J’ai découvert Callan Wink avec son recueil de nouvelles, Dog Run Moon puis son roman August. Tous deux ont été traduits et publiés par Albin Michel (Courir au clair de lune avec un chien volé et August). J’ai eu la chance de le rencontrer lors de sa venue et de lui parler du Montana, où il vit (et travaille comme guide de pêche à la mouche sur le fleuve Yellowstone) et où j’ai habité. J’avais donc hâte de lire son nouveau roman, celui-ci se passant précisément autour et sur la Yellowstone River.
Je me suis jetée sur la version reliée avec la figure de l’ours car je la trouve magnifique. J’ai découvert les critiques de plusieurs auteurs, dont celle de Colin Walsh, qui n’être autre que l’auteur de Kala, mon roman préféré de 2024. Et il partage l’avis de Junot Diaz ou Kevin Pollock, ou Donald Ray Pollock : c’est un grand livre. J’ai eu un doute en me lançant, j’avais rapidement lu le synopsis mais en lisant la quatrième C, j’ai compris que les deux frangins, Thad et Hazen allaient se lancer dans un truc complètement fou. …
He made another pot of coffee, and when it was done brewing the kitchen was quiet. He was alone there, and he figured that was how it would be for a long while. He realized for the first time that acute aloneness has something of a presence. His lonely was dark as a shadow, and it sat there drinking coffee with him, a silent companion.
J’avoue, je n’ai pas lu depuis fort longtemps de roman américain, encore moins un se déroulant dans le Montana, et parlant entre autre de pêche et surtout de chasse illégale…J’avais quitté l’Amérique du Nord pour l’Asie, et vu les récents évènements, je ne m’en porte pas plus mal, mais Callan + Montana : mon coeur a flanché. Et la magie a opéré, après une trentaine de pages, j’étais accro. Et j’ai dévoré le roman en deux petits jours, j’ai lu plus de 120 pages d’une traite dimanche matin. J’ai bien cru ne jamais reposer le livre. J’ai gardé la toute fin pour la soirée car je savais que j’allais sans doute sentir un tressaillement dans mon coeur. Et ça n’a pas loupé. J’ai eu du mal à leur dire au revoir.
Mais passons à l’histoire, deux frères, Thad et Hazen (27 et 26 ans), vivent seuls dans une cabane, construite par leur grand-père et entretenue par leur paternel. Ce dernier est mort d’un cancer il y a trois ans. La maison fuit de partout, il faut refaire le toit, l’isolation. Pareil pour leur seul véhicule, celui du paternel, plus de 30 ans au compteur. Thad sait que les temps sont durs et les deux frangins gagnent de l’argent en coupant du bois pour plusieurs habitants. Nous sommes au printemps, mais il neige toujours. Il fait froid, et les dettes s’accumulent auprès de la banque. Thad est inquiet. Son frère Hazen, qui n’a jamais mis le nez dans les papiers, vit au contraire dans une bulle où il peut pêcher et chasser, ses deux passions. Ils survivent aussi en faisant du braconnage, le roman débute alors qu’ils viennent d’abattre un ours. Totalement illégal. Mais ils savent que la bile d’ours est très recherchée, car les frères vivent en effet tout à côté du parc Yellowstone. Toute chasse y est interdite, et les animaux sont parfois pucés avec un GPS et surtout les garde-forestiers sont nombreux et le prix à payer est très cher si vous êtes arrêté. Les deux frères n’ont jamais osé chasser sur les terres du parc national, les mots du père résonnent encore chez Thad.
Lorsque Scot, un trafiquant local vient les trouver pour leur proposer un marché, sachant que les deux frangins ont besoin d’argent, Thad refuse. Mais lorsque leur seul véhicule tombe en panne, le jeune homme, désespéré approuve. Leur mission? Au printemps, les cerfs perdent leurs ramures et ces dernières très recherchées par les collectionneurs. Scot en veut une centaine, voire plus. Mais comment les ramener sans se faire repérer par les visiteurs ou les gardes ?? Thad a alors une idée de génie : utiliser la rivière Yellowstone comme moyen de transport. Mais tout ne va pas se passer comme prévu…
Apre est l’adjectif qui me vient en tête quand je veux parler de ce roman. Callan Wink a une écriture sèche, qui m’a un peu surprise, sans doute m’étais-je habituée au style coréen ou japonais. Ici, le style colle à l’histoire. Comme Benjamin Percy, j’ai été immédiatement transportée dans la vallée de la Beartooth, sur ces routes abimées, cette neige et ce froid qui vous transperce la peau, et avec ces deux frangins dont la vie tranquille va basculer soudainement.
Wearing oneself out was not a testament to a man’s capacity for work – it was a symptom of his ignorance. Or, in a seemingly contradictory situation, laziness. Sometimes the man working the hardest, the guy who constantly « wears himself out », is the laziest, unwilling to take the time on the frond end to do things the right way.
Beartooth n’est pas l’histoire de ce braconnage mais l’histoire de ces frères, élevés dans la nature par leur père, abandonnés par leur mère, et vivant de pêche et de chasse, loin de la civilisation moderne. Le roman ne s’arrête pas à cette mission et continue longtemps. Ils racontent la suite et comment leur relation évolue. Comme le remarque un policier, ils ont la moitié de la vingtaine, et n’ont jamais eu de petites amies. Leur monde, c’est juste eux deux. Thad sait qu’il faut se méfier des autres, Hazen est plus immature et prend plus de risque. Leur relation est profonde et touchante et le personnage de Thad émouvant. Ils n’ont jamais souhaité vivre ainsi, mais n’ont connu que cela. Ils ne sont pas allés à l’école, éduqués par leur mère et leur père. A ce sujet, j’ai beaucoup aimé le personnage de la mère et ses choix de vie, ainsi que le récit de son enfance, lorsqu’elle la raconte avec ses propres mots.
J’aime le style dépouillé de Callan Wink, qui arrive à partager la beauté du Montana, la chaîne de montagnes, la fameuse Beartooth, sa solennité, sa grandeur. J’étais à nouveau dans le parc (je l’ai visité et j’y ai campé trois fois), au milieu des troupeaux de cerfs et de bisons, les montagnes nous entourant. La rivière traversant le pays pour aller se jeter dans le fleuve Mississippi. Il y a de véritables moments de poésie dans ce récit, c’est tout le talent de l’auteur américain. Il parle de ses terres, de sa rivière où il travaille comme guide de pêche. Il parle des changements de saisons, mais aussi de ces éléments immuables, de la puissance de la nature, de la beauté de ces animaux sauvages. De la vie dans cet Etat très peu habité où j’ai adoré vivre.
Dois-je en dire plus ? Je pense bien entendu que les éditions Albin Michel se sont déjà empressées de commencer la traduction de ce roman.
EDIT : au vu des commentaires, je me dois de préciser que le récit ne tourne absolument pas autour de la pêche ou de la chasse, il y a je crois, une seule scène de chasse, après ils retournent au parc pour ramasser des ramages (que perdent naturellement les cerfs). Le roman se concentre sur la relation des deux frangins et comment elle explose après leur braconnage. Du nature writing ? Oui, quand il décrit la vallée et la nature, mais à nouveau ce n’est pas le thème principal du roman.
♥♥♥♥♥
Editions Granta Books, 2025, 256 pages
Photo de Yannick Menard sur Unsplash
12 commentaires
Ce ne sont pas trop mes thématiques (nature, pêche, chasse) et je n’ai pas les mêmes affinités avec le Montana que toi^^, mais tu as quand réussi à m’intriguer avec ce roman dévoré en deux jours. Et puis il a une bonne bouille cet auteur (oui, je suis allée voir^^).
j’adore ta dernière remarque ! oui, il a une bonne bouille. Je comprends ta réaction, chasse, pêche et nature .. dur dur de vendre ça mais en fait le roman repose plus sur l’histoire de ces deux frangins, leurs relations.
Pêche et chasse, moyennement mon truc, surtout avec des ours. Mais la nature, oui, et le Yellowstone j’y suis allée deux fois (en été, soyons prudents) J’attendrai la traduction pour découvrir ces deux frères.
je vais modifier mon article car tout le monde pense qu’on ne parle que de chasse et pêche, mais non ! on parle du braquage et de la suite … mais oui ça vaut le détour ! tu as eu bien raison d’y aller, les parcs nationaux sont en danger…
Pas vraiment adepte du nature writing, je pense pouvoir me laisser tenter par l’aspect psychologique de cette relation exclusive. Et le Montana, ça fait rêver 🤩.
oui, ce n’est pas du nature writing, enfin c’est comme tu dis plus sur la relation exclusive des deux frères, je vais modifier mon article du coup ! et le Montana fait toujours rêver, même quand on y a habité !
Je n’ai toujours pas lu August, alors que j’ai beaucoup aimé ses nouvelles. J’en passerai donc d’abord par ce premier roman, et peut-être celui-ci sera-t-il traduit ensuite !
oui, tu peux, je pense qu’il sera prêt pour la rentrée de septembre 🙂
J’avais bien aimé les nouvelles de Courir au clair de lune… je serais ravi de replonger à nouveau dans l’univers de cet auteur avec ce roman, s’il est un jour traduit en français^^
son précédent roman l’a été, donc j’espère qu’Albin Michel va continuer son travail car connaissant tes goûts, il te va comme un gant !
Evidemment que je vais lire ce livre !
bien entendu !