White Fragility · Robin DiAngelo

par Electra
3,2K vues

J’ai voulu lire cet essai avant le meurtre de George Floyd. Sa mort et les réactions en chaîne m’ont fait ressortir très vite ce livre de ma PAL. Depuis, bonne nouvelle, il est disponible en français. J’ai presqu’envie de recopier uniquement tous les extraits annotés mais du coup, c’est presque tout le livre !

Il y a un mois, j’ai répondu à un test sur Face de bouc. Le test avait pour but de faire prendre conscience aux gens du nombre de discriminations auxquelles font face les citoyens dans tous les pays occidentaux. Je vous invite fortement à le faire car il vous fait très vite réaliser à quel point nous sommes privilégié(e)s. En disant « nous », je parle des Français à la peau blanche, au nom bien français, à la bonne religion (et/ou à son invisibilité) .. Evidemment, ce livre s’adresse principalement aux Américains mais il s’applique aussi à nous. Le Front N* existe encore, il a beau porter un autre nom, il est toujours là et représente encore une bonne partie de citoyens français racistes.

N’ayant été victime pour ma part que de sexisme (très présent aussi), j’oublie les autres formes de discriminations. Enfin moins depuis que je suis la référente Egalité des Droits à mon travail ; j’ai accepté cette mission car les formations qui ont suivi m’ont ouvert les yeux sur ce que vivent au quotidien certains de mes collègues, parce qu’ils ont la peau sombre, un handicap, un prénom arabe… Ayant travaillé à la Cimade, je sais quel est le parcours quotidien des immigrants mais j’ignorais que les Français étaient autant discriminés.

Bref, ça fait du bien d’être parfois mis mal à l’aise, et Robin DiAngelo en a fait son métier. Je sais depuis fort longtemps, et en étudiant les discriminations, la science l’a démontré:  le cerveau humain aime caser les gens, les choses. Il les range dans des boîtes. Et on juge de la même manière tout ce qui se retrouve dans cette petit boîte. Hello préjugés.

Notre socialisation raciale nous oblige à répéter un comportement raciste, quelques soient nos intentions ou notre identité. Nous devons continuer à nous demander comment le racisme se manifeste, et pas s’il se manifeste.

Robin DiAngelo en a fait la thèse de ses études et a commencé en 2011 à parler de « fragilité blanche ». Son travail l’a amenée à faire participer des employés d’entreprises à des groupes de travail sur le racisme, leur racisme. Et donner voix à leurs collègues noirs, souvent sous-représentés. Les extraits sont très parlants. Nous sommes tous discriminants du fait de notre éducation et de la société qui nous a vu grandir. Souvent, nous le sommes inconsciemment. Mais nos préjugés sont là et savent très bien remonter très vite à la surface à certaines occasions. J’en suis consciente, j’ai des préjugés.

Lorsque DiAngelo tient ce discours, la réaction des employés est immédiate : la colère, la peur, la culpabilité, le déni ou le silence. Et parfois les pleurs et là la victime change de personne. Comment parler de privilèges lorsque plus de 35 millions d’Américains vivent sous le seuil de pauvreté ? Idem en France, pas dans les mêmes nombres et conditions, mais la crise du Covid-19 a fait replonger notre fragile économie. Forcément, ils ne peuvent y voir un privilège d’être blanc.  Et nombreux ceux, qui vivent dans les banlieues et n’ont aucun ami de couleur, ne se pensent pas racistes. Ils n’imaginent pas que leurs propos, prononcés sans mauvaise intention à un collègue, peuvent causer de la peine. lls/elles pensent que seuls les gens méchants sont racistes.  Le souci c’est que le collègue noir n’a pas possibilité de répondre à ces libéraux, des gens soi-disant « biens ».

Bien que la fragilité blanche soit déclenchée par la gêne et l’anxiété, elle est née du sentiment de supériorité et d’être dans son droit. La fragilité blanche n’est pas une fragilité au sens propre.

Robin DiAngelo revient sur l’histoire américaine. La plupart des gens imagine que le racisme se réduit à des actes ponctuels d’individus. Or c’est faux, il s’agit d’un racisme systémique implanté culturellement, socialement et économiquement. Un racisme institutionnalisé. Les blancs ont tout fait depuis la fin de l’esclavage pour conserver leurs privilèges. Ils ont passé des lois leur permettant de maintenir les citoyens de couleur loin d’eux. Bien avant, les scientifiques européens (dont des Français) ont, pour justifier l’esclavage et la colonisation, créé le concept de races supérieures et inférieures.  Et le mouvement des droits civiques des années 60, mettant fin à la ségrégation et accordant le droit de vote aux citoyens noirs n’a pas mis fin au racisme aux USA.

Le discours de Robin DiAngelo vous parlera, même à vous, lecteur français, car si nous n’avons pas connu l’esclavage, nous l’avons organisé et financé allègrement. Je suis Nantaise, mes aïeuls vivaient de la traite négrière. Et aujourd’hui le racisme est toujours présent sur le sol français. DiAngelo exclue le sentiment de culpabilité pour ce qui a été fait dans le passé. Non, elle veut simplement que les citoyens blancs prennent conscience de leurs actes et surtout de leur silence. Déjà en 2011, elle appelait à une discussion nationale, et avec clarté et compassion, elle fait prendre conscience que le racisme n’est pas uniquement le fait de quelques individus. Elle s’attaque aussi à l’éducation « color blind » qui dit que tous les gens sont égaux et que du coup, on ne voit plus les couleurs. Un discours très prononcé en Europe. Or c’est faux, votre cerveau voit d’abord la couleur de peau et vous ramène directement à la fameuse petite case. Ignorer la couleur d’une personne, c’est aussi une forme de discrimination.

L’intransigeance  est l’un des autres piliers de la fragilité blanche : le refus de toute forme d’éducation.

Il ne suffit plus de ne pas être raciste, il faut être non-raciste. Et le meurtre de George Floyd a fait prendre conscience aux Américains de leur devoir de manifester, de prendre la parole.

Je peux justifier mon silence en me persuadant qu’au moins, je ne suis pas celle qui a fait la blague raciste et que donc je ne suis pas responsable. Mais c’est faux, mon silence n’est pas innocent car il protège et maintient la hiérarchie raciale et ma place à l’intérieur de ce sytème.

L’autrice risque donc de vous mettre parfois face à vos propres silences, vos propres préjugés. Mais c’est le but, comme les formations sur les discriminations.  Si vous avez la possibilité d’en suivre, faites-le. Je connais dorénavant mes préjugés et je suis plus consciente de mes failles.

Dans vie quotidienne, ma race est invisible. Je me reconnais dans les publicités, dans les séries, dans les best-seller, dans les succès cinématographiques. (..) Dans chaque situation ou contexte normal, neutre ou prestigieux en société, j’appartiens à la bonne « race ».

Si vous souhaitez tester votre relation aux autres ou si vous souhaitez savoir comment fonctionne le racisme systémique ou si vous doutez encore de vos privilèges, lisez ce livre. Et si j’étais prof de lycée, je l’imposerai au programme. Ce n’est pas aux personnes de couleur de nous expliquer le racisme, c’est à nous d’écouter et de faire notre propre examen de conscience.

Je sais qu’en lisant ces phrases, vous en reviendrez à un fait scientifique indéniable et que j’approuve : il n’y a qu’une seule race, l’espèce humaine. En France, on n’emploi ni le mot race ni le terme blanc dans notre vocabulaire. Mais les Américains ont créé et conceptualisé ce système de races, au point que lorsque vous remplissez vos papiers pour le permis de conduire ou un tout autre formulaire officiel, vous devez cocher une case correspondant à une supposée race. Pour info, la première fois que cela m’est arrivée, j’ai coché « Caucasien » et cela m’a vraiment perturbé. Mais aux Etats-Unis, il est impossible de parler du racisme sans parler de races.

Les éditions Arènes viennent de le publier (le 1er juillet) le roman éponyme traduit en français.

Black Lives Matter

♥♥♥♥♥

Penguin Books, 2019, 192 pages 

Photo by Clay Banks on Unsplash

Et pourquoi pas

4 commentaires

Rachel 14 juillet 2020 - 11 h 57 min

Je dois t’avouer que lorsque je parle à quelqu’un d’un sujet commun je ne vois pas les distinctions, homme/femme, couleur de peau, origines.. Je m’adresse à un individu. Et j’espère aussi que les autres me perçoivent comme ça, pas en tant que femme blonde ayant un prénom juif. A chaque fois que l’autre en face me mettait dans une case, ça a toujours mal fini. C’est pour cela que je ne peux pas adhérer aux propos de ce livre (lu en français, non chroniqué). Après, je suis toujours dans les rangs pour défendre une injustice ou pour en apprendre plus de l’autre. Mais c’est un échange. Je ne sais pas si je suis très claire. Bisous. Rachel

Electra 14 juillet 2020 - 13 h 23 min

C’est étrange car ce que tu dis est exactement ce qu’elle explique : on met les autres dans des cases et tu n’as jamais supporté que l’on fasse avec toi (ce qui est normal). C’est vraiment bizarre parce que je ne cesse de relire ton commentaire, et tout ce que tu dis est exactement ce qu’elle défend…. ???
Ce n’est pas clair pour moi, désolée ! Pour ce que tu dis, sur les passionnés qui parlent d’un sujet commun, je te rejoins. Ce qu’elle dit, c’est que l’autre personne venue peut-être à ta rencontre pour échanger sur un sujet commun (les livres) mène une vie où tous les jours on lui rappelle qu’elle est différente. Dans la rue personne ne t’arrête pour te traiter de sale noire, pas de vigile qui te suit dans un magasin pour voir si tu vas voler.. etc. Pas de contrôle d’identité pour ton petit frère. Tu remplis un dossier sans te dire que tes chances d’obtenir un job, un appartement vont être moins grandes parce que ton nom a une consonance étrangère ou que tu vis dans une banlieue à la mauvaise réputation… C’est ce qu’elle explique dans le livre et ce que j’ai appris en formation. J’ai appris car comme toi j’ai toujours parlé à tout le monde, je n’ai jamais jugé les gens sur leurs seules apparences, mais je ne suis jamais allée non plus au fond des choses. Simplement parce que je ne vis pas leur quotidien. Entendre une collègue, hôtesse d’accueil, que j’apprécie m’avouer qu’elle est régulièrement insultée avec des « sale nègre », je n’y avais jamais pensé. Pourtant, ça fait partie de son quotidien. C’est de cela que parle DiAngelo. Et c’est cela qu’il faut changer. Et tes propos confirment ce qu’elle dit. Du coup, j’ai de gros doutes sur la traduction du livre 🙂 bisous

Fanny 19 juillet 2020 - 10 h 02 min

Je note évidemment!

Electra 20 juillet 2020 - 10 h 39 min

super !

Les commentaires sont fermés