Bluets · Maggie Nelson

par Electra
5,2K vues

J’ai longtemps hésité à lire The Argonauts de Maggie Nelson mais une amie m’a dit qu’il ne me plairait pas. J’ai décidé du coup de découvrir l’auteur différemment en lisant son récit sur l’assassinat de sa tante, Une partie rouge et j’avais aimé ses réflexions. Puis lors de mon séjour au Canada, j’ai eu la chance de voir la bibliothèque de Maud et d’y trouver tous les livres de Maggie Nelson, du coup je lui ai demandé lequel était son préféré (elle ne les avait pas encore tous lus), elle m’a tout de suite indiqué : Bluets, son essai sur la couleur bleue.

240 entrées – des notes, des réflexions sur la couleur bleue et tout ce qu’elle représente pour Maggie Nelson, mais pas uniquement, Maggie Nelson va plus loin dans ses réflexions.  Ici c’est le bleu, la couleur qui l’obsède depuis des années et l’a poussée à rechercher tout ce qui a trait à cette couleur, du bleu indigo dans la peinture des impressionnistes, au blues des jazzmen, aux « mots bleus » des poètes. Maggie Nelson confie ici le résultat d’années de recherches (jamais subventionnées à son grand désespoir) sur la couleur préférée de la plupart d’entre nous.

Le bleu, la couleur du ciel et de l’océan, la couleur du bien-être ? Pas seulement, ainsi d’Andy Warhol à Billie Holiday, Maggie Nelson scrute « le blues » le bleu de la tristesse, synonyme de dépression. Maggie Nelson écrit cette série de notes  à une époque clé de sa vie : une rupture amoureuse brutale où elle confie son deuil du plaisir charnel, du corps étranger et de l’accident terrible d’une amie, devenue tétraplégique. J’ai beaucoup aimé ses écrits sur son amitié pour cette femme dont la vie vient d’être brutalement chamboulée et de son impuissance à pouvoir la soulager.

Over time my friend my injured friend’s feet have become blue and smooth from disuse. Their blue is the blue of skim milk, their smoothness that of a baby’s. I think they look and feel strange and beautiful. She does not agree. How could she be – this her body ; its transformations, her grief.

J’avoue qu’au début de ma lecture j’étais dubitative car j’ai détesté la couleur bleue pendant des années. J’ai commencé à porter des vêtements bleus très tardivement, j’aime uniquement le bleu électrique et le bleu foncé.  J’aime pourtant le ciel bleu et la mer. Mais je sais ce que c’est d’être touchée, émue par une couleur : j’ai toujours aimé le vert (les plantes vertes) et les montagnes du Vietnam et ses rizières d’un vert incroyable ont définitivement scellé mon amour pour une couleur.  Alors, oui ses propos peuvent parfois surprendre comme ses digressions sur le sexe, mais l’ensemble est fascinant et Maggie Nelson réussit à transmettre au lecteur bien plus qu’une simple obsession.

Generally speaking I do not hunt blue things down, nor do I pay for them. The blue things I treasure are gifts, or surprises in the landscape. The rocks I dug up this summer in the north country, for example, each one mysteriously painted round its belly with a bright blue band. The little square junk of navy blue dye you brought me long ago, when we barely knew each other, folded neatly into a paper wrapper.

Maggie Nelson traduit ici combien le plaisir et la souffrance sont inextricablement liés l’un à l’autre, comme le bleu peut exprimer la beauté mais aussi le désespoir. J’ai beaucoup aimé l’ensemble de ses réflexions, sa manière d’étudier le bleu, mais aussi nos émotions, nos rapports à la douleur, à la vie.  Le bleu est la couleur préférée pour la majorité des occidentaux (excepté pour les Hollandais) aussi Maggie Nelson ne sent pas exceptionnelle, même si son obsession peut sembler étrange à nos yeux mais grâce à elle on redevient voyant un temps. J’ai ainsi beaucoup aimé les premières pages où elle revient au sens même de la vue, à notre interprétation des couleurs, d’où elles viennent – j’ai trouvé cela passionnant.

Bref, ma découverte de l’univers de Maggie Nelson a été plus que satisfaisante ! Aussi, j’ai dorénavant très envie de continuer à la lire et même les Argonautes.

♥♥♥(♥)

Editions Jonathan Cape (Penguin), 2017, UK, 112 pages
Painting © Roger Smith 2016

Et pourquoi pas

19 commentaires

Anne 15 août 2018 - 10 h 47 min

Ah dommage que ce soit en anglais parce que moi le bleu… j’en suis bleue 😉 Heureusement en français, sur la couleur, il y a les essais de Michel Pastoureau.

Electra 15 août 2018 - 11 h 42 min

Oui, je pense que vu son succès et celui des Argonautes, il devrait être traduit d’ici peu ! Elle n’a pas mentionné cet auteur mais plusieurs essais sur cette couleur – j’ai à présent envie de lire ses autres essais car j’aime sa manière d’aborder « le monde »
sinon j’ai pensé de suite (pourquoi n’en ai-je d’ailleurs pas parlé?) à Sacré Bleu de Christopher Moore, un superbe roman sur le « bleu » que les impressionnistes parisiens payaient cher pour dénicher !

keisha 15 août 2018 - 13 h 16 min

Un peu comme Anne, voir Pastoureau (et peut être en vrai, il sera aux RV de l’histoire à blois en octobre

Electra 15 août 2018 - 21 h 22 min

Je ne suis pas passionnée par la couleur bleue contrairement à l’auteur (je parle de ma couleur préférée dans mon billet) mais pour ceux qui sont curieux c’est un renseignement précieux (et toi tu peux lire en anglais …)

Marie-Claude 15 août 2018 - 15 h 24 min

Sa traduction ne saurait sans doute pas trop tarder. Après la lecture d' »Une partie rouge », je veux aussi poursuivre ma découverte, mais je repousse ces « Argonautes » pour le moment…
Quelle idée originale: un bouquin sur une couleur…

Electra 15 août 2018 - 21 h 24 min

Oui, vu le succès qu’elle a et puis c’est vraiment passionnant et le format (des notes pas plus longues qu’un paragraphe) sont originales. Elle est carrément obsédée par cette couleur, du coup, elle a eu l’idée d’en faire un livre et de le financer mais personne n’a jamais voulu l’aider – et le bleu a tant de significations ..

Edwige Mingh 15 août 2018 - 17 h 28 min

Est-il question du Bleu Yves Klein ? Pas très tentée par ce genre de bouquin. Mon programme actuel c’est « The Western Star » et « The Depth of winter » (parution dès septembre aux States) de Craig Johnson…

Electra 15 août 2018 - 21 h 27 min

Non, elle fait référence aux poètes et impressionnistes mais elle n’en fait pas des chapitres, je ne l’ai pas peu-être pas assez expliqué, c’est un essai sur nos sentiments exprimés à travers une couleur. Bref, rien à voir avec les romans – il s’agit d’un essai donc oui très éloigné de tes lectures ! J’aime varier entre non fiction et romans, j’en ai besoin mais je sais que ce genre rebute et surtout ceux qui utilisent leurs propres expériences. Bonne lecture ! Je dévore le Hardcastle pour ma part et je vais lire Svetlana Aliexevitch.

Titezef72 15 août 2018 - 21 h 33 min

J’aime l’idée d’un essai sur une couleur. Il y’a tant à rattacher au bleu ou aux autres couleurs. Le bleu me fascine… La Mer, Le ciel, Les yeux bleus… Mais aussi une note négative que je ne suis pas prête d’oublier. La chambre bleue dans un de mes lieux de stage en psychiatrie était la chambre d’isolement pour patient en crise. (Cela serait apaisant) Depuis je ne supporte plus le carrelage ou la tapisserie bleue 😂😂😂.
Hâte qu’il soit traduit. Merci pour ce petit aperçu.

Electra 15 août 2018 - 22 h 09 min

De rien ! Oh j’aime ce que tu dis car oui on a tous un rapport particulier avec certaines couleurs, par exemple moi je n’aime pas beaucoup le jaune (sauf en petites touches comme des coussins), je ne supporte pas la déco « méditerranéenne » avec les murs en jaune et bleu ! Je comprends pour ton lieu de stage. On y a attache des sentiments. Oui, il va être traduit et il te plaira car tu aimes le bleu ! (lis Sacré Bleu du coup !)

Titezef72 15 août 2018 - 22 h 48 min

Ah le jaune et bleu méditerranéen…désolée si je froisse certain(e), mais je trouve cela vraiment kitch. Les goût et les couleurs hein !
Mais au delà des goûts , il y a autre chose de plus profond, je trouve. Les couleurs agissent sur mon humeur … et elles jouent un rôle aussi sur le choix de mes aliments…
Ah le packaging ! Je mange un yaourt avec un pot vert et le bleu reste dans le frigo 😁. Sujet passionnant, ces interactions !
Je vais jeter un œil sur Sacré bleu.

Electra 17 août 2018 - 20 h 24 min

J’adore tes exemples ! Oui, les couleurs nous guident. Moi c’est le vert, je le suis aveuglément !

Titezef 19 août 2018 - 14 h 13 min

😊😁

La Rousse Bouquine 17 août 2018 - 16 h 03 min

Je lis peu de « non-fiction books » de manière générale, mais celui-ci me donne très envie. Je suis aussi très sensible à la symbolique des couleurs, donc je pense que je serais séduite par ses aphorismes !

Electra 17 août 2018 - 20 h 25 min

Oui, elle a vraiment poussé ses recherches sur le sujet et puis pourquoi le bleu est-il bleu ? et pourquoi est-ce une couleur lié à la déprime (le blues) ? Et notre rapport aux couleurs.

Eva 20 août 2018 - 11 h 25 min

j’ai lu Les Argonautes mais je ne l’ai pas (encore?) chroniqué car je n’ai pas été convaincue par l’aspect fragmenté du récit – même si les sujets du genre, du rapport au corps, de la cellule familiale « différente » sont vraiment intéressants, mais j’ai vraiment très envie de découvrir Une partie rouge, qui semble correspondre tout à fait au genre de livre que j’aime.

Electra 21 août 2018 - 9 h 54 min

Effectivement, il se peut que lire les Argonautes en tout premier puisse un peu déstabilisé (et vu le sujet), ici elle a un sujet bien défini : la couleur bleue. Pour la partie rouge, elle parle aussi de son métier d’écrivain et le fait d’écrire sur cette tante assassinée mais c’est déjà très intéressant (même si dorénavant je préfère Bluets)

Diane 24 août 2018 - 10 h 37 min

J’ai adoré Une partie rouge mais viscéralement détesté Les argonautes (oui, rien que ça). Du coup j’hésite à lire Bluets de peur d’être encore déçue mais tu pourrais bien me convaincre !

Electra 24 août 2018 - 19 h 15 min

Ah oui, c’est fort ! Mais c’est aussi intriguant du coup ! Comme je n’ai pas lu Les Argonautes, je ne sais pas trop si tu vas aimer – ici c’est un essai, ses réflexions – – du coup, je me dis que je peux aussi détester les Argonautes !

Les commentaires sont fermés