Toute passion abolie • Vita Sackville-West

par Electra
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Le jour même de la mort de son mari Henry Holland, Lord Slane, ancien Vice-président des Indes, Lady Slane décide de vivre enfin sa vie. Elle a quatre-vingt-huit ans et surprend alors son entourage en se retirant à Hampstead. Dans sa nouvelle demeure, toute passion abolie par l’âge et le choix du détachement, lady Slane se sent libre enfin de se souvenir et de rêver…

Vita Sackville-West est une romancière que j’avais eu envie de découvrir à travers les billets de Keisha. Lady Slane a consacré sa vie à son époux, Henry et à ses 7 enfants. Celle-ci a mené une vie de luxe à une époque charnière, la fin du 19ème Siècle où l’Inde était encore une colonie britannique. C’est à travers les souvenirs de Genoux, sa fidèle servante que le lecteur saisit mieux cette vie privilégiée et oisive. Devenue veuve, ses enfants, eux-même sexagénaires souhaitent décider de son avenir mais la vieille femme choisit de quitter la demeure fastueuse pour une petite maison aperçue il y a trente ans et toujours disponible à la location, malgré son délabrement et les travaux imposants. Lady Slane s’y installe avec Genoux et choisit de s’isoler de ses enfants qu’elle trouve envahissants.

Dans ce monde où tout se joue sur les apparences, le titre et l’argent, la romancière anglaise propose une vision différente : celle d’une jeune femme de 18 ans, peintre amateur, qui en acceptant (sans jamais prononcer un « oui ») d’épouser le comte Henry Holland voit tout ses rêves de jeune fille annihilés. A cette époque, on ne parlait même pas de « condition féminine ». C’est cette partie centrale du roman qui vaut pour moi son pesant d’or et justifie les 2 petits ♥. Lady Slane revisite son passé et ses réflexions sur ses choix de vie nous apportent ici une vision plus claire de cette époque où la femme n’était que « L’épouse de… » et dont les aspirations disparaissent dès que la bague de fiançailles était glissée au doigt. Lady Slane n’a rien d’une féministe, elle a accepté ce rôle d’épouse et de mère et l’a joué avec talent le temps de son mariage, mais enfin libérée, elle peut enfin aspirer à réaliser une partie de ses propres rêves.

Car elle souffrait de ne jamais eu avoir la possibilité d’exprimer ses envies, comme celui de continuer à peindre, « un loisir« , selon son fiancé, auquel elle n’aurait plus le temps de s’y consacrer compte tenu de ses nombreuses obligations de Lady…. La romancière dénonce ici cette domination masculine où comme le frère de Lady Slane, l’homme revenait chez ses parents à 32 ans, après avoir parcouru le monde, fréquenté maintes jeunes femmes, passait ses soirées dans des clubs privés, jouissait d’une liberté totale et par son statut d’une oisiveté qui lui paraissent intolérables. Ces réflexions sont passionnantes.

La romancière possède également une grande maîtrise de l’écriture, un style fluide et j’avoue qu’en lisant ces mots, j’ai ressenti comme un charme désuet et rétro .. On ne s’exprime plus ainsi ! Mais malgré ce côté charmant, cette tendresse, je suis restée sur ma faim. Je n’ai malheureusement pas ressenti d’empathie particulière ou d’atomes crochus avec les personnages. Le style classique et le choix narratif où Lady Slane, personnage agréable mais au final très conventionnel et bourgeois, se remémore ses souvenirs et se laisse porter par ses rêves m’ont paru quelque peu ennuyeux. Ses enfants sont particulièrement irritants et les rares amis qu’elle fréquente dont M.Fitzgeorge, ami de son fils Kay et surtout amoureux transi de Lady Slane depuis leur rencontre il y a quarante ans aux Indes, ne sont pas plus passionnants.

Un style parfois « trop ampoulé » ou dirons-nous pas assez actuel, des personnages au final trop lisses, ont fait de cette lecture un moment agréable mais j’avoue avoir mis du temps à le lire, ne me précipitant pas sur l’ouvrage comme j’ai l’habitude avec des coups de cœur. J’ai eu l’impression d’avoir été en compagnie de cette vieille dame, invitée chez elle pour le thé, à l’écouter avec plaisir divaguer sur sa vie d’avant, nostalgique de cette période et en même consciente de sa condition.  Jolie parenthèse mais sans plus.

Éditions Autrement, trad. Micha Venaille, 157 pages

♥♥♥

Photo by Vadim Sherbakov on Unsplash

Et pourquoi pas

10 commentaires

jerome 26 octobre 2015 - 8 h 27 min

Je sais d’avance que ce n’est pas du tout genre. Et comme tu manques clairement d’enthousiasme en plus…

Electra 26 octobre 2015 - 11 h 01 min

Oui, je pense que tu te serais ennuyé ! Disons que la partie « féministe » du livre est intéressante mais la vie d’un aristocrate anglais, beaucoup moins !

Mior 26 octobre 2015 - 9 h 02 min

…il me semble que tu es passée à côté du second degré et de l’humour que Vita applique à ces ( ses) personnages …rencontre ratée, ce sont des choses qui arrivent 😉 …je me souviens pour ma part avoir gloussé de plaisir et d’amusement à de nombreuses reprises durant cette courte lecture, que j’avais trouvée délicieuse…

Electra 26 octobre 2015 - 11 h 03 min

Oui et j’en suis désolée ! Je l’ai lu en français, aurais-je du lire l’original ? Car j’adore quand c’est croquant et là, même s’il est évident que les enfants de l’héroïne sont ennuyeux ou vaniteux au possible, je n’ai pas « souri » beaucoup. Je ne dis pas qu’un jour, je ne retenterai pas ma chance ! 🙂

keisha 26 octobre 2015 - 9 h 14 min

keisha? Mes billets? Je n’ai jamais lu cet auteur, tu sais!!! ^_^ Ma bibli ne possède rien. Mais cela ne m’attire pas trop trop (ah mais oui, c’est une copine de Woolf! voilà tout ce que j’en sais. et puis les jardins. et puis Orlando, c’est ça?))

Electra 26 octobre 2015 - 10 h 59 min

ah bon ? mince qui a lu Vita ? Je crois qu’il s’agit de Mior !
Bref, j’ai tendance à te citer, tu lis tellement aussi 😉

quaidesproses 26 octobre 2015 - 16 h 47 min

Le résumé pourrait me tenter… mais, ton manque d’enthousiasme me freine un peu – c’est normal. Pourtant, je suis adepte de ces moments ; l’impression de prendre le thé et écouter les gens me parler, me raconter leur histoire. Un peu comme avec Jean d’Ormesson, même si là, je suis « amoureuse » de sa manière d’écrire. (rien de trop ampoulé – j’adore cette « expression », je ne la connaissais pas.)

Electra 26 octobre 2015 - 16 h 55 min

Alors je crois que ça te plairait – moi j’aime bien les mamies (j’interrogeais toujours la mienne sur son enfance, etc.) mais je n’ai pas pris autant de plaisir que je l’aurais souhaité, mais pour toi – j’aime bien le fait qu’elle chamboule tout à la fin de sa vie et quand sa petite-fille refuse un destin tout tracé et puis quand elle parle de la condition féminine, bref il y a du bon donc et Mior a aimé, à toi de voir ! Et c’est un roman qui se lit vite.

gambadou 26 octobre 2015 - 20 h 20 min

Dommage, j’aime ces livres au charme un peu suranné et le choix de cette vieille dame aurait pu m’intéresser

Electra 26 octobre 2015 - 22 h 18 min

alors fonce ! Mior a aimé – Moi je suis « passée à côté » 😉

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