Lettres à Essenine ∴ Jim Harrison

par Electra
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Dans le cadre de mon challenge sur l’oeuvre de Jim Harrison, j’ai eu envie de découvrir ses poésies. Souhaitant lire les douze livres dans l’ordre chronologique (les personnages de Jim avaient généralement son âge et ses préoccupations), son recueil Lettres à Essenine m’a tout de suite tenté. Et quelle surprise de découvrir que Christian Bourgois avait choisi de les publier de nouveau ?

Le recueil est de nouveau disponible, depuis le 8 février, en version bilingue (la traduction française à droite de la poésie originale) et à tout petit prix (8 euros).

Jim Harrison partage ici, sous forme épistolaire et poétique, toute son admiration pour le poète russe et en son temps, soviétique, Sergeï Essenine.  Ce dernier connut un destin tragique. Chantre de la Révolution d’Octobre, il épousa la célèbre danseuse Isadora Duncan, de près de vingt ans son aînée, après avoir abandonné sa première épouse et leur enfant. Tourmenté, dépressif, le poète se suicida à l’âge de trente ans, en 1925. L’homme écrivit sa lettre d’adieu avec son propre sang avant de se pendre.

En 1973, Jim tente de se faire publier sans succès, l’homme a du mal à nourrir sa petite famille et va trouver dans les écrits du poète russe un alter ego à son propre désespoir, une sorte de miroir où Jim ne cesse d’y chercher son propre reflet. Dans ses poèmes, Jim chante son ami, ses amoures, la Neva et cette terrible objet, froid, et résistant : la corde.

Le poète russe, qui dans sa courte vie, n’eut de cesse de suivre son instinct, laissant derrière lui plusieurs enfants et femmes éplorées, force l’admiration de l’écrivain américain. Qui voit dans cet homme cultivé, passionné, voyageur insatiable, qui brûle sa vie par les deux bouts de chandelle, une sorte de modèle.

Naturellement, je crois toujours aux miracles et aux destins sacrés de l’imagination. A quoi ça ressemble d’être mort, est-ce que j’aimerais ça ? dois-je retarder encore un peu l’échéance ?

Ce que Jim ne voit pas, en rédigeant ses lettres à Essenine, ce sont ses propres écueils. Jim traverse une crise existentielle, d’un côté il est tenté de franchir la porte qu’a franchi Essenine en passant sa tête dans ce noeud – et de l’autre, il reste attaché à sa famille, ses tous jeunes enfants et les premières lueurs du soleil, le chant des oiseaux – la vie. Jim l’écrivit après :  « J’ai mis des années à m’apercevoir que mes Lettres à Essenine étaient un constat de victoire sur la tentation du suicide« . Et c’est effectivement très clair lorsque l’on lit ses lettres. Jim est parfois terriblement attiré par ce néant et par l’envie de rejoindre ce poète dont il sait qu’ils auraient « été de grands amis », même plus « un frère disparu trop tôt ».

Jim voit en cet homme, guidé par ses émotions, un modèle de vie et d’écriture. Jim est déjà, même à cet âge peu avancé, un amoureux des choses de la vie : la bonne bouffe, le vin, la cocaïne, le sexe, la famille et toujours la nature.  Et c’est ce qui l’a probablement sauvé de ses idées noires.

Ses poèmes sont un vrai plaisir de lecture, n’étant pas du tout lectrice assidue de poèmes, je ne vais pas me lancer dans une critique détaillée, je préfère vous en livrer un :

à Rose

Je n’ai pas de médailles. Je sens l’absence de leur poids sur ma poitrine. Il y a des années, j’étais ambitieux. Mais il est désormais évident qu’il ne se passera rien. Tous ces poèmes qui m’ont fait léviter à un mètre du sol ne sont pas tant oubliés que tout bonnement jamais lus. Ils ont roulé comme lunes éblouissantes vers une flaque d’eau et s’y sont noyés. Aujourd’hui on ne peut même plus retrouver cette flaque. Je suis pourtant encouragé par la façon dont tu t’es pendu, en me disant que tout ça ne compte pour rien. Toi, le poète fabuleux de la Mère Russsie. Néanmoins, aujourd’hui encore, des lycéennes tiennent ton coeur mort, tes poèmes, sur leurs genoux par les brûlants après-midi d’août au bord du fleuve en attendant que leur ami sorte du travail ou que leur amant revienne de l’armée, que leurs chers animaux défunts ressuscitent.  Ou qu’on les appelle à dîner. Tu trouves une vie nouvelle sur leurs genoux, tu humes leur parfum de lavande, le nuage de leur chevelure qui t’inonde, tu sens leurs pieds traîner au fil du fleuve, ou caché dans un sac tu te promènes encore au bord de la Neva. Mieux, on t’utilises à contre-emploi tel un bouquet de fleurs pour les convaincre d’ôter leur robe dans un appartement. Regarde ces tuyaux de chauffage près du plafond. La corde.  

Lu dans le cadre de mon challenge Jim Harrison.

♥♥♥♥

Editions Christian Bourgois, Letters to Essenyn, trad.Brice Matthieussent, 2018, 140 pages

Et pourquoi pas

4 commentaires

Goran 2 mars 2018 - 9 h 12 min

Cela fait bien longtemps que je n’ai pas lu Jim, et pourtant je l’adore…

Electra 2 mars 2018 - 13 h 43 min

Le challenge me permet de le faire et ça fait du bien !

Lili 2 mars 2018 - 18 h 25 min

Je ne savais pas Jim Harrison poète ! Merci pour cette découverte !

Electra 2 mars 2018 - 20 h 13 min

De rien ! Avec plaisir !

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