J’ai déniché le précédent roman de GU Byeong-mo (구병모 ), The old woman with a knife (La vieille dame au couteau aux éditions DeCrescenzo) à un tout petit prix en bouquinerie. Je ne l’ai pas encore lu. J’ai acheté son roman, vendu également sous le titre Apartment Women, début février et j’ai eu envie de le lire immédiatement.
On pourrait parler ici d’une dystopie, mais au final, cela pourrait avoir lieu de nos jours, vu le taux de naissance catastrophique en Corée du Sud. Afin d’encourager les couples à avoir des enfants, le gouvernement a créé des immeubles réservés aux couples. Le gouvernement souhaite expérimenter une nouvelle forme de vie communautaire, à travers son projet « Dream Future Pilot Communal Apartments ». Ces appartements modernes sont réservés à des couples, mariés, déjà parents ou désirant avoir des enfants. Le contrat stipule que les couples doivent avoir 3 enfants dans les dix ans qui suivent leur emménagement (ou une preuve de traitement contre l’infertilité, d’attestation de fausses couches)…sinon, ils seront expulsés du complexe.
La communauté, située dans la banlieue de la capitale coréenne, accueille ces premiers couples. Lorsque JEON Euno et son époux SEO Yu-jin s’installent, avec leur fille Si-yul âgée de 6 ans, ils sont accueillis par les autres habitants. SIN Jae-gang et son épouse HONG Dan-hui, et leurs deux enfants Jeong-mok et Jeong-heop, sont les piliers de la communauté. Tous deux sont très impliqués et proactifs dans le sens où ils veulent développer la vie communautaire. Ils organisent ainsi un repas de bienvenue pour le jeune couple. GO Yeo-san et son épouse GANG Gyo-won et leurs enfants Yu-bin et Se-ah sont présents. SON Sang-mak est venu seul avec sa fille Da-rim (17 mois) car son épouse Hyo-nae se sent trop fatiguée. Cette dernière continue de travailler en tant qu’illustratrice tout en s’occupant de son bébé.
Dan-hui manifeste immédiatement son mécontentement envers Hyo-nae, qu’elle ne trouve absolument pas impliquée dans la vie communautaire. Son mari ne sait trop quoi répondre. Yu-jin annonce alors, qu’à l’inverse des autres couples, c’est elle qui travaille (dans la pharmacie de son beau-frère) et Euno reste à la maison pour s’occuper de Si-yul. C’est très inhabituel dans la société coréenne et encore moins dans le cadre de ce projet.
Leur prochain objectif est la mise en place d’une crèche communautaire, où les parents qui restent à la maison pourront s’occuper ensemble des enfants. Le projet est lancé et tous participent, bon gré mal gré.
Lorsque le véhicule de Jae-gang tombe en panne, Yu-jin comprend qu’on attend d’elle qu’elle l’emmène avec lui au travail, et le récupère le soir. L’homme et la femme sont voisins, et se connaissent à peine, mais Yu-jin sent qu’elle n’a pas trop le choix. Mais si leur conversation tourne principalement autour des enfants peu à peu, Jae-gang commence à tenir des propos qui mettent mal à l’aise la jeune femme. ..
Hye-nae, de son côté étouffe. Avoir un travail et un enfant en bas âge en même temps sont mal vus. Lorsque Da-rim avale par malheur un produit dangereux et se retrouve à l’hôpital, ses parents et ses beaux-parents fustigent la jeune femme. Cette dernière travaille la nuit et se repose la journée. Son couple périclite. Elle doit en plus supporter l’omniprésence de Dan-hui qui lui reproche toutes sortes de choses, comme de ne pas sortir les déchets comme il faut ou d’être absente aux évènements communautaires… Une nuit, le couple est réveillé par les cris provenant de l’appartement d’à côté, Yeo-san et son épouse Gyo-won se disputent violemment.. au point, que la jeune femme, blessée à la tête vient chercher de l’aide .. Les rapports cordiaux entre les voisins commencent peu à peu à se déliter…
Le roman de GU Byeong-mo est à la fois fascinant et effrayant. Peu à peu, on sent l’emprise de certains habitants sur leurs voisins et on commence à étouffer dans cet immeuble où tous les gestes sont surveillés. Et nous voilà mis devant le fait : les femmes sont à nouveau réduites à des ventres. Malgré leurs propos modernes et leurs sourires, la réalité est là : la société coréenne est encore extrêmement conservative et ne conçoit pas qu’une femme travaille au détriment de son rôle de mère. Les silences cachent des non-dits accusateurs. La tension ne cesse de monter dans ce complexe qui promeut la bienveillance et le bonheur de ses habitants…
Si j’avoue que le tout début ne m’a pas de suite accroché, j’étais ensuite totalement happée par l’histoire – chaque trajet de Yu-jin avec son voisin est devenu un cauchemar, et Hye-nae ne comprend pas ce bashing continuel, venant, en plus, principalement de femmes envers sa personne. Cette expérimentation met au final en exergue le sexisme rampant et la vision rétrograde des femmes en général. Ce roman explique pourquoi le taux de natalité est un des plus faibles au monde. La Corée du Sud n’aime pas les femmes. D’ailleurs, le pays figure dans les bons derniers au classement mondial sur le droit des femmes.
Pour lutter contre le vieillissement de sa population, de grands employeurs coréens promettent désormais des primes (jusqu’à 6 000 euros) pour encourager les couples à avoir des enfants, idem pour le gouvernement. Mais en Corée du Sud, comme au Japon, on attend que l’épouse quitte son job pour s’occuper des enfants. Le système de crèches est peu développé et coûte beaucoup d’argent.
La France, en allongeant le congé maternité, en développant le système de gardes a pu lutter contre cette baisse de natalité. Et rappelons-le : en Corée du Sud, les enfants continuent de vivre chez leurs parents, parfois jusqu’à l’âge de 40 ans (et même les acteurs célèbres des séries coréennes) jusqu’à leur mariage. Il est moralement interdit de vivre ensemble avant le mariage.. alors des enfants hors mariage, imaginez un peu.. La société coréenne, contrairement à l’image qu’elle donne dans ses films ou séries, a peu évolué.
Un roman puissant, original et effrayant. J’ai hâte de lire son précédent roman qui avait connu un beau succès à sa sortie.
Enfin, voici deux couvertures coréennes de ses romans et je trouve les couvertures sublimes ! Du coup je les partage …
♥♥♥♥
Editions WILDFIRE , 네 이웃의 식탁 , trad. KIM Chi-young, 2024,224 pages
Photo de Ryoo Geon Uk sur Unsplash
3 commentaires
Cela résonne pas mal avec des débats suivis récemment à la radio au sujet de la dénatalité…
Oh j’ai La vieille dame au couteau dans ma PAL, du coup ton billet me rappelle qu’il faudrait que j’en sorte ! Ce roman-ci me tente bien aussi par son sujet. Le taux de natalité est en décroissance aussi en France, ce qui commence à inquiéter, mais comme disent les plus jeunes qui restent eux aussi de plus en plus longtemps chez leurs parents, payez nous mieux, on ne peut même pas se loger décemment, alors avoir des enfants…
Intéressant et sans doute un peu claustrophobique !