The outlaw album – Daniel Woodrell

par Electra
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J’ai découvert Daniel Woodrell  après avoir vu l’adaptation cinématographique de son roman, Winter’s bone. Quand j’ai déniché à la bibliothèque ce recueil de nouvelles, j’ai décidé de repartir avec lui dans les montagnes rocailleuses et froides des Ozarks, au fin fond du Missouri.

L’auteur américain livre ici douze nouvelles, aussi noires que l’était son précédent roman. C’est le désespoir qui semble lier les personnages des douze nouvelles, que ce soit la misère économique, ou la dépression mentale, l’écrivain offre un portrait sombre et intense de ces habitants, qui semblent avoir été oubliés du reste de l’Amérique. L’écrivain a une écriture magnifique, d’un niveau qui m’a demandé plus d’attention qu’à l’habitude.

Comme précédemment, il réussit son tour de magie, en emmenant le lecteur avec lui dans cette région méconnue des Ozarks, j’ai eu le sentiment de traverser les petites villes, m’inviter dans leurs jardins, senti l’odeur particulière de ces montagnes, senti les gouttes d’eau glisser sur mon visage, assisté à la vengeance d’une jeune femme. Woodrell écrit sans fards, même si ces mots sont très proche de la poésie, il n’y a ici aucun artifice – aucun embellissement. Et il maîtrise l’art de la nouvelle – surtout la chute et en peu de mots, il arrive à faire à nouveau éclater une autre réalité, qui nous échappe : celle de ses personnages qui ont perdu quelque chose, qui ne savent pas de quoi il s’agit exactement ou comment le récupérer, mais qui ont la rage de l’avoir perdu et passent leur vie à la retrouver.

Dan Woodrell est un conteur, je l’ai imaginé, un verre de whisky à la main,  l’air bourru, raconter ses histoires en leur apportant une densité et une puissance telles que bientôt elles feront partie de la mythologie de ces montagnes, nous offrant un petit aperçu de cette région mystérieuse et des liens intenses qui unissent les familles et comment cet endroit continue d’influencer leurs pensées.

L’autre part importante du roman est la guerre. Ou plutôt le retour à la maison d’hommes ayant été combattre, en Irak ou en Afghanistan. D’hommes revenus tels des zombies, des fantômes et dont le comportement erratique mène inévitablement à leur perte.

La première nouvelle, The echo of Neigborly Bones m’a vraiment fasciné, il s’agit de l’histoire d’un homme qui assassine son voisin pour avoir tué le chien de son épouse. Après avoir tué son voisin, il se tue de plusieurs manières, comme si sa colère ne pouvait en aucun cas retomber.

La seconde, Twin Forks, est probablement l’une des plus nouvelles marquantes que j’ai jamais lue ! J’étais sur le c.. en finissant de la lire. Je suis restée comme hébétée et j’ai même relu quelques lignes.

A cradle won’t hold my baby. My baby is two hundred pounds in a wheelchair and hard to push uphill but silent all the time. He can’t talk since his head got hurt, which I did to him. I broke into his head with a mattocks and he hasn’t said a thing to me nor nobody else since

Qui est donc est « cet enfant » ? Il s’agit en fait de l’oncle maternel de la narratrice. C’est un violeur en série qu’elle surprend en pleine action un jour dans la grange. La narratrice, a elle-même été victime de cet homme épouvantable, et lorsqu’elle réalise qu’il continue, elle décide de prendre les choses en main et lui fracasse le crâne, le plongeant dans un état végétatif. La voilà devoir en prendre soin, elle le fait, lorsqu’elle réalise, que l’homme, avachi dans son fauteuil roulant, incapable de parler, reste malgré tout diabolique .. J’en ai des frissons en écrivant ces mots !

Dan Woodrell montre l’image, dans Florianne, d’un homme totalement détruit par l’enlèvement de sa fille de 17 ans, il y a onze ans. Depuis, il ne cesse de suspecter chaque personne qu’il croise. Son monde est devenu son pire ennemi, chaque personne qu’il croise est le potentiel kidnappeur. Il est certain qu’il connaissait le criminel. Une obsession morbide et fatale.

L’autre histoire qui m’a beaucoup marquée est Night Stand. Une nuit, alors que Pelham et sa femme dorment, un homme se présente nu, au pied de leur lit, en grognant très fort. Pelham trouve un couteau sur sa table de chevet (dont il n’avait aucun souvenir) et poignarde à deux reprises l’homme, le tuant. Il découvre plus tard qui était l’homme en question. Pelham est alors choqué, et s’interroge maladivement sur la présence de ce couteau. Il se sent soudainement coupable et sa route va croiser celle du père de l’agresseur. Dan Woodrell fait preuve ici d’une profondeur d’âme et pour une fois, termine l’histoire sur une note pleine d’espoir !

Une autre nouvelle nous entraine à nouveau dans l’esprit d’un vétéran, Daren. Dans Back Step, Daren est retourné chez sa mère pour soigner ses blessures qu’il a reçues en combattant au Moyen-Orient. Il y retrouve sa mère qui se meurt doucement d’un cancer. Daren a l’esprit envahi en permanence par la mort et par l’horreur de la guerre, dont il a été témoin (les enfants terroristes, ses amis morts ..) lorsque sa mère lui demande d’abattre une vache blessée et d’en brûler le corps.

Dans une autre nouvelle, Two things,  on fait la connaissance de Cecil, un mauvais garçon – le jeune homme est à nouveau incarcéré, cette fois-ci pour vol. Mais Cecil a également un passé violent, pourtant lorsqu’une assistante sociale découvre que Cecil a écrit un livre de poésie, il entrevoit de l’espoir. Mais ses poèmes cachent un terrible secret.  Une histoire familiale douce et amère et où on compatit pour les deux hommes qui se sont perdus en chemin.

Les deux dernières nouvelles sont plus sombres, comme lorsqu’une femme demande à son ami de s’arrêter de prendre une auto-stoppeuse, elle réalise soudainement que cette femme inconnue pourrait être « l’amour incarné » pour son ami et panique soudainement.  Enfin, j’ai beaucoup aimé, la toute dernière, où j’ai esquissé enfin un sourire, tout au long de ma lecture.

Dans Returning the River, un homme, en liberté conditionnelle, décide de brûler la maison de son voisin, tout en sachant ce qui l’attend, afin que son père mourant puisse de nouveau avoir vue sur la rivière que la construction de la maison voisine avait occulté il y a quelques années. Un chant d’amour magnifique d’un fils pour son père.

Dan Woodrell offre ici, comme dans son précédent roman, une vision crue et dérangeante de ces habitants, et on souvent l’impression d’avoir, en s’enfonçant dans ses montagnes, quitté la civilisation pour un monde où les hommes n’ont ni sens moral, ni notion de civilité.  Le talent de Woodrell est de créer une atmosphère unique et de plonger le lecteur dans un monde sans foi, ni loi.  Comme dans ses autres romans, l’auteur dénonce l’abandon de ces habitants, condamnés à vivre ainsi, dans la pauvreté, en marge de la société américaine. Isolés, sans éducation, sans espoir de vie meilleure, ils ont laissé peu à peu la violence et la peur prendre le dessus, quand ce n’est pas la folie qui les guette. Vertigineux !

Le recueil a été traduit en français et publié chez Rivages Noir, sous le titre Manuel du Hors-la-loi en 2015.

♥♥♥

Back Bay Books Editions, 2012, 208 pages

Copyright Photo en une : Ozarks Alive

Et pourquoi pas

12 commentaires

Marie-Claude 22 juin 2016 - 0 h 53 min

Je viens de commander à l’instant « Manuel du Hors-la-loi « . Aussi simple que ça! Rien à ajouter, tu te doutes bien!

Electra 22 juin 2016 - 8 h 07 min

Non rien à ajouter 😉

Simone 22 juin 2016 - 6 h 28 min

J’ai découvert Woodrell avec « Un feu d’origine inconnue », le genre d’auteur qui rend addict. Alors j’ai lu « Un hiver de glace » puis « La mort du petit coeur », et je note ces nouvelles ( vu que j’aime ce genre, je suis sûre que c’est exceptionnel ) Merci, belle chronique !

Electra 22 juin 2016 - 8 h 08 min

Merci ! Contente de trouver une autre fan de Woodrell ! J’ai aussi hâte de lire ses autres romans ! Ces nouvelles sont sombres mais toujours aussi puissantes 🙂

keisha 22 juin 2016 - 9 h 01 min

Heu noir de noir, alors?

Electra 22 juin 2016 - 15 h 13 min

Oui! enfin à part une nouvelle, il faut reconnaître qu’ici c’est très sombre (surtout en ce qui concerne les ex-soldats).

luocine 22 juin 2016 - 12 h 26 min

Un billet très complet , je pense que sa lecture me suffit pour l’instant.

Electra 22 juin 2016 - 15 h 18 min

Ah ! Merci – parfois il faut mieux découvrir un auteur par ses romans en premier.

Jerome 23 juin 2016 - 12 h 57 min

Un auteur que j’adore, tu penses bien ! Mon préféré reste « La mort du petit cœur ».

Electra 23 juin 2016 - 14 h 34 min

Il me le faut ! Oui, je me doutais qu’il serait dans ta liste 🙂

gambadou 23 juin 2016 - 21 h 27 min

Ah, si c’est traduit en anglais, ça va !

Electra 23 juin 2016 - 22 h 10 min

traduit en anglais ? tu veux dire en français ? 🙂 le recueil a bien été traduit en français (cf. ma dernière phrase) 😉

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