Did you ever have a family · Bill Clegg

par Electra
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Ils vous arrivent d’emprunter un livre à la bibli puis de le rendre sans l’avoir lu ? C’est l’histoire de ce roman, je l’avais repéré il y a plus d’un an et emprunté, mais j’avais tellement de lectures à l’époque et le sujet me taraudait. Je l’ai réemprunté et après une série d’essais, j’ai eu envie de replonger dans la fiction. Sage décision !

Bill Clegg a marqué fort les esprits avec ce premier roman, publié en 2015 et sélectionné pour le Man Booker Prize et le National Book Award- rien de moins que ça ! Première bonne nouvelle : le livre a été traduit et publié chez Gallimard en 2016. Deuxième bonne nouvelle : j’ai découvert un auteur incroyable.

Incroyable car ce jeune homme à l’allure de premier de la classe a réussi à se glisser dans des personnages féminins quinquagénaires, dans des êtres dévastés avec une élégance folle. Un talent incroyable. L’histoire est si triste qu’on pense tout de suite à sortir les mouchoirs, et pourtant non. Pas de misérabilisme, ni de guimauve mais une plongée fascinante dans le deuil et dans la résilience, et dans ce qui fait de l’humain un être extraordinaire, son instinct de survie.

A la veille du mariage de sa fille unique, la vie de June Reid est totalement chamboulée. En un instant, elle perd tout. Sa maison, sa famille. Seule, June décide de quitter cette petite ville du Connecticut. Elle part sans aucun trajet en tête.  Elle laisse derrière elle une communauté effondrée, mais avec le temps, les voix s’élèvent et naît alors une toile de connexions toutes intimement liées par cette tragédie.

De ce couple qui gère un motel face au Pacifique où June vient s’installer sous un faux nom occupant la chambre n°6, au traiteur dont la mère avait préparé le gâteau du mariage et qui ne sera jamais remboursé, à la mère de Luke, Lydia (le compagnon de June), au jeune Silas, 15 ans qui travaillait pour Luke et cache un secret, tous prennent la parole. Tous sortent peu à peu de ce silence et arrivent à mettre des mots sur les maux. Peu à peu se dessine une forme de renaissance.

L’auteur réussit un véritable tour de force en donnant voix à ces personnages, tous profondément touchés, comme mutilés, mais d’une telle élégance malgré les ragots vite répandus dans cette petite ville. June, la cinquantaine, ne fréquentait-elle pas Luke, trente ans, jeune homme métis au passé criminel ? Est-ce lui le véritable responsable de cette tragédie ? Et qu’en est-il de Lydia, la mère de Luke, qui trente ans plus tôt donnait naissance à cet enfant alors qu’elle était l’épouse d’un enfant du pays Irlandais catholique ?

June prend la route, désespérée – elle va croiser des personnes bienveillantes, et découvrir des jours après sa fuite, les valises de sa fille et de son fiancé dans son coffre – ils devaient s’envoler rapidement pour leurs voyages de noce et avaient déjà tout préparé. Dans leurs affaires, June découvre les carnets de sa fille unique. June et Lolly avaient une relation très compliquée, elle avait 14 ans lorsque June avait quitté son père et était partie s’installer à Londres. Comment avait-elle pu abandonner mari et enfant ? A son retour, elle avait choisi de s’installer définitivement dans cette petite ville du Connecticut où elle venait en vacances puis elle avait rencontré Luke, de vingt ans son cadet. Lolly ne la contactait que rarement et leurs échanges étaient très limités, comme ceux de Luke avec sa propre mère Lydia.

Femme de ménage, celle-ci ne lui avait jamais parlé de son père biologique. Seul garçon noir, il avait un parcours très prometteur, sportif de haut niveau, il venait de décrocher une bourse pour Standford lorsque tout s’effondra. Envoyé en prison, Luke voyait tous ses rêves disparaître. Mais après huit années de silence, June avait réussi à rétablir le contact entre Luke et sa mère.

Si tous les portraits dans ce livre sont magnifiques, ceux de Lydia et de June m’ont particulièrement touchés, toutes deux la cinquantaine, elles sont magnifiques. Les passages où June lit les carnets de sa fille sont très émouvants comme le portrait fait de Will, le fiancé de Lolly. Bill Clegg possède un véritable talent en replaçant l’amour au centre de l’histoire et la famille, celle que l’on a ou que l’on se construit.

J’ai adoré la manière dont il amène ses personnages à se retrouver, à cheminer ensemble. L’humanité et la dignité qu’il donne à ces personnes. Ici, pas de recette miracle, pas de morale.  Des portraits subtiles et intelligents. Une maîtrise du style impressionnante.  Ses personnages traversent l’Amérique, traversent le temps, la vie, la mort.  Plus qu’un simple voyage, a journey. J’ai adoré sa prose, sa fluidité. Je l’ai lu en anglais donc je ne peux pas juger la traduction.

Je tiens à préciser que la narration qu’il a choisi peut vous perturber au départ. Une narration complexe qui exige une certaine attention du lecteur, mais comme un puzzle, toutes les pièces se mettent en place et le résultat est tout simplement magnifique.

♥♥♥♥

Editions Gallery/Scoutt Press, 2016, 320 pages
Editions Gallimard, 2016, 288 pages (Et toi, tu as eu une famille?)

 

Et pourquoi pas

6 commentaires

Marie-Claude 19 décembre 2018 - 14 h 55 min

Commencé et… abandonné! À te lire, je pense que j’aurais dû persévérer…

Electra 19 décembre 2018 - 19 h 53 min

ah oui ? tu ne m’en as jamais parlé, j’ignore du coup pour la traduction mais l’écriture en anglais est très belle et l’étude des personnages. J’ai vraiment aimé !

Eva 19 décembre 2018 - 20 h 34 min

ah mais oui, je me souviens de la couverture du roman Gallimard ! j’avais eu des échos mitigés, donc je ne l’ai pas lu… mais ce que tu en dis donne envie !

Electra 20 décembre 2018 - 19 h 17 min

Oui, je crois que certains ont été troublés par la structure du roman mais moi j’ai beaucoup aimé ! et c’est très maitrisé pour un premier roman !

Jerome 20 décembre 2018 - 12 h 53 min

J’ame bien les narrations complexes, c’est stimulant je trouve 😉

Electra 20 décembre 2018 - 19 h 18 min

Pareil ! Ici ça se prête à merveille, on voit l’évolution des sentiments de chacun et on s’amuse à recréer ces liens 🙂

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