We the animals · Justin Torres

par Electra
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Découvert en regardant une de mes BT anglophones préférées, j’avais noté dans ma tête ce très court roman de 128 pages. Et c’est un vrai coup de poing dans le ventre que j’ai ressenti en le lisant ! Et bonne nouvelle, il est disponible en français.

La meute observe les fauves. Quand le père danse, les petits l’imitent. Quand la mère dort, ils apprennent à rester silencieux. Les mots de l’éditeur français résonnent dans ma tête, comme le premier paragraphe :

We wanted more. We knocked the butt heads of our forks against the table, tapped our spoons against the empty bowls; we were hungry. We wanted more volume, more riots. (..) We were six snatching hands, six stomping feet; we were brothers, boys, three little kings locked in a feud for more.

Le narrateur est le benjamin d’une fratrie de trois frères dont l’ainé a dix ans. Ces trois frères, inséparables, grandissent dans une colère permanente, une rage animale qui les anime, « We the animals« , « Nous les animaux » – le titre est parfait.

Ils se lancent des tomates à la figure, insultent leurs voisins, se battent jusqu’au sang, construisent des cerfs-volants à partir d’ordure, mais ils savent aussi se faire tout petit en se cachant lorsque que leurs parents se battent ou lorsque leur mère, qui travaille de nuit, dort. Pap et Ma sont originaires de Brooklyn, Pap est Portoricain – leurs fils sont métis, la peau brune, les cheveux noirs frisés. Le dernier, narrateur, raconte cette enfance chaotique. Des parents déboussolés, fatigués – ils avaient 14 et 16 ans à la naissance de Manny. Le père fuit un temps ses responsabilités, laissant les enfants seuls avec leur mère, aimante mais dépressive. Le père s’interroge ‘ça ne va jamais s’arrêter, hein?« . La voiture qu’il achète n’est pas adaptée à la famille nombreuse, mais qu’importe, les parents se battent puis se rabibochent dans la salle de bains, les trois gosses dans la baignoire.

Manny était là, dans le ventre de Ma, il grandissait, son coeur battait comme une bombe (une expression de Ma: un coeur qui bat comme une bombe), elle avait quatorze ans et Paps seize seulement, ils étaient tous deux en troisième, alors ils ont arrêté l’école.

Les gamins sont toujours comme emmêlés, ils se réconfortent avant de se taper les uns sur les autres. Ils rient de tout et sont les terreurs du quartier. Leur vie est faite de salive, de sang, de battements, de cris et de pleurs. « We the animals« , nous les animaux. Ils survivent dans un chaos permanent et trouvent refuge dans leur amour fraternel.  Mais lorsque que le petit dernier (le narrateur) grandit, les choses changent. Contrairement à ses frères ainés, il commence à voir le monde, à travers l’école, mais également les livres. Peu à peu, il s’éloigne de cette union sacrée, et le prix à payer sera très élevé.

J’ai été totalement envoutée par le style de Justin Torres, par les paroles de cet enfant – tout est viscéral chez eux, tout est entier. Ces trois gosses sont liés profondément les uns aux autres pour faire face à un monde qui ne leur laisse que peu d’espoir. L’ainé rêve de s’enfuir et les voilà tous les trois perdus en pleine nuit d’hiver.  Ils seront ramenés à la maison, ces sauvageons. Ils font les quatre cent coups et ne cessent de se chamailler. Ils pleurent, crient, hurlent mais rient aussi et cherchent désespérément de la tendresse auprès de leur mère. Leur père, plus imprévisible, leur fait peur mais à trois, ils se sentent invincibles. Ils affrontent leurs parents, tout en attendant la moindre marque d’affection.  Tout va vite, on passe des larmes aux rires, des caresses aux coups de poing en une fraction de seconde.

Du père, furax d’avoir été pris sur le fait, se met à taper du poing sur le tableau de bord, et voilà ses trois rejetons qui font de même, a crescendo « boum, boum, boum » ! Il faut taper vite et fort.  Mon seul regret ? Une fin (magnifique et sublime) mais trop vite traitée. Je m’étais attachée aux trois, du coup je me suis senti un peu abandonnée. Mais quelle puissance, quelle force ! Un premier roman aux personnages profondément attachant. J’ai adoré ! Et le roman est disponible en français (sous le titre Vie animale).

Je n’en dirais pas plus, sauf que j’en suis sortie estomaquée. Et que j’ai adoré cette sensation ! Il est clair que je vais le lire, le relire.

♥♥♥♥♥

Editions Granta, 2011, 128 pages
Editions Points, trad.Laetitia Devaux, 2013, 114 pages

Et pourquoi pas

18 commentaires

Mes échappées livresques 4 février 2019 - 10 h 28 min

Un coup de coeur pour Marie-claude! de même pour toi! je sais ce qu’il me reste à faire…

Electra 4 février 2019 - 12 h 19 min

Oui, plus trop le choix, hein ? 😉

Titezef 4 février 2019 - 22 h 29 min

Je suis plus que conquise par ton billet 😉😁

Electra 5 février 2019 - 19 h 01 min

Merci ! difficile à écrire car il faut le lire pour comprendre son intensité !

Ingannmic 5 février 2019 - 10 h 22 min

J’avais beaucoup apprécié cette lecture aussi, l’écriture bouillonnante, l’énergie justement « animale » qui s’en dégage. Je trouve le titre en anglais est bien plus évocateur que sa traduction (« Vie animale »), comme c’est souvent le cas d’ailleurs..

Electra 5 février 2019 - 19 h 02 min

Oui, j’ai failli le dire également – car le pronom « we » cible bien les trois frères – parfois j’ai du mal à comprendre la traduction de certains titres – pour en revenir au livre, une vraie pépite !

Marie-Claude 5 février 2019 - 13 h 24 min

Oh boy! Quelle claque… Je viens de terminer la rédaction de mon billet et je suis épuisée!

Electra 5 février 2019 - 19 h 02 min

j’imagine ! les premières phrases sont déjà si puissantes et la suite aussi ! franchement, j’ai rarement lu ça !

Autist Reading 5 février 2019 - 18 h 47 min

Très beau billet qui rend justice à cet excellent roman. Comme je te l’ai déjà dit par ailleurs, We the animals est dans le top 10 (peut-être bien même Top 5) de mes romans préférés de tout temps.
J’attends désespérément depuis que Justin Torres publie un nouveau roman, en vain pour le moment… D’autant qu’il a été fort occupé par l’adaptation ciné qui a été faite de son texte. Mais je continue d’espérer.
(Ta photo d’en-tête est superbe. Tu en connais l’auteur par hasard ?)

@Marie-Claude : j’ai hâte de lire ton billet !

Electra 5 février 2019 - 19 h 08 min

Je le comprends aisément ! ses mots sont tellement forts et sonnent tellement justes ! Une lecture qui marque. Justin Torres a publié en 2017 un autre livre (non traduit) mais qui se concentre sur la Bible et plus explicitement ce que signifie être un enfant de Dieu – du coup, ça change forcément ! Je n’ai pas envie de lire ce récit même si les critiques sont bonnes. Pour la photo, il s’agit d’une photo libre de droit réalisée par Sasin Tipchai, un photographe thaïlandais. Hâte de lire le billet de Marie-Claude !

Autist Reading 6 février 2019 - 13 h 56 min

Merci pour le nom du photographe. Cette photo est vraiment superbe.
Pour ce qui est de Justin Torres, je suis presque sûr qu’il n’a rien fait depuis. D’ailleurs, aucun autre livre n’est mentionné sur son site perso. Je me souviens qu’à une époque, j’avais créé une alerte Goo pour être averti d’une nouvelle parution et j’avais eu quelques fausses joies avec des homonymes ayant publié des bouquins sur l’informatique, entre autres. Je pense que celui auquel tu fais allusion est l’œuvre d’un de ses (nombreux) homonymes…

Electra 6 février 2019 - 21 h 19 min

Non, sur deux sites, c’est bien lui qui est cité pour ces deux livres – j’ai moi-même douté mais apparemment c’est bien lui mais bon bien des auteurs publient des livres très différents mais bon peut-être que les sites de ces éditeurs se trompent aussi ? Deux de mes auteurs préférés n’ont rien publié depuis des années.. c’est parfois désespérant !

Virginie 5 février 2019 - 19 h 32 min

J’étais persuadée que c’était un pavé !! Bon, tu le vends bien, je le note !!

Electra 6 février 2019 - 21 h 19 min

ah non bien au contraire ! il est très court, mais très fort, un expresso !

Lili 6 février 2019 - 10 h 02 min

Ah oui quand même… J’ai très envie de le lire maintenant.

Electra 6 février 2019 - 21 h 19 min

Super ! Oui, il marque et il est si bien écrit, un régal !

Jerome 6 février 2019 - 11 h 55 min

Je m’en rappelle parfaitement de ce roman , ça avait été une grosse claque : https://litterature-a-blog.blogspot.com/2012/01/vie-animale.html

Electra 6 février 2019 - 21 h 20 min

c’est bien résumé ! je vais te lire 😉

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