Janesville · Amy Goldstein

par Electra
4,2K vues

Janesville : Une histoire américaine

Une histoire américaine – le titre peut sembler présomptueux, l’éditeur français ajoute « humaine » et c’est vrai ! Si j’avais su à quel point j’allais aimer lire ce livre, récit du funeste destin d’une ville américaine, touchée de plein fouet par la crise économique de 2008.

Janesville, comté de Rock, Wisconsin – 63 575 habitants. Le 23 décembre 2018, la dernière voiture General Motors (GM) sort de la chaine de montage de Janesville. Personne ne veut croire à la fermeture définitive de l’usine, d’ailleurs GM leur promet de revenir dès que l’activité économique reprendra. C’est le choc pour la petite ville américaine, pour ses élus et pour tous ses habitants. Fiers de travailler à GM de père en fils, plusieurs générations se côtoient depuis l’ouverture de l’usine en 1923. Un salaire élevé, des benefits (avantages) généreux. Entrer à GM, c’était s’assurer d’un emploi à vie, de la reconnaissance et d’un bon train de vie. L’achat d’une maison, deux voitures, les vacances, la piscine dans le jardin.

Janesville veut croire à sa chance, après tout cette petite ville du Wisconsin a toujours réussi à se remettre de tout, comme la première crise de 1929. Mais à Janesville, GM y produit ses plus grosses cylindrées, des 4X4, invendables dorénavant. L’annonce passée, la ville s’organise, son plus illustre policitien, Paul Ryan, Représentant* depuis 1999 (et futur bras droit de Trump), le Maire, la millionnaire locale. Très vite, on monte au créneau et Barack Obama, en pleine campagne électorale est venue à Janesville et a félicité ses citoyens pour leur engagement. Tous s’engagent et l’Etat fait de même. Un plan de licenciement est en mis en place : GM va payer les frais de reconversion de plus de quatre cent personnes, et va proposer une mutation dans un autre usine GM, beaucoup d’employés vont accepter de s’exiler à plusieurs milliers de kilomètres. Rares sont ceux qui vont préférer la prime de départ. Tous croient qu’ils vont bientôt revenir travailler à l’usine. GM ferme ses portes et des milliers d’emplois sont perdus, car l’usine faisait vivre des dizaines d’entreprises (fournisseurs, intermédiaires, etc.) – d’une usine fermée, on voit le même scénario se reproduire partout en ville. Du jour au lendemain, Janesville est sinistrée par un taux de chômage de 13%.

Amy Goldstein, journaliste au Washington Post, va suivre pendant près de six ans, la vie de cette petite ville et en particulier une dizaine d’habitants. Des employés de GM à travers plusieurs familles (les Beyer, les Vaughn, les Whitateaker, les Wopat), les élus comme Tim Cullen ou Paul Ryan, les éducateurs, les entrepreneurs.  Et c’est ce qui fait la force de tout ce livre : on est à leur côté dans les bons et mauvais moments. On s’attache à eux pendant que l’histoire américaine se déroule sous nos yeux. On se sent impuissants.

Ces personnes vont illustrer les nombreuses difficultés et obstacles que vont rencontrer des milliers d’Américains. Certains vont accepter de changer de vie et profiter des frais d’études gratuits pour donner un nouveau tournant à leur carrière, d’autres vont accepter de partir loin de leurs proches pour continuer de gagner un salaire, d’autres vont chercher un autre emploi, avec plus ou moins de succès.

On ne peut qu’admirer les habitants de Janesville qui vont se mettre en quatre pour aider leurs voisins, leurs élèves, leurs voisins. Ceux qui ne seront pas touchés vont aussi tenter de relancer l’économie en allant chercher de nouveaux contrats. Parallèlement, le candidat à l’élection (au côté de Mitt Romney) Paul Ryan, Républicain, va se battre à Washington pour relancer l’activité économique dans son Etat.

Que dire ? J’ai été complètement happée par ce récit. Les chapitres sont courts, illustrés des combats des habitants de Janesville, des étapes dans la vie de ces familles auxquelles on s’attache, beaucoup.

J’ai aussi énormément appris sur l’économie, sur le gouvernement américain, qui comme les Etats, en échange de plein d’avantages fiscaux, tente de faire revenir les grosses entreprises dans leurs localités.

J’ai eu la confirmation de la fragilité du système économique américain (contrairement au système français où les banques possèdent beaucoup de patrimoine, une valeur sûre, les banques américaines avaient tout misé sur la bourse), et sur l’effet domino de la crise. Ainsi lorsque les cours s’effondrent, tout va à l’eau.

Les employés perdent leurs emplois, leurs banques aussi, et leur réclament des mensualités d’emprunts qui s’envolent, parfois trois fois la valeur réelle de leur maison ; les fonds de pension disparaissent, obligeant des personnes âgées à chercher du travail et la mutuelle, (seule protection sociale) disparait avec l’employeur (les fameux benefits). Sans emploi, aucune protection sociale pour des milliers de famille. Bientôt, les rôles s’inversent : les enfants adolescents prennent un, deux emplois pour payer les courses et les traites. Car les enfants paient le prix fort.

Une ville qui doit sa prospérité à ses habitants: le créateur des stylos Parker, George S.Parker, ou comme ce jeune homme, Joseph A.Craig, qui prit les rennes d’une usine de tracteurs et finit par persuader GM d’investir dans son comté pendant les années 1920. Des portraits émouvants de ces familles, de ces hommes et femmes. Il faut lire Janesville ! Et encore une fois, je salue le talent de ces journalistes d’investigation américains. Amy Goldstein, je retiens son nom.

Barack Obama l’avait classé parmi ses dix lectures préférées de 2017, pas étonnant quand on sait qu’il était au coeur de son histoire.

♥♥♥♥♥

Editions Christian Bourgois, Janesville : An American Story, trad.Aurélie Tronchet, 334 pages

(* membre de la Chambre des Représentants, l’autre chambre américaine est le Sénat)

Et pourquoi pas

18 commentaires

Mes échappées livresques 13 février 2019 - 9 h 10 min

une lecture qui semble passionnante! et un de plus sur ma liste!

Electra 13 février 2019 - 18 h 11 min

totalement ! j’ai été surprise d’être aussi accro 🙂

Edwige Mingh 13 février 2019 - 10 h 50 min

Ton analyse (excellente!) ne m’étonne pas du tout. J’ai suivi l’entretien d’Amy Goldstein sur Arte (28 minutes) il y a quelques temps. Il y a évidemment la patte des journalistes du WashPo… La méthode du terrain, le témoignage et le vécu, la réalité telle qu’elle est. Le rêve américain en prend pour son grade !

Electra 13 février 2019 - 18 h 12 min

Oui, elle n’a pas eu le Prix Pulitzer par hasard ! Quelle femme talentueuse et comme David Grann, ils savent rendent un sujet pourtant sérieux passionnant !

Kathel 13 février 2019 - 10 h 58 min

Noté, noté et renoté, il me le faudra ! 😉 (cette rentrée 2019 est épouvantable !) (pour le porte-monnaie)

Electra 13 février 2019 - 18 h 12 min

Je te suis ! pareil, je ne pensais pas être aussi tentée en cette rentrée hivernale ! et mon porte-monnaie est presque vide LOL

Marie-Claude 13 février 2019 - 19 h 20 min

Je veux – je vais le lire!
Excellent billet! Si je ne l’avais pas déjà repéré, tu aurais réussi à me persuader de mettre la main dessus!

Electra 13 février 2019 - 19 h 36 min

Oui ! Il faut que tu le lises – il est passionnant, les chapitres sont courts mais rythmés et c’est prenant. Il va te plaire ! Si tu ne le trouves pas, je te l’apporte bientôt !

Eva 13 février 2019 - 21 h 54 min

dûment noté ! c’est bizarre la couverture me dit quelque chose, j’ai vu le livre en librairie et j’avais l’impression que c’était un livre qui était sorti depuis un certain temps alors que c’est une nouveauté… la couv doit me faire penser à celle d’un autre livre…

Electra 13 février 2019 - 22 h 09 min

Je ne pense pas car c’est une photo prise à Janesville lors de la fermeture de l’usine de GM, je l’ai retrouvée sur le site du NY Times … mais peut-être avais-tu croisé le livre en anglais ? Il est sorti en 2017. Sinon, je pense qu’il te plaira 🙂

keisha 14 février 2019 - 7 h 31 min

Je viens de lire une enquête un peu du mêem tonneau, alors oui, ça me parle!

Electra 14 février 2019 - 20 h 21 min

Oui je viens de voir cela ! finalement deux lectures assez proches et le même constat…

Virginie 14 février 2019 - 8 h 01 min

J’avais repéré ce titre !
C’est plus un récit qu’un roman, non ?

Electra 14 février 2019 - 20 h 23 min

Ce n’est pas un roman ! C’est une enquête, un récit d’une investigation par une des journalistes du Washington Post. Il n’y a rien de fictionnel, les familles, toutes les personnes citées sont bien réelles mais ça se lit avec la même fluidité qu’un roman 😉

keisha 14 février 2019 - 16 h 03 min

Pas du tout un roman, plutôt une enquête, où la journaliste va mêem jusqu’à tenter la vie en caravane et les p’tits boulots.

Electra 14 février 2019 - 20 h 23 min

ah tu parles du tien ! Oui, les journalistes américains vont souvent dans l’immersion – tu te souviens de celui qui avait mangé uniquement des burgers ?

Jerome 19 février 2019 - 17 h 12 min

Une de mes prochaines lectures. Tu penses que je m’en réjouis d’avance !

Electra 19 février 2019 - 19 h 43 min

ah oui ! tu vas te régaler enfin c’est pas très joyeux mais c’est passionnant, bonne lecture !

Les commentaires sont fermés