrée, pas de vacances pour moi, mais besoin d’une pause « blog » et besoin de lire pour produire des billets (et j’ai de quoi faire) le Meno attendra la rentrée (merci de me redonner la date!)
oui j’ai lu ton billet et j’ai trouvé génial le fait qu’on l’est lu et aimé toutes les deux, mais que nos billets sont différents – je trouve ça vraiment intéressant qu’on ne soit pas marquées par les mêmes choses. Mais bon, ce livre est tellement beau !
oui pour le trouver, c’est compliqué mais j’ai une librairie d’occasion qui a la bonne idée de mettre tous les 10-18 ensemble, du coup je trouve souvent des pépites !

Lili 8 août 2020 - 14 h 43 min

Ai-je besoin de préciser que je note ce titre immédiatement ?

Electra 8 août 2020 - 16 h 26 min

oui. 😉

Sunalee 8 août 2020 - 16 h 15 min

Comme je le disais chez Ingannmic, ce roman me tente beaucoup, mais le plus dur sera de le trouver en seconde main… Je vais chercher !

Electra 8 août 2020 - 16 h 27 min

Oui, cherche ! Si tu veux éviter de te déplacer, tu peux appeler les librairies d’occasion. Je le fais maintenant, et ils notent aussi les livres que l’on cherche, du coup dès qu’il le trouve, ils t’appellent.

krol 9 août 2020 - 9 h 06 min

C’est noté et presque commandé sur un site de livres d’occasion ! Avec tous ces avis unanimes, je ne pouvais pas passer à côté.

Electra 9 août 2020 - 17 h 06 min

ah génial ! je pense qu’effectivement il va te plaire ! Je me dis qu’Albin Michel et 10/18 devraient parfois republier d’anciens livres, surtout des pépites comme celle-ci !

L&T 21 août 2020 - 1 h 16 min

Merci pour cette belle découverte. Les thèmes abordés par ce roman, sa galerie de personnages haut en couleurs et ton avis me donnent très envie de le lire!

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