Albert Black · Fiona Kidman

par Electra
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C’est en lisant la chronique de Kathel sur son blog que j’ai découvert ce roman néo-zélandais. Fiona Kidman est une autrice prolifique et pourtant son nom m’était encore inconnu. L’histoire d’Albert Black m’a tout de suite intéressée et je m’y suis plongée un matin pour le terminer dans la même journée. Bon signe, non ?

Nous sommes en 1955 et le procès d’Albert Black, jeune émigré « irlandais » s’ouvre. Agé tout juste de vingt ans, le garçon a quitté Belfast pour tenter sa chance dans ce pays « neuf ». Mais les étrangers sont mal vus. Et même si Albert est Protestant et Britannique, on le surnomme très rapidement l’Irlandais, et on l’appelle Paddy. Albert accepte sans ciller. Il a grandi à Belfast sans jamais trop se soucier de sa religion et jouait avec des enfants catholiques et aimait beaucoup leur voisine, une Catholique dévote. Sur le bateau, il fait la connaissance de Peter, un jeune Ecossais parti aussi tenter sa chance. La Nouvelle-Zélande les accueille en l’échange d’un contrat d’un an, dans une ferme ou dans un usine. Les deux garçons trouvent rapidement à se loger chez une jeune mère de famille veuve. La vie est belle mais Albert s’ennuie.

Les Américains ont, lors de leur séjour, amené le rock, les cigarettes et la jeunesse adore dorénavant aller danser et boire. Au grand dam du gouvernement très religieux et très austère qui condamne fermement cette débauche. Une série de livres est ainsi interdite et les exemplaires brûlés. La peine de mort est rétablie. Et surtout un vraiment mouvement xénophobe gagne le pays. Le gouvernement néo-zélandais, à court de mains d’oeuvres, a fait venir des milliers de jeunes garçons, souvent mineurs, pour travailler aux champs ou dans les usines. Mais les habitants les voient d’un mauvais oeil.

Albert quitte alors le Sud du pays pour s’installer à Auckland. Le garçon a le mal du pays, il ne cesse de penser à l’Irlande. Mais le voyage retour coûte dix fois plus cher. Il pense trouver des petits boulots et économiser assez pour rentrer au pays. Mais très vite, il se laisse embarquer par les fêtes, les jolies filles et l’alcool. Il trouve des petits boulots qui lui paient son loyer et ses sorties. Il a 19 ans, c’est de son âge. Mais un jour, il croise sur sa route celui qui va sceller son destin. Celui pour lequel, on le juge aujourd’hui pour assassinat….

Giroflée, giroflée, qui pousse en hauteur
Tous les petits enfants vont mourir, c’est l’heure
Excepté Albert Black, il est le seul
Il sait danser, il sait chanter
Il sait danser, il sait chanter
Quelle honte, quel malheur !
Tourne-toi vers la mer, mon coeur

Il s’agit pour moi clairement d’un roman, puisque l’autrice pense en lieu et place de tous les personnages. On suit ainsi Albert « Paddy », mais aussi ses amis, sa petite amie, et les douze jurés charger de le condamner. Evidemment, il est impossible de savoir les propos ou échanges et pensées qui les ont traversées tout le temps du procès. Mais contrairement à Aubenas, qui présentait son livre comme une enquête mais soudainement se permettait d’interpréter les pensées de Gérald Thomassin, Fiona Kidman prend tout de suite le pari du roman et ça fonctionne. On sait que ce choix lui permet de donner vie à Albert Black, sacrifié sur l’autel d’un gouvernement dépassé par les évènements. Cela lui permet de traduire la vie à cette époque-là.  Et c’est très bien fait.

J’avoue j’ai lu un peu plus vite (mais lu quand même) les chapitres avec les jurés, je préférais la compagnie d’Albert, ou celle de son avocat ou le directeur de la prison. Tous deux opposés à la peine de mort, et impuissant à sauver la vie d’un adolescent un peu perdu.  L’avocat cite Victor Hugo et évidemment j’ai pensé aux Misérables. Aujourd’hui, la sentence aurait été totalement différente. Albert aurait survécu. On pense très fort à sa famille, à des milliers de kilomètres,  à leur peine immense. Mais on pense aussi à la victime, « vendu » par son père avec ses soeurs pour aller travailler de force en Nouvelle-Zélande, funeste destin de milliers d’enfants britanniques.

Un excellent moment de lecture.

♥♥♥♥

Editions Sabine Wespieser, This Mortal Boy, trad. D.Goy-Blanquet, 2021, 347 pages

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10 commentaires

keisha 4 mai 2022 - 8 h 02 min

Je l’avais emprunté, mais sans persévérer (ça peut s’arranger ^_^) Ce que tu reproches à F Aubenas, je l’ai aussi ressenti (y compris les pensées e la jeune femme assassinée)

Electra 6 mai 2022 - 7 h 57 min

oui, le Caribou n’avait pas eu le même bémol que moi pour Aubenas. Mais oui, soit c’est un reportage soit un roman issu d’un fait divers, mais pas les deux 🙂

Ingannmic 4 mai 2022 - 13 h 44 min

La Nouvelle-Zélande, ça m’intéresse, je n’ai quasiment rien lu de cette contrée (juste deux titre de Lloyd Jones, dont un que je n’ai pas aimé), et voilà un sujet intéressant;
En revanche, ce que vous dites, avec Keisha, du récit d’Aubenas, me fait un peu craindre sa lecture..

Electra 6 mai 2022 - 7 h 58 min

Oui, pareil il y a peu de livres sur ce magnifique pays. Pour Aubenas, tout le monde n’a pas eu ce bémol, mais mettre des pensées, des paroles dans la bouche de personnes en disant qu’on fait enquête .. pour moi, ça ne marche pas. Ici, elle dit tout de suite ce qu’elle va faire et ça marche très bien !

Livr'escapades 4 mai 2022 - 14 h 12 min

Très intéressant, je note moi aussi!

Electra 6 mai 2022 - 7 h 56 min

super ! je pense qu’il peut te plaire

Autist Reading 6 mai 2022 - 14 h 50 min

Malheureusement, je ne pense pas que cette défiance vis à vis de l' »étranger » soit moins importante à notre époque. En tout cas, elle était encore fortement prégnante quand j’ai visité ce beau pays en 2015.
J’ignorais tout de cette histoire et je suis curieux d’en savoir plus, même sous une forme romancée.

Electra 6 mai 2022 - 16 h 19 min

quelle chance tu as eu de le visiter ! pareil, j’ignorais tout de cette histoire

Kathel 7 mai 2022 - 11 h 35 min

Ce roman me laissera un souvenir marquant ! (et je suis contente d’avoir entraîné au moins une lectrice à ma suite en Nouvelle-Zélande !)

Electra 9 mai 2022 - 16 h 23 min

oui ! et merci encore. J’aime aussi quand quelqu’un découvre un auteur ou un livre grâce à moi 🙂

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