Secrets · Marcel Beyer

par Electra
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Deuxième lecture de la rentrée littéraire, ce fut aussi l’occasion de découvrir un grand auteur allemand, Marcel Beyer. Celui-ci nous entraine dans une histoire de secrets.  Ou comment toute une vie peut se construire sur le silence, sur les non-dits et les mensonges.  Un roman qui a secoué mes habitudes de lectrice.

Dans cette famille allemande, il y a les cousins : Carl, Nora et Paulina et leur cousin germain, le narrateur. Les quatre enfants n’ont jamais connu leurs grands-parents. Chaque été, lors de leurs retrouvailles, les enfants échafaudent des plans pour réussir à percer ces secrets de famille. Un jour, ils dénichent un vieil album photo mettant en scène un jeune homme, devenu officier nazi – en uniforme ou en tenue normale, il s’agit de leur grand-père. Celui-ci est vivant mais les enfants ne vont jamais chez lui, trop effrayés par « la vieille », sa seconde épouse qui a chassé de leur domicile les parents et a empêché toute tentative de rapprochement.

Depuis, les parents des quatre cousins n’ont jamais revu leur père, alors qu’ils habitent la même ville, séparés par un fortin. Le narrateur grandit, obsédé par le silence autour de cette famille. Il a juste su que sa grand-mère était soprano dont il et ses cousins ont hérité les grands yeux noirs. On se moque souvent de leur regard, alors les cousins préfèrent passer leurs vacances ensemble et réécrire l’histoire. Ils ont su qu’elle était décédée jeune et que leur grand-père s’était remarié peu de temps après avec une mégère, une femme terrible qui aura fait fuir les deux enfants du premier lit.

L’histoire les obsède, qui était cet homme qui rejoint le Troisième Reich et la légion Condor tuer de nombreux civils à Guernica ? Il refusa de parler de cette partie de l’histoire où les Allemands avaient aidé la dictature de Franco. La longue maladie de l’amour de sa vie, cette jeune femme fut un tournant dans sa vie. Son remariage reste inexpliqué, surtout auprès de cette femme froide qui brûle tous les effets personnels de sa première épouse. Détruit toutes les photos et refuse que son nom soit prononcé dans la maison. Les enfants grandissent vite et quittent rapidement le nid familial. Elle ne laissera plus jamais entrer à nouveau. La « vieille » est encore en vie et les enfants s’approchent, cachés par le fortin, ne sachant que faire. Ils font sonner le téléphone ou passent à toute vitesse à vélo.

Ce jeu innocent finit par tourner à l’obsession et par éloigner les cousins, chacun vivant son histoire différemment. L’ainée du groupe disparaît à son tour, son frère part en Finlande s’engager, soi-disant. Reste Paulina qui a choisi, plus de vingt après de s’installer à nouveau chez ses parents, tout près de la « vieille ». Pourquoi ne peuvent-ils passer à autre chose ? Construire leur propre vie ? Pourquoi Paulina croit-elle que la vieille est en fait morte ? Pourquoi ne peuvent-ils pas trouver la tombe de cette grand-mère soprano dont aucune trace n’existe ?

Comment oublier ce qu’on ne connaît pas ? Comment contrôler son imagination?  Fiction et réalité se mélangent, plusieurs voix prennent la parole et il m’a été au départ difficile de me repérer : les cousins enfants, les cousins adultes, la vieille, la grand-mère … Mais impossible de reposer ce roman, car il a le don de vous accrocher et vous avez raison ! Car peu à peu le voile se lève et quelle fin !

Une écriture magnifique et un roman choral qui demande une attention particulière car il jongle entre les personnages et les époques et surtout il jongle entre réalités et rumeurs, croyances. Il démontre ici avec une puissance particulière à quel point les secrets sont destructeurs. Ils vous poussent à imaginer le pire et à certains gestes que l’on regrette toute sa vie. Je me suis laissée portée par la souffrance de ces enfants à qui on refuse leur propre histoire.

L’écriture de Marcel Beyer peut décontenancer, très classique, très « allemande », très éloignée des écrivains américains mais comme Judith Hermann, ils ont un don : la subtilité. Ils font apparaître les multiples couches de l’âme humaine et ici ils font remonter à la surface une époque que tant de gens ont tenté d’oublier.

« Un des meilleurs romanciers européens du moment. » New York Times

♥♥♥♥

Editions Métailié, Spione, trad.Cécile Wasjbrot, 2018, 280 pages

Et pourquoi pas

5 commentaires

VERONIQUE CAUCHY 13 septembre 2018 - 15 h 52 min

Je l’avais repéré, et ce billet me conforte dans mon envie de le lire. Je pense qu’il me plaira plus que Hôtel Wladheim de François Vallejo, qui parle aussi de mémoire et de secrets, un roman qui ne m’a pas déplu, mais ne m’a pas non plus enthousiasmée.

Electra 13 septembre 2018 - 19 h 41 min

Il est étrange dans sa forme (identifier le narrateur) mais une fois dedans je ne pouvais plus le lâcher ! Des secrets mais surtout les relations de ces enfants qui à l’âge adulte ne voient plus leur enfance de la même manière. J’espère qu’il te plaira en effet !

Titezef 13 septembre 2018 - 22 h 52 min

Elle m’a l’air compliquée l’histoire ? Ou je suis fatiguée ce soir 🤣

Electra 14 septembre 2018 - 19 h 52 min

Non pas compliquée, simplement ce sont plusieurs narrateurs qui ne se présentent pas – donc oui tu es très fatiguée !

Eva 21 septembre 2018 - 15 h 41 min

je le lirai avec plaisir dès que je retrouverai un peu de bande passante!

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