Replay · Ken Grimwood

par Electra
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13 octobre 1988 – 18h06 Jeff Winston est à son travail en pleine conversation téléphonique avec son épouse quand il meurt subitement d’une crise cardiaque à l’âge de 43 ans.

Il se réveille alors dans sa chambre universitaire, en 1963, à côté de son ami, décédé depuis longtemps… Jeff vient de faire un saut de 25 ans dans le temps. Il se retrouve ainsi à l’âge de 18 ans prêt à recommencer sa vie. Mais l’homme possède une longueur d’avance sur ses congénères : il se souvient de tout, de l’avenir, des résultats des courses hippiques, des matches de base-ball ou de football et même des grands évènements politiques, sociologiques ou technologiques qui vont venir impacter la planète. Comment va-t-il réagir ? Jeff décide d’exploiter ses connaissances secrètes pour s’enrichir et cela marche très bien. Après quelques paris juteux, le jeune homme n’a plus besoin d’étudier. Il quitte l’université, sa petite amie de l’époque et mène une vie de milliardaire patachon … Il fait le tour du monde, mais très vite la solitude le rattrape. Il pense à son ancienne compagne, à sa famille. Ce que Jeff ignore c’est que le destin lui a réservé un drôle de sort alors que l’homme fête de nouveau ses 43 ans, la crise cardiaque le terrasse à nouveau le même jour fatidique.

De retour dans sa chambre universitaire, Jeff a compris qu’il revivait à nouveau sa vie mais qu’il allait mourir à 43 ans. Une nouvelle chance lui ait donnée :  il décide d’accomplir plus de choses, de se marier et d’avoir des enfants, de prendre soin de sa santé et se fait même hospitaliser la semaine où le jour J arrive, mais rien n’y fait. La boucle temporelle continue et Jeff est de nouveau renvoyé dans le passé, brisé .. ses enfants n’existent plus et quel sens prend sa vie ?

J’ai évidemment pensé au fameux Jour de la Marmotte, ce film très amusant et attachant des années 80 où le héros, interprété par Bill Murray, revivait ainsi la même journée pendant des mois et des mois. Et l’homme passait par les mêmes émotions : joie, stress, dépression, solitude, rage, etc. Car que faire lorsque les gens que vous aimez ne vous reconnaissent plus ? Que vos souvenirs sont à vous seuls et ne peuvent plus être partagés avec d’autres ? Que vous êtes condamné à revivre la même époque mais où plus personne ne vous reconnaît ?

J’avoue de suite : j’ai été totalement happée par ce chef d’œuvre ! Ici, c’est 25 longues années qui attendent à chaque fois Jeff Winston. Le personnage réagit comme une personne normale : il profite de ses connaissances pour parier et s’enrichir. Il voyage à travers le monde et réalise tous le fantasmes du commun des mortels. Face à cet uniquement tour du destin, il pense pouvoir changer celui de toute une nation. Ainsi se décide-t-il un jour à agir pour empêcher l’assassinat de Kennedy mais les choses ne tournent évidemment pas comme prévues …

Cette dimension métaphysique et spirituelle est très bien exploitée par l’auteur. Si Jeff ne croit ni en Dieu, ni aux extraterrestres, ni à une « mission » qui lui serait confiée, il va un jour être questionné à ce sujet : pourquoi lui ? Doit-il agir en conséquence ? Est-il le seul à être pris dans ce phénomène de boucle temporelle ??

Je lis dorénavant très peu de SF mais je sais que le thème de la boucle temporelle est depuis longtemps exploité (en fiction, au cinéma  et à la télévision), ce qui rend cette lecture passionnante c’est le choix de l’auteur d’étendre cette boucle à 25 années  et à ces années-là : des années 60 aux années 80 où tant de bouleversements ont eu lieu, d’avancées technologiques (très vite il achète des actions Apple, Microsoft..), et c’est fascinant de revivre avec le héros cette époque charnière de notre civilisation.

Quel est le sens de notre vie ? Le passé, le présent et le futur – comment l’homme doit-il appréhender sa vie ? Ici, on découvre vite, à travers la vie de Jeff mais aussi de ceux qui vont partager sa vie, que le bonheur n’est pas dans une vie égocentrique, ni dans une vie où l’individu, se sentant soudainement puissant, veut faire le travail « de Dieu » …

Il est difficile de ne pas gâcher votre future lecture, mais sachez que ce phénomène de boucle temporelle va à chaque replay modifier le passé (j’adore le soin apporté à chaque détail par le romancier) et surtout diminuer en temps ….. Un autre phénomène se joue, un twist du destin qui va en crescendo jusqu’à la fin du roman, qui m’a tenu, totalement en haleine !

Je l’ai lu le matin, le midi, dans les transports, le soir … J’ai dévoré ce roman passionnant, foisonnant mais tout restant très agréable à lire par sa fluidité et sa simplicité.  En moins de cinq cent pages, l’auteur m’a surpris en réussissant à délivrer une telle densité d’informations mais n’ayez crainte, tout se lit très vite. Le style, la construction du roman et le rythme, tout est habilement maitrisé. Impressionnant.

Et si j’ai tant aimé cette lecture, c’est que tout lecteur peut s’identifier à Jeff Winston, l’homme est faillible et va apprendre à chaque replay un peu plus sur lui-même, sur ses besoins, ses attentes et sur sa conception même du bonheur. Qu’attend-il de cette vie ? Il passe par des phase d’euphorie, puis des phases de dépression. Il crée une famille puis choisit une vie d’ermite…. Le talent de Ken Grimwood réside à ne pas laisser le héros, ni le lecteur dans cet espace-temps où rien ne bouge plus et au deux-tiers du roman, tout s’accélère. Les personnages se révèlent à nous – car ces replays ne sont autres qu’un cheminement personnel, une introspection qui vont permettre à l’homme de se libérer et la fin est exceptionnellement poignante.

Une œuvre magnifique, empreinte d’amour et de mélancolie qui vous réconcilie avec la vie, avec le temps qui passe. Et un roman qui s’adresse à tous, même à ceux dont la science-fiction ne parle pas du tout.

♥♥♥♥♥

Ken Grimwood, Seuil, Points, trad.Guy et Françoise Caseril, 432 pages

Photo by Benno Klandt on Unsplash

Et pourquoi pas

17 commentaires

Marie-Claude 23 mars 2016 - 3 h 07 min

J’ai lu ce roman lorsqu’il est paru en français il y a… bientôt vingt ans? Après avoir lu ta chronique, de toute évidence, j’étais trop jeune (immature?) pour l’apprécier à sa juste valeur. Je me mets en quête! Il faut que je le relise avec mes yeux matures!
Par ailleurs, il y a cette idée de boucle temporel que j’ai trouvé très bien exploitée dans le « 22/11/63 » de Stephen King.

Electra 23 mars 2016 - 8 h 04 min

Ah merci, moi je lisais beaucoup Stephen King, ado puis j’ai arrêté et là tu me donnes envie de reprendre ! Oui, je crois que l’âge du héros étant proche du nôtre, on peut plus facilement s’y identifier !

Hélène 23 mars 2016 - 8 h 19 min

Lu aussi mais je me souviens d’avoir trouvé cela un peu longuet… Il faut dire quand même que je ne suis pas fan de la science fiction/anticipation/fantasy et tutti quanti !

Electra 23 mars 2016 - 8 h 58 min

Moi non plus Ça fait des années que je n’en lis plus mais là j’ai été happée ! Comme je le suis dans ma lecture du moment

keisha 23 mars 2016 - 9 h 11 min

Ah ton avis me fait plaisir, j’ai un excellent souvenir de cette lecture (lointaine, rien dans le blog) Je relirais bien, tiens!

Electra 23 mars 2016 - 10 h 56 min

Ah super ! Ce livre est une pépite et une très bonne leçon de vie

Jerome 23 mars 2016 - 12 h 06 min

Je ne sis tellement pas branché SF que malgré ton enthousiasme j’ai envie de passer mon tour.

Electra 23 mars 2016 - 20 h 54 min

oh c’est dommage ! Ici on est loin de la « SF » (aliens, robots, futur menaçant) ici ce sont plus des interrogations sur soi-même, nos regrets, nos remords et au fond ce que l’on recherche vraiment ….

quaidesproses 23 mars 2016 - 13 h 10 min

Décidément, je ne sais pas ce qu’il se passe en ce moment, mais toutes tes lectures me font envie ! Celui-ci plus particulièrement. Il y a un jenesaisquoi qui me plait, peut-être le côté « Leçon de vie », tu me connais, j’aime bien ça. Puis, j’aime la SF.

Electra 23 mars 2016 - 20 h 56 min

Ah désolée de te donner tant envie, mais je crois honnêtement que oui ce livre t’irait très bien ! et tu le résumes aussi parfaitement « leçon de vie », ou comment un homme apprend , après de nombreux échecs ou tentatives, ce qu’il désire au plus profond de soi et le dénouement est merveilleux ! Il est en Poche à 7-8 euros.

Gabriel 23 mars 2016 - 13 h 34 min

Moi c’est comme Marie-Claude, j’ai lu ce roman quand j’étais ado et peut-être trop jeune. Je ne me rappelle pas de grand chose… J’avais aimé, il me semble, mais je pense que je pourrais le relire. J’aurais presque l’impression de le lire pour la première fois tellement il ne m’a pas laissé beaucoup de souvenirs.

Electra 23 mars 2016 - 20 h 57 min

Je pense qu’effectivement si on lit ce roman à quinze ans, on ne comprend pas très bien puisqu’il s’agit ici de l’histoire d’un amour qui se retourne sur son passé, il est encore jeune mais avec un peu de baggages ..

Eva 23 mars 2016 - 13 h 38 min

J’aime beaucoup ce concept, je note donc ce livre 🙂
tiens, tu avais vu le film avec Bill Murray au Québec? car en France, il me semble qu’il s’appelle Un Jour Sans Fin?

Electra 23 mars 2016 - 20 h 58 min

Merci !
Non tu as raison, il s’appelle Un jour sans fin, mais je l’ai vu en anglais à la maison quand j’étais ado et je crois que ma soeur a grandi aussi avec la version originale. Du coup, je zappe tout le temps le titre français. N’empêche que rien que d’en parler, ça me donne envie de le revoir !

Nelfe 24 mars 2016 - 0 h 23 min

J’ai moi aussi beaucoup apprécié cette lecture. Je me rappelle l’avoir lu dans l’avion lors de notre dernier voyage en Thaïlande.
J’ai aussi pensé au « Jour sans fin » 😉

Electra 24 mars 2016 - 10 h 23 min

Oui difficile de ne pas y penser et de se poser la question, sur ce qu’on referait à l’identique ou pas … Un très bon moment de lecture 🙂

céline 26 mars 2016 - 11 h 38 min

Lu il y a plusieurs années mais avec beaucoup de plaisir !

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