Impossibles adieux · Han Kang

par Electra
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Je continue ma découverte de l’oeuvre de mon autrice coréenne préférée avec ce roman, traduit en français mais pas en anglais dans le cadre d’une lecture commune avec Sunalee, Inganmic, Fanja et Marie-Claude. En effet, j’ai découvert HAN Kang en anglais donc j’ai l’habitude de la lire dans cette version. Un jour, j’espère pouvoir la lire en version originale.

Au cours des quatre années qui séparent la première fois où j’ai fait ce rêve et cette aube d’été, j’ai eu à prononcer certains adieux. (…) Un corps qui veut vivre. Un corps percé, tranché. Un corps qui repousse, qui étreinte, s’accroche. Un corps à genoux. Un corps qui supplie.

A nouveau, l’autrice revient sur un pan de l’histoire de son pays et sur la neige, deux thèmes majeurs dans son oeuvre. Comme elle, la neige, ce blanc, m’intrigue et j’avais dévoré son recueil d’essais sur la couleur blanc dans  The White Book . J’avais donc hâte de retrouver ses mots et une fois encore la magie a opéré.

Impossibles adieux commence lorsque Gyeongha reçoit un message de son amie Inseon. Celle-ci vit sur l’île célèbre de Jeju, dans la maison de sa mère, dont elle s’est occupée pendant plusieurs années, alors qu’elle perdait la tête. Un soir, en travaillant le bois, Inseon se coupe deux doigts. La jeune femme est alors transférée dans un hôpital de Séoul. Elle demande à Gyeongha de prendre le premier avion pour Jeju afin de s’occuper de son oiseau. Ce dernier risque de mourir s’il n’est pas nourri très rapidement. La narratrice accepte, mais à son arrivée, une violente tempête de neige s’est abattue sur l’île. Son voyage en bus puis à pied vont la plonger dans le passé de cette île méconnu pour les lecteurs occidentaux : celui d’un des pires massacres que la Corée a connu, où plus de 30 000 civils ont été assassinés en 1948 et 1949. Des Coréens tuant des Coréens.

Cette histoire c’est celle de la famille d’Inseon. Ce roman est un réquisitoire contre l’oubli. Les victimes ont été jetées à la mer, ou dans une mine, enterrés à jamais. Leurs ossements perdus. L’oncle d’Inseon a disparu, ses grands-parents ont été assassinés et sa jeune tante, alors âgée de 8 ans, laissée pour morte. Alors que le froid, l’obscurité, le vent envahissent l’espace, Gyeongha entend à nouveau Inseon raconter son histoire. Celle de sa famille, dont elle ignorait beaucoup de choses. Elle n’avait jamais compris sa mère, mais à sa mort, en trouvant des dizaines d’articles sur le massacre collectés au fil des ans par sa mère, elle avait découvert un pan de l’histoire familiale qu’elle ignorait. A son tour, elle avait mené de nombreuses recherches.

J’inspire profondément et je craque une allumette. Le feu ne prend pas. J’essaie encore, mais l’allumette se brise. Je tâte l’allumette cassée, la saisis, la frotte une nouvelle fois et la flamme jaillit. Comme un coeur. Comme un bourgeons qui palpite. Comme l’oiseau le plus petit du monde qui se met à battre des ailes.

La Corée du Sud avait effacé ce massacre jusqu’à ce qu’une poignée de survivants se lèvent et créent une association, et poussent le gouvernement à lancer des recherches sur les milliers de crânes et squelettes dispersés. Comment vivre entourés de fantômes ? Ingheon est-elle aux côtés de son amie ou toujours dans son lit d’hôpital ? Comme les victimes de cette tuerie, elle erre dans ses terres natales..  Son histoire familiale est terrifiante. Peut-on y échapper ? J’ai par hasard vu ces derniers jours le témoignage d’une actrice dont les parents juifs ont connu la seconde guerre mondiale, mais n’avaient jamais raconté leur histoire à leur fille. Celle-ci a grandi en détestant ses parents dont elles ne comprenaient pas le comportement. Inseon avait aussi un rapport difficile avec sa propre mère, et comme l’actrice anglaise, c’est en cherchant dans le passé qu’elle a fini par comprendre le comportement erratique de cette dernière, qui revivait sans cesse son passé.

Katie Kitamura (dont j’ai adoré le dernier roman) décrit ainsi l’oeuvre de HAN Kang « Une écrivaine absolument unique. En quelques lignes, elle nous fait traverser l’humanité toute entière ».

Mais au-delà de cette histoire, j’ai vraiment aimé retrouver la plume de l’autrice coréenne, elle exerce chez moi une sorte de fascination. Elle mêle illusion à la réalité, le passé au présent et m’entraîne moi lectrice avec elle, allongée à terre, les flocons de neige recouvrant peu à peu mon corps. Comme le souligne Déborah Levy, une écrivaine majeure.

♥♥♥♥

Editions Grasset, 작별하지 않는다 trad.CHOI Kyungran et Pierre Bisiou, 2023, 336 pages

 

Photo de Aarón Blanco Tejedor sur Unsplash

 

Et pourquoi pas

18 commentaires

Impossibles adieux – Popup Monster 17 mai 2024 - 7 h 24 min

[…] enthousiaste sur The Vegetarian que plusieurs blogueuses ont décidé de cette lecture commune: Electra, Fanja, Marie-Claude, […]

Sunalee 17 mai 2024 - 8 h 37 min

J’ai beaucoup aimé aussi, je vais mettre ses autres romans sur ma PAL.
J’ai moins parlé dans mon billet des événements historiques parce qu’en commençant le roman, je n’en avais pas conscience et j’ai aimé comment ils sont abordés par petites touches, sans trop dévoiler au début.

Electra 17 mai 2024 - 11 h 05 min

Je vais aller lire ton billet, moi je l’adore même si j’avoue avoir été un peu déstabilisée de la lire en français, je préfère la traduction anglaise de D.Levy mais sinon ravie que tu aies aimé !

je lis je blogue 17 mai 2024 - 9 h 40 min

Je connaissais Han Kang de nom (surtout grâce à La Végétarienne). J’aime beaucoup la littérature asiatique mais je dois reconnaître que c’est compliqué une fois sur deux. C’est une culture fascinante mais que je n’arrive pas toujours à comprendre. J’ai beaucoup de mal, par exemple, avec les univers oniriques. En revanche, la partie dédiée à l’histoire de la Corée m’aurait captivée.

Electra 17 mai 2024 - 11 h 09 min

Ah je te rejoins ! Il y a des années j’avais lu le célèbre Banana Kitchen (qui a été republié cette année et refait le buzz) et je n’avais pas du tout accroché, j’avais ensuite tenté encore une ou deux fois mais l’univers trop onirique me décontenançait à chaque fois. Au Caribou je disais que les personnages n’étaient pas en 3D, qu’ils n’étaient là que pour servir le style. J’ai besoin d’être ancrée dans la réalité (ou alors je sais dès le début que je n’y suis pas (SF, etc.)) Puis j’ai lu des auteurs coréens, et là j’ai totalement changé d’avis, maintenant j’ai trouvé chaussure à mon pied. J’ai même retenté les auteurs japonais et à nouveau, j’ai trouvé mon bonheur. Je pense que les auteurs asiatiques ont aussi évolué sur le style – et les thèmes. Ici HAN Kang mélange passé/présent et effectivement, pose la question de savoir si Inseong est bien là mais sinon rien d’onirique. Les horreurs du massacre sont tout ce qu’il y a de plus réel. Comme dans The Vegetarian. Je n’ai pas retenté Banana Kitchen.

Sunalee 17 mai 2024 - 11 h 56 min

C’est bien de Banana Yoshimoto que tu parles ? Je l’ai lu il y a très longtemps et je n’ai aucun souvenir, mais j’imagine que j’ai aimé, j’ai quatre livres de l’autrice dans ma bibliothèque.

Electra 17 mai 2024 - 14 h 04 min

oui c’est bien de ce livre ! Moi j’avais pas du tout accroché, je me souviens me dire que les romans japonais et moi ça faisait deux. Depuis, j’ai bien évolué ! tu as lu tous ses livres ? devrais-je retenter ma chance ?

Sunalee 17 mai 2024 - 18 h 46 min

Je ne sais pas, il faudrait que je les relise moi-même ! voilà une idée de challenge pour plus tard: relire des romans lus il y a très longtemps (le Caribou m’a déjà donné envie de relire The Outsiders de SE Hinton…).

keisha 17 mai 2024 - 13 h 13 min

Il faut au moins que j’essaie cet auteur! OK c’est une femme

Electra 17 mai 2024 - 14 h 05 min

oui ! c’est une femme 🙂

keisha 17 mai 2024 - 13 h 13 min

Il faut au moins que j’essaie cet auteur! OK c’est une femme

Electra 17 mai 2024 - 14 h 05 min

deux pour le prix d’un 😉

ingannmic 17 mai 2024 - 19 h 53 min

Je me sens nulle, j’ai complètement zappé cette LC, en fait je ne l’avais même pas notée…

Electra 21 mai 2024 - 19 h 02 min

pas de souci, moi je l’ai lu aussi tardivement .. ! je voudrais faire la LC sur Stasiland mais mon livre s’est perdu en chemin… ça sera pour plus tard

Fanja 18 mai 2024 - 1 h 56 min

Ouh pouvoir la lire en version originale, ça doit être une sacrée expérience, c’est tout le bien que je te souhaite.^^ Déjà la traduction française m’a convaincue du talent d’écriture de cette autrice. Après, je ne suis pas encore en mesure d’affirmer que j’ai aimé à 100% et que j’y retournerai. C’était une expérience de lecture assez étrange finalement. Quelque peu déroutante, mais on est happé malgré tout.

Electra 21 mai 2024 - 19 h 03 min

Oui, toutefois je trouve le style différent de The Vegetarian – pas du tout onirique donc si tu veux tenter, elle a aussi publié des nouvelles. Mais oui, je la lis toujours en anglais, comme la plupart des auteurs asiatiques, je trouve bizarrement les deux langues plus proches dans la manière d’aborder l’action, mais c’est juste moi.

Marie-Claude Rioux 21 mai 2024 - 15 h 05 min

J’ai oublié de t’en parlé hier, mais ce roman a été l’un de mes derniers abandons… On dirait bien que j’ai manqué quelque chose…

Electra 21 mai 2024 - 19 h 05 min

oui, quand tu as dis deux romans asiatiques, j’ai pensé à celui-ci ! Je trouve qu’il est différent des autres, The Vegetarian n’a rien d’onirique, je pense qu’il t’aurait plus plu que celui-ci qui reste toujours dans le blizzard, entre rêve et réalité… Donc si tu as l’occasion, lis Le Végétarien ! J’ai été cherché trois livres à la bibli, dont un pour notre défi,, des pavés !

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