Tu parles comme la nuit · Vaitiere Rojas Manrique

par Electra
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J’ai vu ce livre sur un blog et j’ai tout de suite été attirée par la couverture, puis par l’histoire. Mais de quel blog s’agit-il ? Je vais mener ma petite enquête … Qui n’a mené à rien… Quelqu’un l’a-t-il lu ?

La narratrice est une jeune femme Vénézuélienne fuyant son pays avec le père de son enfant et sa fille Ale (Alejandra) lors de  la terrible crise économique qui frappe le pays en 2019. La voici devenue une migrante dans les rues de Bogota, en Colombie. Un statut dont elle a honte et qu’elle tente de dissimuler en prenant un accent. Les Colombiens n’appréciant pas la présence de ces milliers de Vénézuéliens dans leurs rues. Elle entame alors une correspondance imaginaire avec son ami K. Qui n’est autre que Franz Kafka où elle se confie sur la crise existentielle qu’elle traverse. Elle l’a fait pour sa fille, encore trop jeune, pour comprendre toutes les implications de leur départ précipité. Elle a vendu tout ce qu’elle possédait et ne cesse de s’excuser auprès de son enfant d’avoir vendu ses jouets.

Elle vit terriblement cet exil, loin de son pays, de sa culture, mais aussi loin d’elle-même, celle d’avant. Dorénavant elle fait des ménages et ne sort quasiment jamais de chez elle, rongée par la honte et la culpabilité. Avant, elle écrivait de la poésie. Elle arrive à écrire un poème cependant après un long passage à vide où les mots, son éternel allié, l’avait quitté. J’ai beaucoup aimé un passage du roman où il a fait écho à l’énorme passage à vide que j’ai rencontré en 2023, j’étais aussi incapable d’ouvrir le moindre livre, et je stressais rien qu’en y pensant :

Les livres, la littérature, les seuls espaces protégés que j’imaginais, dont j’osais rêver, me font le même effet. Mon coeur continue de s’emballer quand j’entre dans une librairie ou une bibliothèque, quand je respire des livres, vieux ou neufs. Pourtant je n’arrive plus à me concentrer comme avant. Et au-delà du problème de concentration, je n’arrive tout simplement plus à me laisser porter par la musique des mots.

L’autrice vous fait vraiment prendre conscience de ce statut de déraciné, elle n’a pas volontairement décidé de migrer, elle aimait sa vie au Vénézuéla. J’ai aimé le ton du roman, la dureté qui en ressort – la violence qu’a été cette fuite. La douleur qui ne cesse de la miner depuis. Excruciating est l’adjectif qui me vient en tête (atroce).  Un texte fort qui ne vous laisse pas indifférent. Un premier roman de surcroît.

J’avoue enfin que je suis sous le charme de la couverture du livre.

 

Editions Payot&Rivages, 2021, Tu’hablas como la noche, trad. Alexandra Carrasco (2019), 171 pages

Photo de Nic Low sur Unsplash

Et pourquoi pas

12 commentaires

Kathel 10 avril 2024 - 8 h 28 min

On pourrait penser que l’exil dans un pays où l’on parle la même langue, de culture proche, est moins douloureux, ce roman prouve qu’il n’en est rien.
(Je ne vois pas non plus sur quel blog tu as pu le noter…)

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Electra 10 avril 2024 - 20 h 48 min

oui, ils sont vus comme des voleurs de travail – elle explique bien ce sentiment de perdre tout à coup son statut, sa fierté.

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Sunalee 10 avril 2024 - 10 h 51 min

La couverture me disait quelque chose, je me suis que je l’avais sans doute vue dans le mois latino d’Ingannmic, et donc j’ai retrouvé: c’est Fanja qui en a parlé: https://lecture-sans-frontieres.blogspot.com/2024/02/tu-parles-comme-la-nuit.html

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Electra 10 avril 2024 - 20 h 49 min

merci ! c’est bien là que je l’avais découvert 🙂

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je lis je blogue 10 avril 2024 - 19 h 03 min

Je fais partie de celles et ceux qui ont du mal avec la littérature latino. J’essaie de temps en temps de sortir de ma zone de confort. C’est dommage d’ailleurs qu’Ingannmic arrête le challenge dédié à cette littérature mais je comprends. En tout cas, tu as l’art de trouver des lectures originales (tout comme Fanja).

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Electra 10 avril 2024 - 20 h 50 min

dans le sens du réalisme fantastique ? car ici, il n’en est rien, c’est très réel au contraire ! Je ne lis pas non plus beaucoup de littérature latino, des polars et deux ou trois romans. Mais jusqu’ici j’ai eu de la chance avec mes lectures 😉

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Livr'escapades 10 avril 2024 - 20 h 24 min

J’ai moi aussi un peu de mal avec la littérature latino, en revanche la migration, l’exil, le déracinement et la quête identitaire sont des thèmes qui m’intéressent et me touchent. Je le garde donc quand-même à l’esprit.

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Electra 10 avril 2024 - 20 h 53 min

oui ! C’est le sujet du récit de cette femme, comment on perd soudainement son chez soi, sa culture et son statut social. J’ai vraiment aimé cela. En ce sens, il se détache peut-être des romans latino ? Je n’en lis pas assez pour le confirmer.

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Fanja 12 avril 2024 - 23 h 58 min

Une très belle lecture pour moi aussi. Je me souviens très bien du passage que tu cites. Il y en avait quelques-uns comme ça qui ne pouvaient manquer nous parler en tant que lectrices, que l’on traverse exactement ces situations ou non.

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Electra 21 avril 2024 - 11 h 06 min

oui, cet extrait me rappelle ce que j’ai ressenti l’an dernier, incapable de lire mais toujours attirée par les livres, et son histoire est celle de milliers de personnes, merci pour la découverte !

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Marie-Claude Rioux 15 avril 2024 - 14 h 55 min

Oui, mais non. Oui pour la littérature latino, mais les romans de déracinement me parle moins par les temps qui courent…

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Electra 21 avril 2024 - 11 h 07 min

par les temps qui courent ? tiens, faudra que tu m’expliques mieux cela ! à bientôt pour une jasette !

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