Saga maorie (Haka – Utu) • Caryl Ferey

par Electra
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J’avais déjà eu un aperçu de l’œuvre de Caryl Férey après avoir vu et adoré l’adaptation cinématographique de son roman Zulu dont l’action se situait en Afrique du Sud. J’ai profité de la pause hivernale pour me lancer dans la lecture de deux romans consacrés cette fois-ci à la Nouvelle-Zélande et en particulier aux Maoris, Haka et Utu réunis sous un même volume. Un chapitre inédit a été rédigé pour introduire l’histoire.

Il y a 25 ans, Jack Fitzgerald, Maori, s’est engagé dans la police néo-zélandaise avec l’espoir de retrouver sa femme et sa fille, mystérieusement disparues lors d’un voyage familial. Aujourd’hui capitaine de la police d’Auckland, Jack continue, à travers les affaires du quotidien de chercher un lien avec leur disparition et croit toujours à la possibilité de les retrouver. Mais sa quête personnelle est mise de côté lorsque le corps mutilé d’une jeune femme est retrouvé sur une plage. Il s’agit en fait du premier d’une longue série effroyable de cadavres. Secondé par une jeune et brillante criminologiste, Ann Waitura, Fitzgerald s’embarque sans le savoir dans une enquête qui va le mener tout droit à l’enfer, à une guerre (Haka)…

Exilé en Australie après une terrible engueulade avec son ami Fitzgerald, le policier Paul Osborne rentre dès qu’on lui apprend la nouvelle : le chef de la police d’Auckland aurait abattu un chaman maori soupçonné de meurtres atroces, avant de se donner la mort. Or, non seulement le cadavre du chaman n’a jamais été retrouvé, mais la mort de son ami reste inexpliquée. Spécialiste de la question maorie, l’ancien bras droit de Fitzgerald est chargé de remonter la piste. Dans un climat social et politique explosif, épaulé par une jeune légiste fraîchement débarquée en Nouvelle-Zélande, Osborne devra affronter le spectre de Hana, son amour d’enfance, mais surtout le utu des ancêtres du « pays aux longs nuages blancs ». (Utu signifie vengeance).

Caryl Férey signe ici une fresque épique, puissante et d’une violence que je n’avais pas croisé depuis longtemps. La tension de chaque histoire ne cesse d’augmenter jusqu’au chaos final, dont, il vrai, pas grand monde ne réchappe. Férey voit la vie en noire et vous ôte tout optimisme mal placé. L’éditeur le précise ainsi « chaque page est une déflagration ». Ses histoires sont sombres, très sombres, ici pas de place pour la complaisance ou la compassion, les hommes s’entretuent, violent, se droguent et agissent uniquement par appât ou par vengeance.

Comme dans Zulu, Férey s’intéresse vivement à la question des minorités et ici de la culture Maori. Un néophyte en la matière ressortira de sa lecture avec de nombreuses références et informations pertinentes sur ce peuple encore méconnu, si ce n’est pour le fameux Haka, interprété par l’équipe de rugby, championne du monde, les All Blacks.

Comme les rugbymen dressés tout en noir, Férey plonge ses personnages dans la mort ou le deuil. Il dresse un portrait sans complaisance de ce petit pays au bout du monde. Les Maoris ont perdu leur terre en signant un « protocole » avec la couronne britannique et depuis leur culture et leur mode de vie ont presque été enterrés. Férey dresse un portrait lugubre de ce peuple autrefois conquérant, valeureux et fier. La plupart des hommes quittent l’école très vite et subsistent en participant à des trafics de toute sorte. La violence fait partie de leur mode de vie. L’alcool, la drogue, tout y passe.

Les deux personnages principaux, Fitzgerald et Osborne, sont poursuivis par des fantômes et sont incapables d’avancer dans la vie. Leur métier de policier n’est qu’une façade pour qu’ils puissent mener à bien leur vengeance, chacun de sa manière. Ils se fichent de la loi, désobéissent à leurs supérieurs, mènent des opérations secrètes qui seront souvent fatales à leurs coéquipiers. Car ces hommes-là portent la mort en eux, et ne cessent de la répandre autour d’eux.

Les deux volumes sont de très bons page-turner, le romancier maitrise le rythme, le suspens et même si la violence est presque à chaque page (et finit par vous laisser un goût amer dans la bouche), il est impossible de ne pas vouloir lire la suite. Même si à la fin du premier volume, vous finissez sur les rotules. Le second est cependant comme une sorte de bouffée d’air pendant les premiers deux-tiers, Osborne chasse un fantôme qui va l’entrainer dans les entrailles de la terre mais avec lui, vous apprendrez énormément sur les us et coutumes des Maoris (il parle leur langue). Mais pour la lueur d’espoir, à laquelle j’avoue je me suis tenue fébrilement à chaque fois, passez votre chemin. Un roman policier noir, noir comme du charbon. Et une fin explosive !

Je me suis surprise à lui en vouloir d’être aussi violent, pessimiste et si dans Zulu, les scènes violentes paraissaient tout de moins réalistes (l’Afrique du Sud est un des pays les plus violents au monde), j’ignorais qu’il pouvait aller encore plus loin. Un bémol ? J’avoue avoir noté quelques tournures de phrase un peu saugrenues et ayant lu les deux romans d’affilée, j’ai noté certaines redondances (un héros masculin avec une jeune femme à ses côtés, flic ou scientifique) et quelques scènes presque semblables qui ont freiné mon élan. Enfin, une scène m’a particulièrement surprise car je l’ai trouvé vraiment improbable, mais dans l’ensemble, j’ai été accrochée par l’histoire et j’ai dévoré ce pavé de plus de 800 pages.

Petit message aux âmes sensibles : ce livre n’est pas à mettre entre toutes les mains. J’ai lu ci-et-là que des lecteurs avaient abandonné en cours de lecture, jugeant les histoires beaucoup trop violentes. Les amateurs de roman noir y trouveront leurs comptes.

Aparté (cf.photo) : en 2010, le gouvernement français a accepté de rendre à la Nouvelle-Zélande 16 têtes de guerriers Maori, des mokomokais qui étaient détenues depuis longtemps par des Musées dont le muséum d’histoire naturelle de ma ville.

♥♥♥

 Caryl Férey, Éditions Folio Policier, 832 pages

 

Et pourquoi pas

17 commentaires

Marie-Claude 11 janvier 2016 - 0 h 36 min

Ouch… 832 pages. Mais je le veux! Parce que les Maoris m’intéressent beaucoup et parce que je garde un excellent souvenir de la lecture de « Zulu », il y a quelques années.
Après « Lonesome Dove », je suis plongée dans « City of Fire » (950 pages). Aussi, je vais prendre un break de briques après. Mais je me réserve la lecture de ces deux romans dans l’année.
Super billet, qui m’en apprend déjà pas mal! Merci!

Marie-Claude 11 janvier 2016 - 0 h 38 min

Et c’est fou, mais quand je lis: «Petit message aux âmes sensibles : ce livre n’est pas à mettre entre toutes les mains.», ça m’attire toujours!

Marie-Claude 11 janvier 2016 - 0 h 40 min

J’ai oublié de parler de ta photo d’ouverture! Léa est traumatisée et curieuse! Elle était près de moi lorsque j’ai lu ton billet. Les questions fusent… Masque mortuaire ou masque fabriqué. Vraies dents? Vrais cheveux? Est-ce que c’était un chef? Pas moyen de lire tranquille! Au secours…

Electra 11 janvier 2016 - 16 h 51 min

Désolée, mais il s’agit ici d’une vraie tête .. Les mokomokais (moko : tatouage) sont donc de vraies têtes ayant appartenu à de grands guerriers ou hommes importants. On coupait la tête, puis on retirait le cerveau et les yeux et on fermait les orifices à l’aide de lin et de colle. La tête était ensuite ébouillantée ou cuite à la vapeur avant d’être « fumée » comme le saumon et puis séchée au soleil pendant plusieurs jours. Enfin, on la recouvrait d’huile de requin. Elles étaient conservées par les familles dans des boites dédiées et n’étaient sorties que pour certaines cérémonies. Le gouvernement néo-zélandais a appuyé sa requête sur le fait que ces mokomokais appartenaient donc à des familles et non à des musées…. Voilà, tu voulais savoir !

Marie-Claude 14 janvier 2016 - 2 h 30 min

Ma sauterelle qui veut tout savoir, à su! Elle n’en a pas rajoutée!
Quant à moi, je suis fascinée.

Electra 11 janvier 2016 - 16 h 45 min

Ok je note – Madame aime les frissons !

Marie-Claude 14 janvier 2016 - 2 h 31 min

Note! Je les adore! Âmes sensibles s’abstenir? Tu peux être certaine que je vais foncer!

Electra 11 janvier 2016 - 16 h 44 min

City of Fire fait 950 pages ?? Oh je tombe des nues ! Bon courage ! Je comprends qu’après tu choisisses une lecture plus courte !
De rien, le sujet est passionnant moi qui suis fan des All Blacks, je connaissais un peu les Maoris mais là on en apprend beaucoup – ce qui m’a marqué, c’est que je viens de finir de lire Boyden et que la situation des Maoris est proche des nations amérindiennes dans leurs difficultés présentes. Une perte de repères.

Marie-Claude 14 janvier 2016 - 2 h 34 min

« City of Fire »… 200 pages de lus (je m’endors trop), mais TROP bien à date. Des personnages riches, un découpage comme j’aime, et assez page turner merci!
J’ai très hâte d’en apprendre plus sur les Maoris. Je me doute bien que leur sort ressemble à celui des Amérindiens…
Quel Boyden as-tu terminé?

Hélène 11 janvier 2016 - 8 h 41 min

AH Caryl ferey -soupir- son sourire excuse tout !

Electra 11 janvier 2016 - 16 h 45 min

Tu me fais rire ! Je ne me trompe pas si je pense que tu l’as déjà croisé lors d’un salon ou ailleurs ?!

keisha 11 janvier 2016 - 17 h 25 min

Je sens que je vais faire ma peureuse. Mais cette histoire de têtes (j’ai lu ton explication) et de musée, c’est très intéressant.
Le haka, ce n’est pas qu’en NZ et pas que sur le terrain de rugby (mais j’adore, bien sûr (https://fr.wikipedia.org/wiki/Haka)
C’est aussi à Tahiti, en fait toute la Polynésie
https://www.youtube.com/watch?v=0ooFTYuV4Pw

Electra 11 janvier 2016 - 17 h 38 min

Oui, le haka c’est aussi dans les îles Fidji, Tonga .. quand on aime le rugby on sait que c’est un peu partout ! Moi je suis fan des All Blacks, donc je n’ai parlé que d’eux car ils sont les plus célèbres ! Le mieux c’est quand les Blacks affront les Tongiens ! 2 Hakas face à face, ça pète !

Ta peureuse, toi ? Bon j’ai lu sur d’autres sites que certaines lectrices avaient abandonné en cours de route, trop de violence .. mais toi, non ! je te sens nettement plus forte !

Merci pour la vidéo !!!

zarline 11 janvier 2016 - 20 h 23 min

Férey est un gros dilemme pour moi. J’ai Zulu dans ma PAL depuis des années. Je l’ai même mis dans mon sac de voyage la dernière fois que je suis partie en Afrique du Sud et puis j’ai préféré ne pas le lire pour éviter la psychose. Je redoute la violence dont tu parles, et l’image très sombre et déprimante qu’il montre, que ce soit de l’AdS ou de la Nouvelle-Zélande, deux pays que j’aime beaucoup. Je lirai un jour, mais je sens que ça ne va pas me plaire, que ça va me déranger.

Electra 11 janvier 2016 - 22 h 18 min

Oui je peux te comprendre, la Nouvelle-Zélande est le pays de mes rêves et l’Afrique du Sud, une amie a moi m’a parlé de ce pays fascinant. Caryl Férey a choisi de montrer le côté sombre, c’est un peu comme si on lisait uniquement un livre qui se passe dans les quartiers hyper dangereux de LA après on y a va en vacances ! C’est une vision très noire et parfois un peu exagérée (la fameuse scène improbable) mais je trouve qu’il rend d’abord hommage au peuple Maori, et montre leur situation actuelle ..
Quand je vais aux USA, j’évite les quartiers sensibles (genre Watts à LA) et je crois que tu ferais pareil non ? et puis au final, le pays dans sa majorité est calme et pacifique. Il n’empêche que le roman est très violent mais comme Zulu, c’est la patte de Férey !

Julien le Naufragé 28 août 2016 - 13 h 06 min

Excellent roman. Pour ma part, j’ai adoré. Pointant presque les mêmes défaut (phrasé parfois étrange sur « Haka ») et schéma similaire. Pour le reste, la spirale noire et violente m’a tellement captivé que je n’en décrochais pas.

Electra 28 août 2016 - 13 h 47 min

Oui, moi aussi je les ai avalés même si parfois je râlais un peu, c’est très addictif !

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