Just kids • Patti Smith

par Electra
4,4K vues

Parfois, il est bon d’en connaître peu sur un artiste pour découvrir sa vie. Patti Smith a promis, lors de sa dernière conversation avec Robert Mapplethorpe, alors qu’il se mourait, qu’un jour, elle écrirait sa vie. Patti a tenu parole. Il lui aura fallu onze ans pour tenir sa promesse. Patti a tout juste 19 ans lorsqu’elle débarque à New York à l’été 1967, sans un sou en poche. La jeune femme a quitté son ancienne vie, ouvrière dans une usine pour réaliser son rêve : devenir artiste. Patti s’exprime à travers le dessin et la poésie. Elle vénère Rimbaud et Bob Dylan. Mais les début sont difficiles, Patti se retrouve rapidement à la rue, l’estomac vide.

Le destin ne l’a pas oublié – ainsi Patti, après des semaines à dormir partout et nulle part, finit par décrocher une adresse mais l’ami en question n’est pas là. C’est un jeune homme, en tee-shirt blanc, aux cheveux bruns bouclés et aux yeux émeraudes qui lui sert de guide. Patti l’oublie et accepte quelque temps après d’aller diner avec un auteur de science-fiction horrible, c’est alors que son ange gardien réapparait, il la sauve en prétendant être son prince charmant. Il s’appelle Bob mais elle préfère Robert et comme elle, il est artiste .. et à la rue. Ils ne se quitteront plus pendant presque onze ans. Ce coup de foudre est double : amoureux et artistique. Elle est sa muse, il est son prince. Leurs âmes sont siamoises. Ils s’inspirent et partagent absolument tout.

Patti livre ici ces premières années dans une ville où tous les artistes en herbe semblent converger – New York les attend. Patti dessine mais surtout écrit, des poèmes – Robert dessine, peint, photographie, un touche à tout. Ce sont des années de vaches maigres qui les attendent. Pour survivre, ils passent d’un hôtel minable à un autre, ne comptant que sur la générosité de bienfaiteurs – fort heureusement New York en regorge. Ils habiteront longtemps au célèbre Chelsea Motel – où tous les artistes, compositeurs, musiciens, plasticiens, dessinateurs, écrivains et acteurs se croisent et se soutiennent. Robert rêve de reconnaissance et de gloire. Il vénère Warhol qu’il tentera d’approcher toute sa vie. Il touche à toutes les drogues, pas à l’alcool. Patti apprécie le vin mais ne touche pas aux drogues. Ils partagent de minuscules logements où leurs créations s’entassent partout, sur les murs, le sol, le plafond. Robert se passionne pour la photographie mais ils comptent chaque dollar. Robert va alors faire le gigolo, pratique assez répandue à l’époque. Il découvre alors sa latente homosexualité. Même s’ils sont toujours ensemble, Patti le voit peu à peu s’éloigner. Elle-même continue de se découvrir – elle participe intensément à des sessions de poésie, fréquente Allen Ginsberg, Burrough et rêve de Rimbaud – mais les fréquentations de Robert la ramènent sans cesse vers la musique. Patti croise alors Janis Joplin, elle lui écrit un poème et lui lit. A la même époque, elle croise Jimi Hendrix – timide, elle n’ose entrer au fameux studio 54, c’est Jimi qui vient lui tenir compagnie. Trop jeune pour comprendre que ces personnes sont des « géants » elle ne cherche pas à faire leur connaissance et le destin ne lui en laisse pas le temps. Tous seront fauchés l’année qui suit. Elle regrette ainsi d’avoir ignoré les Doors et Jim Morrison, un poète comme elle.

Un livre que je n’ai pas lâché d’une seconde – Patti Smith est une poétesse et une superbe conteuse. Le lecteur est projeté dans la mégalopole new-yorkaise et lorsque Patti raconte son époque, on aimerait pouvoir voyager dans le temps et assister à ses soirées dans les bars devenus mythiques, écouter Patti déclamer de la poésie, passer d’une chambre d’hôtel à l’autre au Chelsea. Une ville immense mais un village lorsqu’il s’agit d’artistes. Patti a toujours été punk, jamais attirée par le glamour – c’est Robert qui vénère Andy Warhol (et ne le rencontrera jamais) qui lui fait rencontrer toutes ces célébrités – Patti ne s’y sent jamais à sa place. La liste est impressionnante. Mais Patti s’en fout. Robert lui a toujours dit qu’elle serait chanteuse et deviendrait célèbre. Il sera là pour y assister lorsqu’elle sort Because the night (une de mes chansons préférées, car coécrite avec Bruce Springsteen et je suis fan du Boss).

One late afternoon, we were walking down Eight Street when we heard « Because the night » blasting from one storefront after another. (…) Robert was our first listener after we had recorded the song. I had a reason for that. It was what he always wanted for me. (…) Robert was smiling and walking in rhythm with the song. He took out a cigarette and lit it. We had been through a lot since he first rescued me from the science-fiction writer and shared an egg cream on a stoop near Tompkins Square. Robert was unabashedly proud of my success. What he wanted for himself, he wanted for us both. He exhaled a perfect stream of smoke, and spoke in a tone he only used with me – a bemused scolding – admiration without envy, our brother-sister language.
« Patti », he drawled, « you got famous before me ».

Patti ne cesse de répéter qu’elle écrit ici la vie d’un artiste extraordinaire : Robert Mapplethorpe – elle semble parfois s’effacer de l’équation. Leur liaison amoureuse cesse mais leur aventure artistique se poursuit. C’est lui qui la photographie pour la plupart de ses albums. Ils vivent ensemble mais ont des amants. Patti rencontre un beau gosse, batteur dans un groupe underground, il se fait appeler Slim Shadow. Tous deux parlent textes. Patti aime profondément les mots – elle cite tous les poètes, français, russes – une passionnée. Elle s’installe avec lui, un matelas et une machine à écrire comme seul ameublement. Puis un soir, alors qu’elle dine avec lui, une amie la surprend et lui annonce que ce Slim n’est autre que le dramaturge Sam Shepard, déjà couronné de succès pour ses pièces de théâtre. Patti ne semble pas réaliser que c’est elle la véritable étoile qui attire les gens et même si Robert dégage un magnétisme qui attire les hommes et les femmes, c’est plus souvent pour son physique que son talent. Elle deviendra célèbre avant lui.

Patti livre ici une sublime histoire d’amour mais elle montre aussi pour moi une autre facette de l’artiste : celle d’une femme qui touchera peu aux drogues, alors qu’à l’époque, son amant et ses amis y plongent totalement, qui continuera de travailler longtemps (en librairie, toujours l’amour des mots) pour payer le loyer. Une femme qui aime l’art et les mots par-dessus tout mais qui garde profondément les pieds sur terre.  Elle le dit sans le dire : Patti a grandi dans une famille aimante, elle voyage d’ailleurs à deux reprises en France avec une de ses sœurs cadette. Elle y retourne pour aller à Charleville, musée et tombeau de Rimbaud. Une passionnée. Sa famille la soutient et approuve son choix de vie. Robert vit l’inverse, des parents catholiques strictes, peu démonstratifs. Robert cherche sans cesse l’amour et la reconnaissance dans son art. Patti est une artiste pleinement accomplie mais qui vit sa vie d’artiste différemment. Oui, Patti Smith est « la première femme punk » (je le confirme, ses concerts continuent de m’épater, la soixantaine bien tassée) mais à part ses années de vaches maigres, Patti est restée terriblement sage. Elle raconte ses rares « trips » (qui ne le font pas vraiment décoller) et préfère aller vivre à Détroit avec Fred Sonic Smith, l’épouser et lui faire deux enfants.

Mais Patti reste toujours la muse de Robert, même éloignés, ils sont inséparables alors quand ce foutu SIDA apparait, Patti rentre à New York.

There are many stories I could yet write about Robert, about us. But this is the story I have told. It is the one he wished me to tell and I have kept my promise. We were as Hansel and Gretel and we ventured out into the black forest of the world. There were temptations and witches and demons we never dreamed of and there was splendor we only partially imagined. No one could speak for these two young people nor tell with any truth of their days and nights together.

Une histoire d’amour, d’amitié – une histoire de l’art, ou Ginsberg et Burrough sont des amis, ou Jimi drague et Janis pleure un petit ami parti avec une plus jolie fille, un histoire où deux gosses, Just kids, s’aiment d’amour et d’art. Superbe. Intense. Magnifique. J’ai refermé ce livre envoutée.

 

♥♥♥♥♥

Just kids, Patti Smith, éditions Bloomsbury, 320 pages

Et pourquoi pas

21 commentaires

Marie-Claude 3 novembre 2015 - 1 h 50 min

Wow! Quelle vie! Je me rends compte que même si j’apprécie beaucoup la musique de Patti, j’en sais bien peu sur elle. Ton fabuleux billet me fait réaliser mon ignorance!
Je suis très peu portée sur les biographie, mais là, j’espère que celle-ci sera traduite. Fascinant destin…

Electre 3 novembre 2015 - 7 h 12 min

Elle l’est et disponible en Poche ! Son nouveau livre est sorti en anglais (M Train) et je vais l’acheter !
Tu as regardé ? Il doit être disponible par chez toi. Tu aimerais beaucoup ! J’ai adoré.

keisha 3 novembre 2015 - 8 h 16 min

Hum, ton billet est passionnant, mais je doute d’accrocher (je ne connais pas vraiment ces gens là, tu sais)(la première fois que j’ai lu le nom de J Hendrix, c’était pour ‘J H est mort’)(les Doors, si, j’ai écouté, quand même)

Electra 3 novembre 2015 - 9 h 33 min

Tu me fais sourire ! Oui, je comprends mais il n’en reste une histoire passionnante sur la ville de New York – artistiquement parlant et une très belle histoire d’amour et l’émancipation féminine. Je ne suis pas fan d’Hendrix. Les Doors oui. Disons qu’avec elle, tu vas backstage et si tu aimes ce qui entoure le processus créatif. Mais bon, je m’égare ! j’ai tellement aimé !!

Kathel 3 novembre 2015 - 9 h 41 min

Je l’avais noté à sa sortie, merci du rappel, ton billet me redonne envie de le lire ! (et il est à la bibliothèque !)

Electra 3 novembre 2015 - 9 h 44 min

Oui, il date maintenait et je l’ai aussi trouvé à la bibli !
Quelle chance tu as, c’est une conteuse – c’est super agréable à lire tout en étant passionnant.

quaidesproses 3 novembre 2015 - 10 h 12 min

Holala, quelle superbe chronique. Dire qu’il est dans ma WL depuis x temps, ta chronique me convainc de le sortir le plus vite possible! Je vais essayer de me le procurer cet aprem’, d’ailleurs. Tout, mais tout ce que tu en dis, me plait. D’avance, je suis certaine d’adorer !

Electra 3 novembre 2015 - 14 h 45 min

Merci !
Oh tu vas faire des achats ? Bon moi j’ai aussi craqué ce midi.. ça sera pour un prochain billet !
Sinon, tu peux le trouver en poche en français sinon comme ça en anglais, mais je sais que tu vas beaucoup aimer !

quaidesproses 3 novembre 2015 - 15 h 15 min

Oui, j’ai quelques achats à faire (un concours se prépare pour l’anniversaire du blog, histoire de marquer le coup) donc, je vais essayer de le trouver en même temps 🙂
Oh, tu as craqué? Article prévu? Ou non?
Des bisous.

Electra 3 novembre 2015 - 15 h 49 min

Ah oui ?? un concours ! Oh super !!!! J’aimerais bien venir avec toi !
Oui craqué … la bourse aux livres de mon bureau ! Je ne pouvais même pas porter le sac (tendinite oblige), mes anciens collègues m’ont donc accompagnée ! Je suis officiellement « la folle aux livres » (mais bon certaines en ont acheté plus que moi, hein!)
9 nouveaux bébés ! Je vais les ramener chez moi petit à petit car je ne prends pas ma voiture pour venir au boulot.

quaidesproses 3 novembre 2015 - 16 h 48 min

Oui, un concours 🙂 J’aurais adoré que tu m’aides, vois-tu 🙂
9??? ah oui, gros craquage !!! J’ai hâte de suivre ça. Et beh, je croyais que cette vilaine tendinite était passée :/ elle s’obstine !
En tout cas, tu as des (anciens) collègues au top !

Electra 3 novembre 2015 - 16 h 58 min

Oui ! J’ai eu un peu la honte ! Mais des livres brochés donc genre 5 kg ! dont une de
1 000 pages je crois !
Et oui je t’aurais accompagnée avec plaisir 🙂

Jerome 3 novembre 2015 - 14 h 07 min

Un gros coup de cœur pour moi aussi, je comprends parfaitement ton ressenti.

Electra 3 novembre 2015 - 14 h 44 min

Ah super ! Oui, elle écrit avec une telle facilité – c’est une poétesse mais elle sait aussi s’adapter à ses lecteurs et puis quelle vie 😉

Eva 5 novembre 2015 - 14 h 47 min

j’ai lu ce livre à sa sortie, et j’avais adoré! La vie passionnante d’une amoureuse des mots, contée avec beaucoup d’intelligence et de modestie

Electra 5 novembre 2015 - 17 h 33 min

Oui exactement ! Je vais me procurer son dernier livre, même si c’est plus un recueil de pensées. Mais je l’ai trouvé tellement bien écrit et avec beaucoup de recul.

Les fêtes arrivent… | Quai des proses 9 décembre 2015 - 16 h 14 min

[…] vers le ciel ; Yann Moix (toujours) Les Rimbaldolâtres ; Jean-Michel Djian Just Kids ; Patti Smith (merci Electra) Sacré Bleu ; Christopher Moore (merci Electra encore) Je suis un dragon ; Martin […]

Le Paris des Poètes Maudits & Tag ! | Quai des proses 20 décembre 2015 - 14 h 11 min

[…] Christmas Carol : Cite un livre que tu as relu, un livre que tu lis actuellement, et un livre que tu as l’intention de lire en 2016. J’ai relu : Les Clameurs de la Ronde – Arthur Yasmine – c’est toujours plus simple de relire de la Poésie.  Je lis :  Papa, tu es fou  – William Saroyan Je compte lire : Just Kids ; Patti Smith […]

Fanny / Pages Versicolores 24 juin 2016 - 15 h 09 min

J’adore Patti Smith mais je connais peu sa vie de femme. Elle m’intrigue. Merci pour ce beau billet.

Electra 24 juin 2016 - 15 h 52 min

De rien ! c’est une merveilleuse personne et conteuse. je l’adore ! ce portrait de femmes devrait te plaire ! elle est douce mais d’une liberté et d’une assurance, ça fait du bien pour l’image de la femme !

Les fêtes arrivent… – Quai des proses 2 avril 2017 - 20 h 13 min

[…] vers le ciel ; Yann Moix (toujours) Les Rimbaldolâtres ; Jean-Michel Djian Just Kids ; Patti Smith (merci Electra) Sacré Bleu ; Christopher Moore (merci Electra encore) Je suis un dragon ; Martin […]

Les commentaires sont fermés