Désorientale ∴ Négar Djavadi

par Electra
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C’est dans le cadre du Prix Littéraire que j’ai reçu ce roman – j’étais ravie car je le voyais apparaitre ci et là sur les blogs. J’apprends en rédigeant ce billet qu’il s’agit encore d’un premier roman. Je devrais m’amuser à compter le nombre de premiers romans lus cette année ! Négar Djavadi est née en Iran dans une famille d’intellectuels opposants aux régimes du Shah puis de Khomeiny. Elle arrive en France en 1980 à l’âge de onze ans après un long périple à cheval avec sa mère et sa soeur à travers les montagnes du Kurdistan. Aujourd’hui, elle est scénariste et vit à Paris.

En découvrant ces faits autour de l’auteur, ce premier roman ressemble beaucoup à sa propre  enfance avec quelques nuances cependant. L’héroïne s’appelle Kimiâ Sadr et est DJ. Née à Téhéran en 1971, exilée à Paris à l’âge de dix ans, elle a très vite pris son indépendance et a vécu un peu partout : Berlin, Londres, Bruxelles avant de revenir à Paris, où désormais elle suit un protocole d’insémination artificielle. Kimiâ et son ami Pierre veulent un enfant. Les médecins ont accepté de commencer le protocole contre une promesse de mariage que Kimiâ ne cesse d’annoncer. Kimiâ ment. Alors qu’elle enchaine les rendez-vous auprès des médecins de l’hôpital Cochin, la jeune femme voit peu à peu son passé ressurgir. L’Iran, sa patrie qu’elle avait réussi à tenir éloignée pendant des années, revient à elle et elle ne peut plus arrêter le flot des souvenirs.

Kimiâ se souvient alors des premiers Sadr – de ce riche chef de clan, époux de 28 femmes dans les montagnes Perses à ses parents, son père Darius, un intellectuel opposé au régime et sa mère Sara, d’origine arménienne – la jeune femme réalise le parcours parcouru. Avec sa famille, la jeune femme nous raconte tout simplement l’histoire d’un pays la Perse – rebaptisée Iran à l’arrivée de Khomeiny et des « envahisseurs ».  Darius et son épouse étaient déjà des opposants bien avant que le régime ne chute en 1979, ils s’opposaient au Shah qui jouaient le jeu des puissances occidentales et avait laissé la corruption gangréner son pays. Darius ose ainsi écrire au gouvernement et signer de son nom. Sa femme, enseignante d’histoire à l’université est peu à peu isolée pour ses opinions politiques. Ils souhaitent le départ du Shah mais se méfient du retour de Khomeiny, exilé en France – cet homme ressemble à un futur dictateur. Et ils n’ont pas tort, en quelques années, les Sadr devront fuir dans des conditions terribles pour ne pas être exécutés par les hommes de l’Ayatollah.

Les Sadr étaient une famille d’intellectuels bourgeois qui rêvaient de la France – le père y avait vécu après avoir refusé un mariage forcé, il n’était revenu que dix ans plus tard et avait croisé Sara, de treize ans plus jeune – la seule femme qui lui avait enfin donné envie de se marier. Darius ne voulait pas d’enfant, il en aura trois : Léïli, Mina et Kimiâ. L’homme rêvait secrètement d’un fils et cela aurait porté une malédiction à la dernière (Kimiâ).  Les enfants apprennent le français et rêvent de ce pays des Droits de l’homme – le désenchantement sera fort à leur arrivée. Leur mère ne se remettra jamais de cet exil forcé. Elle avait publié ses journaux intimes où elle racontait sa vie de pestiférée du régime jusqu’à ce jour fatidique où Darius fut arrêté.  Arrivée en France, ses filles veulent oublier. Personne ne sait d’ailleurs prononcer le nom de Kimiâ, elle devient Kimy. Elle cache ses origines. La jeune femme, garçon manqué, s’émancipe très vite – elle trouve sa liberté en rejoignant le mouvement punk – l’alcool, les garçons – sa mère et elle arrivent au clash et Kimiâ claque la porte de la maison à l’âge de quinze (ou seize ans).

Mais ce que Sara ne comprenait pas, ou ne voulait pas comprendre, c’était que Mina, tout comme Léïli et moi, n’avait aucune envie de revivre ce passé (…) Nous n’arrivions tout simplement plus, chacune pour nos raisons, à nous confronter à ces images, ces évènements, ces anecdotes que le temps avait rendus aussi terrifiants qu’un cadavre en décomposition.

Elle n’y reviendra que longtemps après. La musique et quelques rencontres magiques la sauvent – et peu à peu la jeune femme découvre qui elle est. Elle a grandi à l’Iranienne, une famille très présente, six oncles (appelés n°1, n°2), des dizaines de cousins et surtout l’image permanente de « Mère ». Ce n’est pas Sara mais la mère de Darius, celle qui a eu sept fils. Celle qui a mis au monde sept fils aux yeux bleus. Les yeux bleus qui sont, selon elle, l’héritage des Sadr. Née au harem d’une jeune fille morte en couches, avec sa soeur jumelle, elle avait été remarquée par son père pour ses yeux bleus intenses.

Kimiâ est née à la maternité alors que sa grand-mère « Mère » meurt deux étages plus bas.

(…) J’avais l’impression étouffante d’être coincée dans un couloir étroit avec deux portes de part et d’autre, à jamais condamnées. Derrière l’une se trouvait l’Iran de mon enfance et derrière l’autre la France de mes illusions.

Bientôt mon prénom ne sera plus prononcée de la même manière, le « â » final deviendra « a » dans les bouches occidentales, se fermant pour toujours. Bientôt, je serai une désorientale.

Le roman de Négar Djavadi m’a un peu désorienté au départ – me retrouver dans un harem au début du 20ème Siècle puis dans une unité PMA à l’hôpital Cochin quelques pages plus tard peut surprendre. La narratrice raconte sa vie, celle de sa famille et de son pays, la Perse – un pays mythique, disparu sous les bombes (la guerre Iran-Irak) et disparu de l’histoire en changeant de nom.

J’ai fini par accrocher et j’ai vraiment aimé partir à la découverte de ce pays, et surtout les années entre la chute du Shah et la mise en place de la République Islamiste. On voit comment chaque régime s’installe et prive à nouveau les espoirs d’un peuple entier. Et puis ensuite, l’arrivée en France et le désenchantement. Les difficultés à s’adapter et s’insérer dans la société française. Evidemment, aujourd’hui on ne peut penser qu’aux réfugiés syriens, souvent issus des mêmes classes sociales qui ont du fuir leur pays.

J’ai aussi aimé le parcours compliqué de Kimiâ à travers l’Europe et surtout la découverte de sa sexualité. Le seul bémol vient peut-être d’un secret que la narratrice nomme « L’EVENEMENT » , mot toujours écrit en lettres majuscules. J’avoue que j’avais deviné une partie du secret assez rapidement en lisant le roman, même si j’ai été surprise par les circonstances lorsqu’elle se confie enfin. J’ai du mal à saisir ce choix – forcément c’est un évènement traumatisant mais l’appeler ainsi m’a paru un choix finalement peu judicieux et même contre productif. Et surtout ce roman n’a pas besoin de secret – ce n’est pas un polar. L’histoire se suffit à elle-même.

J’ai lu avant de rédiger ce billet l’avis très tranché de Mior et j’ai aussi lu que certains remettent en cause certains faits – mais je sais que la France a accueilli et soigné Khomeiny et l’a aidé à prendre le pouvoir. Pas très joli tout ça. Je pense que ce roman a sa place de nos jours avec la guerre en Syrie.

♥♥♥♥♥

Editions Liana Levi, 2016, 352 pages

 

Et pourquoi pas

14 commentaires

keisha 11 janvier 2017 - 7 h 17 min

J’ai bien aimé (de toute façon après un voyage en Iran, tu redescends difficilement!!)
Quant à l’événement, j’ai laissé ça de côté et j’ai lu, et quand c’est arrivé, oui oui, d’accord, pas plus que ça, quoi.

Electra 11 janvier 2017 - 7 h 31 min

oui moi aussi bien aimé ! Mais le mot en lettres majuscules m’a quand un peu énervé car comme tu le dis c’était juste ça …

Hélène 11 janvier 2017 - 8 h 18 min

Un roman que l’on voit beaucoup en ce moment !

Electra 11 janvier 2017 - 9 h 51 min

Oui, je l’ai reçu dans le cadre d’un challenge, je ne pense pas que je l’aurais lu sinon même s’il me faisait envie ! Dépaysement garanti 🙂

Jerome 11 janvier 2017 - 10 h 41 min

Repéré depuis sa sortie, je vais sagement attendre la version en poche 😉

Electra 11 janvier 2017 - 14 h 00 min

Tu m’étonnes encore dans tes choix littéraires ! mais oui il peut attendre la version Poche (la couverture sera j’espère plus jolie 🙂

Eva 11 janvier 2017 - 13 h 48 min

il me tentait beaucoup car l’Iran est un pays fascinant (même si je ne suis pas sûre d’y aller un jour), j’ai commencé Désorientale, mais j’avais du mal à accrocher – mais période où j’étais fatiguée et où j’avais du mal à me concentrer – donc je l’ai mis de côté afin de le reprendre lors d’une période plus propice… bon, j’espère que je le reprendrai un jour, car depuis la PAL a bien augmenté et avec la rentrée de Janvier, il y a énormément de nouvelles tentations !

Electra 11 janvier 2017 - 14 h 01 min

Ah oui, trop de tentations et beaucoup de lectures programmées aussi pour cette rentrée ! moi j’étais chez moi donc l’esprit au calme, et reposée ! le début peut paraître un peu froid au départ mais après ça va tout seul.

Marie-Claude 11 janvier 2017 - 14 h 38 min

Je l’ai vu partout, ce roman. Ton billet m’en apprend beaucoup. Assez, sans doute!
Pas certaine du tout de craquer. Les tentations sont déjà trop nombreuses!

Electra 11 janvier 2017 - 17 h 39 min

Oui, je ne sais pas s’il te plairait effectivement – disons qu’il est prometteur comme premier roman (encore un) mais tu peux faire passer avant d’autres lectures à mon avis !

gambadou 12 janvier 2017 - 10 h 48 min

Comme toi j’ai eu un peu de mal au départ avec tous les personnages et les aller-retour, mais une fois rentré dans le roman, j’ai beaucoup aimé.

Electra 12 janvier 2017 - 13 h 20 min

Pareil ! Il faut pas laisser !

noukette 12 janvier 2017 - 22 h 18 min

Intéressant mais je n’en ferai pas une priorité, peut-être en sortie poche 😉

Electra 13 janvier 2017 - 8 h 36 min

Oui ! Du dépaysement et le destin d’une femme mais la sortie en Poche devrait arriver !

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