A la recherche de New Babylon – Dominique Scali

par Electra
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C’est dans le cadre de l’opération de Masse Critique que je me suis précipitée sur les deux western qui étaient proposés – je sais que ce genre ne remporte pas les suffrages mais chez moi, c’est tout l’inverse.  J’ai appris en le recevant que l’auteure, Dominique Scali, est Québécoise et A la recherche de New Babylon son premier roman.

Et quelle claque ! Mon arrêt maladie m’aura permis de me plonger corps et âme dans ce western et de ne pas interrompre ma séance de lecture. New Babylon n’existe pas – enfin si, dans la tête d’un homme, Russian Bill, qui rêve de créer sa propre ville, où les duels seraient permis et où les hommes de loi auraient interdiction d’y pénétrer. Comme le dit l’éditeur, on y aurait le souffle coupé par la beauté des paysages et également par qu’on y finirait la gorge tranchée. Un endroit où le danger est sans fin, où chacun connaîtrait enfin sa vraie valeur.

Je savais que ça finirait comme ça.

Avec moi qui crève et vous qui regardez.

Ce roman est un drôle d’objet, il se divise ainsi :  un prologue, situé à Paria, en 1881 où l’on y lit les mémoires d’un prédicateur silencieux, le vrai-faux Révérend Aaaron, dont les deux mains ont été tranchées puis plusieurs carnets : le premier raconte les dix pendaisons de Charles Teasdale, de 1860 à 1880 – attention, les chapitres se divisent en unité de lieu (et non de temps). La première pendaison de Charles eut lieu quand il avait douze ans, puis le garçon grandit et ne cesse d’être à nouveau pourchassé et condamné – mais la chance lui sourit.  Il se découvre plutôt doué pour les combats à mains nues. Bientôt, Teasdale devient une légende. Mais ce n’est pas d’être un hors-la-loi qui lui plaît, Charles rêve d’autre chose.

Je n’ai pas appris grand-chose au cours de ma vie mais je sais que les idées les plus brillantes viennent en marchant et les plus horribles en dormant.

Le deuxième carnet raconte les trente mariages de Pearl Guthrie – où plutôt comment la réputation de cette femme aux multiples mariages a fait d’elle une légende dans l’Ouest. En dix chapitres, on découvre la vie de Pearl, une jeune femme de l’Est, rêvant de découvrir l’Ouest sauvage et d’épouser un homme bon. Un voeu pieu vous vous en doutez ! Sur sa route, elle croise le célèbre Russian Bill qui devient son époux pour le meilleur et pour le pire.

Le troisième carnet raconte les cent personnes qu’a tuées Russian Bill, encore une légende de l’Ouest me direz-vous ! 13 chapitres, treize lieux dont celui qu’il rêve de sortir de terre : New Babylon, c’est lui. Le garçon se vante d’être un héritier des Romanov, il est si bavard qu’on doute de sa réputation et surtout d’avoir pu tuer autant d’hommes – les vrais durs ne sont-ils pas au contraire taciturnes ? Mais Russian Bill court après des chimères avec une telle volonté qu’il emporte tout sur son passage. Il rêve éveillé d’une ville sans foi, ni loi.

Le dernier carnet revient sur le fil conducteur de cette histoire : un vrai-faux ou faux-vrai Révérend, du nom d’Aaron, qui entre 1842 et 1881 va parcourir l’Ouest, et noircir des carnets entiers – l’homme se rêve écrivain et en croisant la route de Charles Teasdale, Pearl Guthrie ou Russian Bill, il croit tenir le sujet parfait. Mais ses héros ne comprennent pas qui est cet homme étrange, qui les suit d’une ville à l’autre, n’est jamais loin d’eux et leur promet monts et merveilles.

Il m’a sauvé de la potence pour aucune raison et y a personne qui a fait ça. C’est peut-être pour ça que je le déteste.

Un épilogue tout aussi envoutant vient conclure ce roman. Voilà le western, à la fois décalé mais terriblement réaliste : l’auteure raconte le destin de ces hommes et de cette femme à la poursuite de leurs rêves, leur idéal : la liberté totale, des histoires à écrire (pour Charles et le Révérend), le rêve d’un beau mariage, ou d’une ville fantasmagorique à fonder. Ces rêves leur font parcourir les terres inhospitalières de l’Ouest, où la ruée vers l’or a eu vite fait de prendre fin et où des milliers d’autres avant eux se sont fracasser les dents.  Mais dans ces déserts, tout semble possible aussi continuent-ils à y croire. Même si cela doit les mener à leur perte.

Une galerie de portraits farfelue mais terriblement humaine, je me suis attachée à Charles, ce beau gosse qui ne savait pas beau, usé et cassé avant l’âge, j’ai aimé Pearl, une des premières femmes qui osent s’aventurer seule et qui va découvrir le pouvoir des livres et que dire du fantasque Russian Bill qui à chaque personne croisée s’invente un nouveau passé ? Des portraits très attachants.

Un magnifique western dont j’ai encore énormément plaisir à écrire et à penser – un énorme coup de coeur pour moi ! Et quel tour de force pour un premier roman. Je pourrais encore partir m’aventurer dans ces terres sauvages avec Dominique Scali autant qu’elle le souhaite !

Mon seul bémol est la couverture – je préfère celle des Editions La Peuplade car celle-ci, présentant une sorte de cow-girl n’a rien à voir avec le roman.

Pour vous mettre l’eau à la bouche …

Janvier 1866

Pour Charles Teasdale, le Nord et le Sud étaient des points cardinaux et le bleu et le gris, des couleurs. Des concepts trop lointains pour susciter chez lui la moindre émotion. Choisir un clan plutôt qu’un autre aurait été pour lui aussi absurde que de préférer Mars à Mercure. 

Il avait seize ans, la ruée vers l’or était terminée, la guerre civile aussi, et le jeune Teasdale avait cessé de mentir sur son âge. Il avait aussi cessé de se chercher du travail dans les mines. Pas une fois on ne le vit les deux pieds dans une rivière en train de retourner du sable. Il vivait dans les villes champignons du Nevada, en satellite du monde minier. Quand une promesse de fortune se transformait en frustration, les prospecteurs allaient voir ailleurs, et les parasites dans son genre ne tardaient guère à les suivre. 

Il changeait de nom dès qu’il changeait de ville. (…) Charles Teasdale arrivait toujours à provoquer l’autre, mais il était impossible de provoquer Charles Teasdale.  Il ne se battait pas par pulsion, mais par fascination.  Parfois il perdait. Alors il ouvrait les yeux sur un attroupement de témoins penchés vers lui. Un trou de lumière couronné de chapeaux hauts de forme.

♥♥♥♥♥

Editions Libretto, 377 pages.

Et pourquoi pas

15 commentaires

Marie-Claude 20 juin 2016 - 2 h 36 min

Comme je suis ravie! J’avais un certain doute que ce western échevelé te désarçonne, mais non!
Dommage pour la couverture… La Peuplade a l’art de suggérer plutôt que d’imposer une vision.

Electra 20 juin 2016 - 7 h 19 min

oh non il ne m’a pas désarçonné (le terme est parfait) ! j’ai au contraire adoré : si on aime les western,les rêveurs, les coureurs de chimère, les légendes de l’Ouest..tout y est !! 🙂

Hélène 20 juin 2016 - 8 h 14 min

Que puis je faire d’autre que noter et surligner ? Ton enthousiasme est tellement communicatif !

Electra 20 juin 2016 - 10 h 17 min

L’acheter et le lire ! Là je suis presque certaine en disant que TU VAS AIMER !

keisha 20 juin 2016 - 9 h 14 min

Tu as le chic pour tomber sur ce qui t’attire!

Electra 20 juin 2016 - 10 h 18 min

ah oui ! Je suis chanceuse, j’enchaîne les lectures géniales – pas de déception depuis des mois 🙂 et ici un premier roman tonitruant et tellement atypique ! il vaut le détour

Pascale 20 juin 2016 - 9 h 25 min

Je pense que je n’aurais jamais prêté attention à ce livre car le genre western ne m’attire pas du tout mais tu en parles avec tant de passion que je vais revoir mon jugement !

Electra 20 juin 2016 - 10 h 19 min

Dans le genre western, il y a de tout : du très bon et du mauvais ! Mais il y a les pépites (d’or) comme celui-ci ! Un livre atypique, et ici l’idée de raconter en forme de carnets, l’épopée de ces personnages, dans des lieux mythiques avec toutes les légendes – le résultat est bluffant ! Ce livre pourrait te faire changer d’avis sur le genre (je l’espère!) 🙂

luocine 20 juin 2016 - 12 h 43 min

cela fait un certain temps que j’ai abandonné « masse critique » trop de déceptions mais tu as eu visiblement la main heureuse et tu sais nous faire partager ton plaisir, merci.

Electra 20 juin 2016 - 14 h 11 min

de rien ! Oui, en fait pour Masse Critique – j’ai décidé d’agir en amont. Dès la réception du mail qui annonce masse critique, je file voir en repérage tous les livres et je réduis beaucoup mon choix en fonction de mes goûts (je tente moins le hasard) et ça marche très bien ! Je n’en choisis jamais plus de dix et dans la masse, je trouve toujours des livres à mon goût 🙂 J’adore cette opération car elle couvre vraiment tous les genres, comme les livres de voyage par exemple – Keisha et Chinook trouvent toujours leur bonheur car elles vont vers ces livres-là !

Jerome 20 juin 2016 - 12 h 57 min

ça a l’air assez alambiqué mais si tu en fais un coup de cœur, il ne peut qu’attirer mon attention !

Electra 20 juin 2016 - 14 h 09 min

Oh je pense qu’il te conviendrait parfaitement ! je m’avance .. non, j’en suis certaine ! Laisse-toi embarquer !

Yv 21 juin 2016 - 10 h 24 min

j’ai l’impression que le genre revient tout doucement tant dans la littérature que dans les films (Tarantino y est sans doute pour beaucoup dans ce dernier domaine). J’en ai lus, jeune, pourquoi pas en relire… ?

Electra 21 juin 2016 - 12 h 06 min

Oui ! Je pense que cela a été à la mode dans les années 70 (avec McMurtry et Lonesome Dove ou Glenn Swarthout et Homesman, ou le Tireur) puis s’est tombé un peu dans l’oubli – or cela en vaut vraiment la peine 🙂

Craquage de slip (enfin de bobette) ! – Tombée du ciel 12 août 2016 - 0 h 02 min

[…] en matière de livres québécois sont quasiment nulles ! Excepté pour le roman de Dominique Scali A la recherche de New Babylon que j’ai adoré et le célèbre L’Orangeraie de Larry Tremblay et Jocelyne Saucier dont […]

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